ADOPTION – C’est un texte très attendu. Les parlementaires entament ce mercredi 2 décembre les discussions au Parlement autour de la proposition de loi LREM visant à réformer l’adoption. Dans l’exposé des motifs, les rédacteurs du texte disent vouloir “faciliter et sécuriser l’adoption”, “renforcer le statut de pupille de l’État et améliorer le fonctionnement des conseils de famille” et “améliorer les autres dispositions relatives au statut de l’enfant”.
L’une des dispositions majeures de cette proposition de loi, très contestée sur les bancs de la droite, prévoit d’ouvrir l’adoption aux couples non mariés ou pacsés. “C’était un frein qui ne correspondait plus du tout aux nouveaux engagements et mœurs en matière de famille”, souligne auprès du HuffPost la députée Coralie Dubost, responsable de ce texte pour LREM.
Un changement qui devrait aussi bénéficier aux couples homosexuels. S’ils peuvent adopter depuis 2013 et la loi sur le mariage pour tous, dans les faits, des barrières persistent.
En 2018, moins d’une vingtaine de couples homosexuels ont pu adopter
En 2018, “moins de 1%” de l’ensemble des adoptants étaient des couples de même sexe, selon des chiffres du ministère de la Justice* rendus publics en septembre dernier. “Le très faible nombre de couples de conjoints de même sexe adoptants dans l’échantillon* (9 en adoption plénière et 2 en adoption simple) empêchent de procéder à toute analyse sur ce groupe”, est-il précisé.
C’est la première fois depuis la promulgation de la loi Taubira qu’une enquête du gouvernement produit des statistiques faisant le distinguo entre les adoptions par des couples homosexuels et hétérosexuels. Et, preuve que c’est encore tabou en France, aucune communication n’avait été faite sur cette étude. Plus étonnant, ni l’Association des familles homoparentales (ADFH), ni l’Association des parents gays et lesbiens (APGL), n’en avaient entendu parler.
Interrogées par le HuffPost, ces deux associations confirment en tout cas qu’il y aurait eu “moins de 100 adoptions par des couples de même sexe” en sept ans. Un chiffre qui s’explique évidemment par le faible nombre d’enfants adoptables en France, mais pas que.
“La promulgation récente de la loi ‘Mariage pour tous’ d’une part et, d’autre part, les obstacles rencontrés par ces couples pour faire aboutir un projet d’adoption, en particulier à l’international, expliquent, au moins en partie, la très faible place occupée par les couples de conjoints de même sexe requérants dans l’ensemble des adoptants”, note l’étude commandée par la Direction des affaires civiles et du Sceau.
Un référent en matière de non-discrimination dans les conseils de famille
Des “obstacles” qu’ambitionnent de faire, au moins en partie, tomber les auteurs de la proposition de loi sur l’adoption. Le texte propose ainsi de réformer les conseils de famille, chargés de l’attribution des pupilles de l’État, parfois taxés de “conservatisme” par les associations homoparentales.
“Nous allons imposer qu’il y ait une personne qualifiée en matière de non-discrimination qui siège au sein du conseil de famille, nous explique la députée Coralie Dubost. Soit le délégué du Défenseur des droits s’il est disponible, sinon une autre personne capable de remplir les mêmes missions, comme un professeur de droit spécialiste des discriminations”.
“Dans les conseils de famille, ce délégué sera un contrepoids aux associations de l’Union Départementale des Associations Familiales (UDAF) qui, bien souvent, ont des représentants d’obédience catholique avec une vision traditionnelle de la famille”, glisse une source parlementaire.
Selon Coralie Dubost, cette mesure devrait permettre “d’apporter plus de garanties et de sensibilisation au fait qu’il n’y ait pas de biais de genre ou de stéréotypes sur les attributions et la façon dont les décisions sont prises”.
Formation obligatoire des membres
Un amendement LREM, adopté en commission, prévoit également une formation obligatoire pour les nouveaux membres comprenant notamment une sensibilisation à la lutte contre les discriminations.
Les conseils de famille auront également l’obligation de motiver la décision d’apparentement. Des décisions qui pourront être contestées devant le tribunal judiciaire, par exemple en cas de suspicion de discrimination en raison de l’orientation sexuelle.
Ces recours pourront être formulés par le tuteur, les membres du conseil de famille, leurs suppléants -s’ils ont participé aux délibérations ou encore les personnes agréées choisies par le conseil de famille pour adopter un pupille de l’État, pour les seules décisions qui les concernent personnellement.
