Ces légendaires clubs belges et leurs soirées sans fin appartiennent désormais au passé. Ne reste plus que quelques souvenirs principalement flous à parcourir dans notre série VICE « NIGHTS TO REMEMBER ».

Entre 2001 et 2009, la maison de jeunes Spiraal à Rijkevorsel – ‘t Spiraal pour les intimes – organisait chaque mois Bassment in Motion, une soirée qui réunissait la crème de la scène techno internationale. Ben Long, Dr. Lektroluv, The Subs, Kevin Saunderson, DJ Godfather, Buscemi, Marco Bailey ou encore Derrick May ont notamment mixé dans ce sombre sous-sol d’une commune perdue de la Campine.

​​On a parlé à des ex-membres du personnel pour qu’ils nous partagent leurs souvenirs de cette époque.

Dirk Van Merode (43 ans), ancien président

« Quand je suis devenu président en 1999, la vieille garde jouait encore de la house et de la techno. La jeune génération a ensuite commencé à diffuser de la musique club différente, qui allait de la trance au jump sans oublier le hardcore. Au début, les gens qui se la jouaient en mode alternatif ont un peu méprisé ce tournant. Mais quand des groupes comme The Chemical Brothers, Moby et Underworld ont connu un gros succès dans cette même scène alternative, ils ont changé d’avis. En 2001, Bassment in Motion est devenu notre marque de fabrique pour les soirées techno. Pour la première édition, on avait programmé Trish & Kash, succès immédiat. Et un mois plus tard, on faisait venir DJ Pierre du Fuse. La première année, on avait déjà booké tous les grands noms de la techno belge, puis on a attaqué les internationaux. 

Un jour, on a été chercher Darren Price – qui faisait déjà partie d’Underworld – à l’aéroport de Zaventem et on a traversé Bruxelles puis Anvers pour prendre la sortie vers Brecht. Entre prairies et vaches brunes, on a roulé à fond vers ‘t Spiraal. Il m’a demandé d’un air paumé : « Putain, mais tu m’emmènes où mec ? ». Je lui ai répondu : « Rijkeveussels mec ! »

Les gens du village n’avaient aucune idée de la folie qui nous habitait. CJ Bolland nous a un jour comparés à un club de la banlieue de Londres et DJ Godfather aurait dit aux bookers de Culture Club qu’il ne viendrait en Belgique que s’il pouvait jouer au ‘t Spiraal. Le samedi, il jouait à Gand, le vendredi dans notre sous-sol.

Ce qui plaisait vraiment aux DJs, c’était notre côté jeune et authentique. On le faisait pas pour la thune. On essayait de mener à bien notre mission en tant que maison de jeunes, avec plus de 60 bénévoles et tout ça par amour de la musique. Aucune montagne n’était trop grande pour ‘t Spiraal. Nos jeunes n’étaient sans doute pas les enfants modèles du quartier. Certain·es séchaient même les cours pour venir. Mais ce qui compte, c’est que le centre nous a donné un but, il nous a éloignés de la rue et, pour beaucoup de gens, c’était comme une deuxième maison.

Depuis le début, on est restés fidèles à notre politique : tout le monde était le bienvenu. Le prix moyen d’une place c’était 5 euros. Et niveau bière, on a commencé à 1 euro, avant de monter à 1,25 euro. Mais rien à voir avec les grands clubs comme le Fuse où, finalement, t’avais les mêmes DJs qui venaient jouer. Si on finissait la soirée en étant rentables, c’est parce qu’on savait gérer une grosse équipe à base de bénévolat. Il y avait des équipes au bar, des équipes qui s’occupaient de l’affichage, d’autres du nettoyage, des DJ résident·es… C’est Seb et Fif qui réalisaient nos affiches. On a envahi Loenhout, Wuustwezel et Kalmthout avec ces affiches – à l’époque, on surnommait la zone “Pappers Paradise”.

Un soir, on s’est fait quasi 30 000 euros. Discobar Galaxie se produisait dans le centre paroissial, Jan Van Biesen déchaînait les foules au sous-sol et Lady Vortex jouait de la drum’n’bass dans une pièce annexe. Au total, 2 000 personnes sont venues. Notre comptable a dû rester dans son bureau toute la nuit pour compter l’argent qui n’arrêtait pas de rentrer dans les caisses.

Une des autres soirées de folie, c’est quand Dr. Lektroluv est venu. On l’avait booké six mois à l’avance et, entre-temps, il avait explosé. Un bus entier en provenance de Groningen s’est même garé sur notre parking. J’ai dû leur dire : « Désolé, vous pouvez pas entrer, c’est complet ». À ce moment-là, il y avait déjà 1 000 personnes dans notre sous-sol. Dehors, ça revendait des billets à 5 euros pour plus de 30 euros. Là, je me suis dit : “On a réussi.”

Les DJs belges coûtent entre 1 000 et 1 500 euros pour un set. Si on demande ensuite un PAF à 5 euros et que 500 personnes se pointent, on est déjà bien positifs. Le cachet de Derrick May, par exemple, est cher mais si on augmente un peu le prix d’entrée, on peut aussi rentrer dans les frais avec une salle pleine. La qualité d’un club au prix d’une maison de jeunes, c’était la clé de notre succès.

