PUTSCH – La pression monte encore un peu plus en Birmanie. La loi martiale, c’est à dire l’instauration dans un pays d’un état judiciaire d’exception, a été décrétée lundi dans plusieurs villes de Birmanie. Sont ainsi concernées plusieurs quartiers de Yangon, la capitale économique ; de Mandalay, deuxième ville du pays, ainsi que dans d’autres parties du territoire.
Conséquences: les manifestations et les rassemblements de plus de cinq personnes sont interdits et un couvre-feu est instauré de 20h à 04h du matin.
L’armée a aussi brandi la menace de représailles à l’encontre des manifestants pro-démocratie, toujours plus nombreux dans les rues. “Des actions doivent être prises (…) contre les infractions qui troublent, empêchent et détruisent la stabilité de l’État”, a fait savoir la télévision d’Etat.
Le commandant en chef de l’armée, Min Aung Hlaing, s’est exprimé pour la première fois le 7 février, dans la soirée; invoquant de nouveau “des fraudes électorales” lors des législatives de novembre pour justifier son putsch.
“Nous enquêtons sur les autorités responsables” de ces irrégularités, a ajouté Min Aung Hlaing sur la chaîne de l’armée Myawaddy TV. Il s’est engagé à “la tenue d’élections libres et justes” à la fin de l’état d’urgence d’un an et promis un régime militaire “différent” des précédents.
Des manifestations à Yangon
La Birmanie a vécu près de 50 ans sous le joug de l’armée depuis son indépendance en 1948 et le putsch du 1er février a mis fin à une brève parenthèse démocratique d’une décennie.
Le Royaume-Uni, l’Union européenne et 19 autres membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ont demandé une réunion d’urgence tandis que la fronde ne cesse de monter dans le pays. Ce lundi 8 février, plusieurs centaines de milliers de personnes, d’après diverses estimations, se sont rassemblées à Yangon.
“Nous n’allons pas travailler même si notre salaire va baisser”, a déclaré Hnin Thazin, salariée dans une usine de confection, répondant à l’appel à la grève générale émis par des contestataires.
Des moines en robe safran, des étudiants et des infirmières ont rejoint le mouvement, agitant des drapeaux rouges aux couleurs de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi, détenue au secret depuis lundi.
“Plus peur”
“Avant nous vivions dans la crainte, mais nous avons eu un gouvernement démocratique pendant cinq ans. Nous n’avons plus peur. On ne se laissera pas faire”, a lancé Kyaw Zin Tun, ingénieur de 29 ans.
Des manifestations se sont tenues dans d’autres villes du pays – de l’extrême nord dans l’État Kachin au sud – beaucoup d’habitants défilant sur leurs deux-roues dans un concert de klaxons.
Ce vent de contestation est inédit en Birmanie depuis le soulèvement populaire de 2007, “la révolution de safran” menée par les moines et violemment réprimée par l’armée.
Et le risque de répression est réel. “Nous savons tous de quoi l’armée est capable: d’atrocités massives, de meurtres de civils, de disparitions forcées, de torture et d’arrestations arbitraires”, a souligné Tom Villarin du groupement des parlementaires de l’Asean (Association des nations de l’Asie du Sud-Est) pour les droits de l’homme.
Dizaines d’arrestations
Les militaires ont arrêté le 1er février Aung San Suu Kyi ainsi que d’autres dirigeants de la Ligue nationake pour la démocratie (LND). Depuis, plus de 150 personnes – députés, responsables locaux, activistes – ont été interpellées et sont toujours en détention, selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques, basée à Rangoun.
Les connexions internet ont été partiellement rétablies et les données mobiles restaurées. Mais l’accès à Facebook, outil de communication pour des millions de Birmans, restait perturbé. Beaucoup détournaient la censure en utilisant des VPN, outils qui permettent de contourner les restrictions géographiques.
A l’international, aucune action concrète n’a été prise pour l’instant contre les généraux.
Le pape François qui avait déjà exprimé sa “solidarité avec le peuple birman” a exhorté lundi à la libération “rapide” des responsables emprisonnés. Quelques jours plus tôt, l’ONU avait exprimé sa “profonde préoccupation”, sans toutefois condamner formellement le putsch, Pékin et Moscou, soutiens traditionnels de l’armée birmane aux Nations unies, s’opposant à cette formulation.
Les Etats-Unis et l’Union européenne font de leur côté planer la menace de sanctions.
Crainte d’une perte d’influence
La LND a remporté massivement les législatives de novembre et des observateurs internationaux n’ont pas constaté de problèmes majeurs lors de ce scrutin. En réalité, les généraux craignaient de voir leur influence diminuer après la victoire d’Aung San Suu Kyi, qui aurait pu vouloir modifier la Constitution très favorable aux militaires.
Très critiquée il y a encore peu par la communauté internationale pour sa passivité dans la crise des musulmans rohingyas, la prix Nobel de la paix, en résidence surveillée pendant 15 ans pour son opposition à la junte, reste adulée dans son pays.
L’ex-dirigeante serait “en bonne santé”, assignée à résidence à Naypyidaw, d’après son parti.