Des cas de discrimination dans plusieurs départements
Des décisions “qui vont dans le bon sens”, pour le président de l’ADFH Alexandre Urwicz. “Ce qui est important pour nous, c’est que les personnes qui siègent dans ces conseils ne puissent pas avoir une perception cultuelle de la famille conduisant à éliminer tous les couples de même sexe et les célibataires”, explique-t-il au HuffPost.
Pour le co-président de l’APGL, Doann Luu, “il existait des conseils de famille où ça marche très bien, comme en Gironde, mais un traitement discriminatoire persistait dans un certain nombre d’autres départements”.
C’était notamment le cas en Meurthe-et-Moselle, où le président du Conseil de famille, Jean-Marie Müller, fait l’objet d’une enquête pour “discrimination”. “On n’a rien contre les couples de même sexe, mais tant qu’on aura des couples jeunes, stables, avec un père et une mère, on les privilégie”, avait-il déclaré à l’AFP en juin 2018.
En Seine-Maritime, une responsable du service adoption du conseil départemental avait, elle, suggéré que les couples homosexuels devraient également des enfants “atypiques”, tels que des enfants handicapés, car ils étaient eux-mêmes “un peu atypiques”. “Il a existé une règle tacite privilégiant les couples hétéroparentaux” en Seine-Maritime”, avait confirmé un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), publié en mars 2019.
Des “freins dans l’adoption à l’international”
Les députés LREM souhaitent également “lever des freins dans l’adoption internationale”, en “traduisant les dispositions des accords de La Haye dans le droit interne”. Une disposition qui devrait permettre, selon Coralie Dubost, “d’obtenir plus d’accords avec d’autres pays à l’international, y compris des pays qui pourraient accepter l’adoption pour les couples de même sexe”.
“En février 2019, seuls 4 pays sur 78 recensés sur le site du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères étaient indiqués comme ouverts aux adoptions par des couples de conjoints de même sexe”, note l’étude du ministère de la Justice sur les adoptions en 2018. “Ça ne servira à rien”, souffle une source parlementaire auprès du HuffPost. “Il s’agit plus d’un sujet diplomatique que législatif”, abonde Alexandre Urwicz de l’ADFH.
En revanche, la proposition de loi devrait permettre d’avoir accès aux organismes autorisés pour l’adoption (OAA) dans l’ensemble des départements et plus seulement à ceux qui se trouvent dans le département de résidence du candidat à l’adoption. Ces organismes privés agissent dans un plusieurs pays comme intermédiaires pour l’adoption d’enfants de moins de 15 ans.
“Cela permettra aux couples de même sexe de multiplier les candidatures et d’avoir accès à plus de pays”, nous indique une source parlementaire.
Des avancées pour les enfants nés de PMA
À travers ce texte, les parlementaires LREM entendent aussi résoudre certaines situations conflictuelles. Un article de la proposition de loi prévoit ainsi que “lorsqu’un enfant né avant l’entrée en vigueur de la loi bioéthique est issu d’une procréation médicalement assistée (PMA) réalisée à l’étranger, mais que la mère biologique s’oppose sans motif légitime à l’établissement du lien de filiation à l’égard de la mère sociale – celle qui n’a pas accouché – celle-ci peut, avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la promulgation de la proposition de loi sur l’adoption, demander l’adoption de l’enfant”.
“Nous permettrons au juge de venir vérifier si elle était bien à l’origine du projet parental à l’époque, précise Coralie Dubost. La preuve sera par tous les moyens et le refus abusif de la mère biologique pourra donc être outrepassé”.
De vives oppositions sur les bancs de la droite
Comme pour l’examen de la loi bioéthique, les discussions devraient être animées au Parlement sur ces sujets sociétaux. “La plupart des amendements LR s’opposent à cette reconnaissance du changement des moeurs, regrette Coralie Dubost. Pour une grande partie d’entre eux, seul le mariage doit être le lieu d’adoption.”
“Le mariage est une union stable” et c’est “le cadre le plus protecteur, plaide le député LR Xavier Breton auprès de l’AFP. Et Coralie Dubost de conclure : “Nous n’avons simplement pas la même vision de la société, des couples et de l’engagement parental.”
*L’étude est réalisée non pas à partir d’un recensement exhaustif de l’ensemble
des jugements rendus mais à partir d’un échantillon, ramené au volume annuel par une pondération. Cet échantillon représente l’ensemble des décisions rendues au fond par les TGI au cours du 1er trimestre 2018 sur des requêtes en adoption simple et au cours du 1er semestre 2018 sur des requêtes en adoption plénières (acceptations et rejets). Les différents effectifs calculés ne sont donc pas des chiffres exacts, mais des estimations.
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