6 clés du « bien-être » (ou du mal-être) des Français
Si la définition et la mesure d’une notion aussi subjective que le « bien-être » ou le « bonheur » suscitent des doutes, cette démarche se développe depuis le début des années 1970, notamment parce qu’elle propose une alternative aux indicateurs qui évaluent la performance économique en faisant abstraction des externalités sociales.
Le Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap) s’efforce de la faire gagner en crédibilité avec ses tableaux de bord trimestriels et ses rapports annuels de l’Observatoire du bien-être, dont la quatrième édition a été publiée en mai.
Sur fond de résurgence des risques globaux – guerres, catastrophes climatiques, inflation, crises politiques –, l’année 2023 a vu se poursuivre la détérioration des perceptions de l’avenir. Depuis 2018, les enquêtés estiment ainsi que la vie des générations futures sera plus difficile.
La croissance des insatisfactions porte aussi bien sur le niveau de vie que sur la santé et la sécurité. Toutefois, l’indicateur global de la « satisfaction dans la vie » retrouve ses niveaux d’avant la pandémie de Covid, loin des points bas de la crise des gilets jaunes et du troisième confinement.
La « satisfaction au travail » a pour sa part progressé depuis l’après-Covid, « traduisant certainement les bénéfices du télétravail et des nombreux changements d’emploi opérés par les salariés au moment de la reprise de l’activité ». Mais le travail reste un important vecteur de frustration pour certaines catégories socioprofessionnelles.
1/ L’importance du sens du travail
Bien que « le revenu des cadres de la fonction publique [soit] inférieur de 15 % à celui des cadres du privé et de 30 % à celui des professions libérales, (…) cadres du public et professeurs affichent le niveau de satisfaction au travail le plus élevé en moyenne malgré leurs revenus relativement faibles. »
Le « sens » que l’on attribue à l’exercice de son métier est en effet déterminant. A condition de « neutraliser l’effet » de l’âge, du genre, de la situation matrimoniale, du niveau d’éducation et du nombre d’heures travaillées, et surtout du salaire, les professions « à vocation » apparaissent comme les plus satisfaisantes : dans l’enseignement, mais aussi dans les professions intermédiaires de la santé et du travail social.
Les métiers offrant une forte autonomie se classent bien, eux aussi : professions libérales, artistes, artisans ou agriculteurs sur grande exploitation. Inversement, l’insatisfaction des ouvriers et des employés du commerce est très marquée.
2/ Le mal-être des ouvriers
« Le mal-être des ouvriers est assez général ; il s’étend de l’évaluation de la situation actuelle aux perceptions de l’avenir, en passant par le sentiment de sécurité dans son quartier. » Chez les ménages à dominante ouvrière, il s’exprime aussi par une nostalgie du passé deux fois plus forte que chez les cadres.
Même en neutralisant l’effet des facteurs sociodémographiques (revenus, âge, niveau de diplôme, composition du ménage), les écarts qui subsistent confirment la corrélation entre CSP et bien-être : « Plus les revenus sont élevés, plus on est en moyenne satisfait de son travail. » Toutefois, l’effet positif du revenu sur la satisfaction va en s’amoindrissant.
3/ Les frustrations des quinquas
Le creux de la courbe en U de la satisfaction de vie, qui s’amorce à l’âge de la parentalité avec un manque de temps libre, s’expliquerait par le « deuil des aspirations » personnelles et professionnelles autour de 45 ans, mais aussi par les inégalités de revenus intragénérationnelles, qui atteignent leur maximum entre 40 et 60 ans et suscitent de la frustration.
Bien que niveau de vie par unité de consommation soit quasiment stable de 25 à 50 ans, et culmine entre 55 et 60 ans, « la satisfaction d’un individu [dépend] aussi de son positionnement par rapport à un groupe de référence » : collègues, pairs professionnels, voisins, amis, membres de la famille.
4/ Le mythe du bonheur à la retraite
Le rebond de satisfaction après 55 ans devrait beaucoup à la retraite des seniors sans emploi, le chômage étant un facteur majeur de frustration qui s’accentue entre 45 et 50 ans – tandis que les « seniors actifs » qui restent en emploi même après 65 ans sont plus satisfaits à âge égal.
Mais la satisfaction envers l’état de santé, les perspectives d’avenir personnelles, le sentiment de sécurité et le sens donné à sa vie se dégradent de manière linéaire après 25 ans. Et contrairement à l’idée reçue, la retraite n’y change rien, malgré un bref rebond de la santé perçue en raison d’une moindre fatigue.
« Le passage à la retraite semble se caractériser par une perte de sens et de bien-être que l’on ne peut attribuer uniquement au vieillissement, et n’est compensée que par un gain en temps libre », résument les auteurs.
5/ Le bonheur dans le pré
Les Français se sentent plus satisfaits en milieu rural et dans les petites villes (moins de 20 000 habitants). Mais dans le premier, le bien-être chute après 60 ans, tandis qu’il suit le mouvement inverse dans les métropoles, agglomération parisienne comprise.
« En fin de vie, il vaut mieux vivre dans des lieux plus densément peuplés, que ce soit pour des questions de vie sociale, d’accès aux soins ou d’isolement en général. »
C’est dans les villes moyennes de 20 à 100 000 habitants que l’insatisfaction est la plus grande, ceci tout au long de la vie. La jeunesse semble particulièrement ardue dans les grandes villes hors métropoles (100 à 200 000 habitants), de même que l’avant-retraite, l’amélioration étant sensible après ces deux périodes.
6/ Les paradoxes des enseignants
Le surplus de satisfaction des enseignants, grâce au « sens » accordé à leur travail, ne compense pas leur insatisfaction envers leur niveau de vie et leur conviction que leur métier est dévalorisé. A quoi s’ajoutent un pessimisme croissant envers leur propre avenir et la perception d’un déséquilibre entre vie professionnelle et vie privée.
Déjà faible chez les jeunes profs, la satisfaction chute très vite pour atteindre un point bas en milieu de carrière. Pourtant, plus ils ont le temps de se consacrer aux apprentissages, plus ils sont heureux. La gestion du comportement des élèves est la mission qui les affecte le plus, avec les tâches administratives et techniques.
Paradoxe : si enseigner en école privée suscite en moyenne un plus haut niveau de satisfaction, c’est aussi le cas en réseau d’éducation prioritaire (REP et REP+). Enseigner dans un établissement à l’IPS (indice de position sociale) élevé produit même plus d’insatisfaction, la déconsidération de la part des parents et le sentiment d’être mal rémunéré y étant plus fort.
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