Récemment, plusieurs rapports, notamment celui de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), ont mis en lumière une détérioration préoccupante de la santé mentale des jeunes. Initialement attribuée à la pandémie de Covid-19, cette dégradation, observée également à l’échelle internationale, semble se confirmer au fil des années.
Ces études se concentrent sur les jeunes de moins de 25 ans et soulignent plusieurs facteurs contextuels, tels que les menaces climatiques, la compétition scolaire, et l’angoisse face à l’avenir, particulièrement marquées durant la transition vers l’âge adulte. Un constat s’impose : les jeunes filles sont systématiquement plus nombreuses à éprouver un malaise psychologique comparativement aux jeunes garçons. Cette tendance est également visible chez les adultes, où 12 % des hommes et 19 % des femmes souffrent de symptômes anxieux ou dépressifs.
Dès l’adolescence, les filles rapportent un état de bien-être inférieur à celui des garçons, avec un écart de huit points mesuré dès la sixième, qui se creuse jusqu’à la fin du collège. Près d’une fille sur quatre est touchée par des symptômes d’anxiété ou de dépression, et la Drees a observé une augmentation alarmante des comportements auto-infligés, tels que les mutilations et les pensées suicidaires, chez les jeunes filles.
Spécificité des troubles des filles
À l’adolescence, alors que les garçons manifestent principalement des troubles de la conduite, comme la consommation d’alcool et de drogues, les filles tendent à exprimer leur mal-être à travers des troubles fonctionnels (céphalées, insomnies), des troubles de l’humeur et des troubles alimentaires (boulimie, anorexie). Les préoccupations esthétiques sont également prégnantes : 41 % des filles de 15 ans se perçoivent en surpoids, alors que seulement 7 % le sont réellement. De plus, près d’une fille sur cinq suit un régime, et un tiers d’entre elles se pèse au moins une fois par semaine, poussées par l’obsession de la minceur.
À partir de l’adolescence, un climat d’hyper-sexualisation pèse sur les jeunes filles, les soumettant à une pression mentale continue. Elles se préoccupent de leur apparence et de l’opinion des autres, craignant que leur bien-être futur dépende de leur capacité à séduire, ce qui n’est jamais garanti. Ce sentiment de fragilité, comme l’a souligné Bourdieu, se combine avec une estime de soi plus faible que celle des garçons. Malgré de meilleures performances scolaires, 40 % des lycéennes se déclarent très stressées lors des évaluations, contre seulement 12 % des garçons.
Cette pression conduit souvent les adolescentes à éviter les parcours scolaires jugés trop compétitifs, comme les sciences de l’ingénieur ou les classes préparatoires scientifiques, par crainte de ne pas être à la hauteur. Bien qu’elles se déclarent « bien » dans leur lycée, elles se sentent moins en sécurité dans leur environnement scolaire et dans les transports. Les absences dues à la peur de la violence ont augmenté depuis 2015, touchant 8,9 % des filles contre 5,3 % des garçons.
Double contrainte
Pour les jeunes filles, l’adolescence représente une période de tension due à une « double contrainte ». Elles doivent s’investir intensément dans leurs études tout en conformant à des modèles de genre qui les poussent à se montrer « féminines » et à plaire aux garçons, ce qui implique souvent de renoncer à toute forme de compétition individuelle.
Alors qu’elles peuvent croire en l’égalité entre les sexes, elles découvrent rapidement la dominance masculine à travers de multiples expériences quotidiennes, notamment au travers de la pornographie, de la culture populaire qui valorise la violence et la sexualité, ainsi que de la banalisation des moqueries sexistes sur les réseaux sociaux. Selon le Haut Conseil à l’égalité, 72 % des femmes âgées de 15 à 24 ans estiment que les hommes et les femmes ne sont pas traités de la même manière en ligne.
Il n’est pas surprenant que cette expérience de domination soit liée à une détérioration de la santé mentale, les jeunes issus de milieux sociaux défavorisés étant particulièrement touchés. Les jeunes sans emploi ni formation souffrent plus souvent de problèmes psychologiques. Le mal-être accru des filles s’inscrit dans un contexte plus large de domination masculine, qui, même si elle peut sembler abstraite, a des conséquences profondes et personnelles.
Bien qu’elles rencontrent moins de problèmes majeurs en classe et évitent généralement les conflits, les adolescentes manquent de confiance en elles et deviennent de plus en plus conscientes des injustices liées au sexisme. Évoquer ces problématiques est un premier pas vers la sensibilisation, mais cela peut aussi intensifier le sentiment d’amertume chez celles qui pensaient avoir dépassé ces discriminations.
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