Le projet est si ouf que le photographe Martin Parr en a fait un livre il y a quelques années, intitulé sans surprise « Saddam Hussein Watches ». Et puisque malgré tous ses efforts, l’artiste n’a pas chopé toutes les montres Saddam, il en reste pas mal sur internet.
Parmi les montres bien cotées, la Certina DS4 est facilement trouvable sur le marché. Sur eBay, Daniel en propose une en très bonne condition. La différence – la plus value même – c’est que la sienne arbore l’image d’un Saddam Hussein super souriant, coiffé de son joli ghetra. Le vendeur spécialisé dans les montres de luxe dit en avoir fait l’acquisition lors d’une vente aux enchères, sans en savoir plus sur le passé de l’objet. Cela dit, il connaît la base de l’histoire derrière ces montres en général : « Je sais que Saddam, comme la plupart des dictateurs, alimentait “le culte de la personnalité” ; c’est pourquoi il distribuait des cadeaux à d’autres politiques et diplomates avec sa signature, son nom ou son portrait. »
La théorie de Daniel concernant l’origine de ces cadeaux présidentiels égocentrés, tous les vendeurs de ce type de montres la confirment. Toujours sur eBay, un autre vendeur propose pas moins d’une dizaine de montres à l’effigie de l’ancien dictateur irakien. Certina, Doxa, Zodiac, Rafidain, Eterna ; que du suisse à la sauce Saddam. Et pareil, leurs origines restent aussi floues que l’explication est simple : « La plupart du temps, ces montres parviennent d’Irakiens qui les ont reçues de l’ancien régime de Saddam, comme des officiers par exemple. », confie le collectionneur.
« Je sais que Saddam, comme la plupart des dictateurs, alimentait “le culte de la personnalité” ; c’est pourquoi il distribuait des cadeaux à d’autres politiques et diplomates avec sa signature, son nom ou son portrait. »
Même récit pour un Américain qui revend aujourd’hui sa montre présidentielle : « Je l’ai eue en Irak. J’ai acheté cette montre au propriétaire d’origine. Il m’a dit qu’il travaillait dans le cabinet de Saddam Hussein et que c’était un cadeau du président. Malheureusement, c’est tout ce que je sais. »
En gros, à l’époque où Hussein en était le chef, le parti Baas a acheté ces montres à des horlogers reconnus et des images du président y ont ensuite été intégrées avec délicatesse. La raison pour laquelle ces montres sont en vente aujourd’hui est simple : après 2003, date de la destitution de Hussein et de l’abolition du parti Baas, la figure de l’ancien président est plus que jamais décriée et beaucoup d’anciens du régime ont intérêt à faire oublier leurs liens avec son passé désormais sulfureux. L’heure est à l’occupation américaine, et tout symbole d’amour pour l’ancien dictateur est forcément malvenu. Un vendeur, qui a souhaité resté anonyme, compare les symboles de cette époque à la croix gammée nazie. L’an dernier encore, un homme s’est fait balancer et s’est fait arrêter à Bagdad pour avoir mis en vente des montres customisées à l’image de Saddam Hussein. Avant la chute du dictateur par contre, il n’était pas rare de voir ce genre de vendeurs dans la capitale irakienne. Parce qu’outre la première vague de vraies montres de luxe que les Américains rachetaient aux officiers déchus et ramenaient aux States, il y avait aussi des Irakiens qui confectionnaient eux-mêmes des copies, plaçant avec des pinces les photos dans des montres de pacotille chinoises.