« Pendant les dix années qui ont suivi, je rêvais encore une fois par mois des réunions d’organisation. »

Mais bon, les soutiens qu’on recevait étaient limités. On touchait plus ou moins 10 000 euros par an de la province parce qu’on avait le label “centre de jeunesse supralocal”, mais on était soutenus qu’à hauteur de 1 000 euros par an de la part de la commune de Rijkevorsel. En plus de ça, on louait notre salle à la paroisse, ce qui nous coûtait 500 euros par mois. Nos coûts fixes étaient élevés. La grande salle était idéale pour les grands noms, mais pour les petits événements, c’était vraiment moins commode. En juin, il y avait les examens et en été les jeunes vont en festival, du coup on perdait toujours gros pendant ces mois-là. C’est très difficile pour une asbl de tenir le coup avec “que” quelques milliers d’euros d’aides à chaque fois.

Quand les problèmes financiers sont arrivés, on a voulu ouvrir notre salle à des organisations comme le chiro (un mouvement de jeunesse flamand, NDLR) ou pour du volley-ball, à condition que la commune paie le loyer. Mais le conseiller pour la jeunesse de l’époque nous a négligés. Il a dit publiquement qu’il voulait un nouveau centre de jeunesse, un centre dans lequel il aurait lui-même son mot à dire. Après avoir existé pendant plus de 40 ans, le ‘t Spiraal, qui était la maison de jeunes la plus ancienne de la région, a dû fermer définitivement ses portes en 2009. Je regrette encore de ne pas m’être simplement adressé à l’échevin de l’époque. Peut-être qu’on existerait encore et qu’on serait devenus un vrai centre culturel, ce qu’on était déjà avant sans l’être vraiment. Pendant les dix années qui ont suivi la fermeture, je rêvais une fois par mois de réunions d’organisation. Je me réveillais le matin comme si j’avais assisté au renouveau de Bassment in Motion dans mon sommeil. Aujourd’hui, je suis plus du tout aigri, au contraire. On a passé les meilleurs moments de notre vie là-bas. » 

Tom Vervoort aka Shibby (37 ans), barman et DJ résident

« Je me souviens qu’une fois, on avait une pile de boîtes en carton, avec laquelle on avait bâti une tour assez haute sur le parking. Avec Bert,  on a grimpé sur le toit et j’ai sauté comme dans Jackass directement sur ces boîtes. Jukkie a aussi sauté après nous, mais les boîtes étaient déjà assez cabossées et la pile n’était plus aussi solide donc il a atterri sur le sol. Ce parking était toujours animé. Une fois, on avait attaché un siège sur le toit de la voiture de quelqu’un. Benneke, un gars qu’on avait invité, s’est assis sur ce siège et on a fait plusieurs tours du village. C’était le bon temps ! »

Tom Van den Eijnden aka Sin-R (47 ans), DJ résident

« Au début, on bookait les DJs comme des novices. Damon Wild, du label new-yorkais Synwave, a été le premier guest international. On l’avait contacté par le biais de l’adresse e-mail qui figurait dans son vinyle. J’avais beaucoup de ses disques à l’époque et le fait qu’il vienne jouer dans notre village m’a beaucoup impressionné. Quand on a été le chercher à la gare, il était crevé. Il voulait dormir un peu mais moi, je devais aller jouer un match de futsal juste après. Du coup pour faire vite, je l’ai fait pieuter dans mon propre lit.

Au fil des années, j’ai fait signer mes disques par tou·tes les artistes. En tant que résident, c’était un véritable honneur d’apprendre aux côtés de ces grands noms. Cette période a eu une grande influence sur mon style et sur celui de beaucoup d’autres résident·es. On peut vraiment être fier·es de ce qu’on a réalisé avec notre groupe de potes. Je vais bientôt avoir 48 ans, mais la techno ne me quittera jamais. »

Philippe Arnouts aka de Fif (37 ans), graphiste et DJ résident

« J’ai conçu les affiches de ‘t Spiraal avec Seb Smulders. J’étais encore étudiant et on me donnait toujours carte blanche. J’ai tout essayé, tout testé. Très vite, j’ai vu le résultat imprimé sur des milliers de dépliants et d’affiches. Aujourd’hui, j’ai mon propre studio de design : Holy à Hoogstraten.

C’était vraiment une période formidable, j’y pense encore souvent. Je me demande si ‘t Spiraal était toujours là, à quoi ça aurait ressemblé aujourd’hui ? Est-ce que ce serait toujours la même chose ? La fin était très émouvante, un peu surréaliste même. Après ça, il m’a fallu du temps pour m’en remettre, j’étais vraiment perdu.

On avait le sentiment que la commune travaillait sans relâche contre nous. Certes, ‘t Spiraal n’avait pas la meilleure réputation mais c’était pas une raison pour le fermer, au contraire. J’ai longtemps été en colère contre la commune parce qu’au lieu de nous aider, elle nous a fait couler. Fermer un centre de jeunesse qui existait depuis quarante ans ? C’est tout un héritage que vous brisez. Le bourgmestre de l’époque (Gust Van Mierop, NDLR) n’avait absolument aucune vision pour les jeunes. Je pense que ç’aurait été différent avec la bourgmestre actuelle (Dorien Cuylaerts, NDLR).

En août 2009, on a tou·tes inscrit nos noms à la craie sur le mur. Quelqu’un du groupe s’y est récemment introduit. Les noms sont toujours là, comme on l’avait laissé il y a des années. »

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