Aujourd’hui, que ce soit du fake ou du luxe, l’offre est d’autant plus généreuse que les anciens sbires de Hussein n’étaient à l’époque pas les seuls à avoir bénéficié de ces cadeaux. Un vendeur français propose une petite montre de luxe achetée dans un lot : « Je l’ai achetée à un aviateur militaire français qui a été en Irak dans les années 1970 quand on était amis avec les Irakiens. », dit-il. Pareil pour le détenteur d’une Favre Leuba toute clinquante à 430 balles. Le vendeur confie : « La montre a été donnée [par le gouvernement] à un ambassadeur bulgare qui a travaillé à l’ambassade de Bulgarie en Irak dans les années 1980. Je l’ai eue lors de l’achat d’une vieille maison. »
« Cette montre me rappelait le “bon vieux temps”. »
Tous les revendeurs contactés n’ont pas directement reçu ces cadeaux du parti Baas, mais sont des néo-acquisiteurs. C’est de la troisième main minimum. Et si beaucoup les vendent pour leur caractère insolite – Daniel avoue par exemple avoir acheté la sienne parce qu’il « collectionne les montres “inhabituelles” » –, un seul fait exception. Un mec qui a lui aussi souhaité rester anonyme confie avoir mis sa montre en vente pour des raisons politiques après en avoir fait l’acquisition pour des raisons précises : « Je ne sais rien de la personne à qui j’ai acheté la montre. Je l’ai achetée sur eBay. Je suis né et j’ai grandi en Irak, j’ai quitté le pays et déménagé aux États-Unis où j’ai terminé mes études, travaillé et ensuite acquis la citoyenneté. Je ne suis pas retourné en Irak depuis. Même si je ne suis pas un fan de Saddam, je pense que l’Irak était un pays bien meilleur et plus sûr à son époque. Il n’y avait pas de violence sectaire et les infrastructures étaient bien meilleures. Je n’ai pas l’intention de me rendre en Irak, parce que l’Irak dans lequel j’ai grandi n’existe tout simplement plus. Les rues ont changé, les bâtiments ont changé, les images des figures religieuses iraniennes sont partout, et surtout, le peuple irakien lui-même a changé. Cette montre me rappelait le “bon vieux temps”. »
Cela dit, une chose en particulier l’a poussé à la revendre. Le déclic lui vient après avoir regardé une émission sur YouTube à propos de l’ère Hussein : « J’ai toujours su que des atrocités avaient été commises à l’époque de Saddam, mais il y a eu un épisode qui m’a fait ne plus supporter sa photo sur la montre. [Le documentaire] parlait de l’exécution de commandants militaires irakiens bien connus pour ce qu’ils ont réalisé pendant la guerre d’Iran, leur caractère formidable et leur leadership. L’épisode donne des détails sur la façon dont ils ont été convoqués au palais de Saddam, puis humiliés et exécutés, car accusés d’avoir échoué pendant la guerre du Golfe ; alors même que la guerre du Golfe était totalement une erreur de Saddam – et la plus grande erreur de l’histoire moderne de l’Irak. Je ne voulais plus garder la montre. »
Dans les deux cas, qu’il s’agisse d’anciens officiels de Saddam Hussein ou de simples citoyen·nes nostalgiques, ces montres – et les autres cadeaux du parti Baas – portent maintenant un poids particulier mais qui sont encore capables de susciter l’intérêt des gens qui ne sont pas directement concernés par l’histoire récente de l’Irak et pour qui la figure du dictateur représente juste un truc insolite. Quoi qu’il en soit, et quelles que soient les raisons qui nous poussent à craquer quelques centaines d’euros pour ce type de montre, on ne peut faire abstraction de l’héritage qu’elles portent, de l’histoire qu’elles convoquent. Reste que, porter du Saddam en Occident, c’est sans doute plus soft. Ce serait pas incomparable à une rime de Freeze Corleone en référence à Adolf Hitler ou Oussama Ben Laden. Un geste provoc’, voire une opération pas si bête pour ridiculiser la figure de la terreur ; comparable à l’apparition de Ben Laden ou Donald Trump dans South Park.
Cela dit, ne l’oublions jamais, c’est pas parce qu’on ne porte que du noir qu’on est artiste, c’est pas parce qu’on a un·e pote de couleur qu’on n’est pas raciste et c’est pas parce qu’on porte une montre Saddam qu’on a forcément du lourd au poignet. De toute façon, le pur style de la frime, c’est la Casio des terroristes.
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