Au moins deux enquêtes différentes sur les intentions de vote des Français sont sorties entre le 18 et le 21 mars, avec sensiblement les mêmes résultats: 67% des sondés se disent “certains” d’aller voter au premier tour (enquête Ipsos-Sopra Steria en partenariat avec le Cevipof et la Fondation Jean Jaurès pour Le Monde). Soit 33% de risque d’abstention, c’est-à-dire plus que le record pour une élection présidentielle, établi lors du second tour de 2002 (28%).
Une élection sans suspense, qui profite à Macron?
Le ministre de l’Intérieur, en charge de la bonne organisation du scrutin, se montre rassurant et mise sur l’aspect rassembleur du suffrage suprême. Les chiffres de 2017 lui donnent en partie raison: à vingt jours du premier tour, l’Ifop donnait 35% d’abstentionnistes (31% en 2022). In fine, seulement 22% des électeurs s’étaient abstenus le jour J.
Mais les candidats sont inquiets. Il faut dire que si Emmanuel Macron caracole en tête dans les intentions de vote, la deuxième place est plus indécise avec un seuil pour accéder au second tour particulièrement bas, en dessous des 20%.
Anne Muxel, directrice de recherche au Cevipof, voit plusieurs raisons derrière ces prévisions: des préoccupations particulières (la pandémie puis la guerre en Ukraine), la “crise de la représentation politique” mais pas uniquement. “C’est une élection dont on annonce quasiment l’issue et qui ne mobilise pas, parce qu’il n’y aurait pas de compétition électorale”, explique-t-elle sur RTL. Qu’importent les sondages et ses adversaires, Emmanuel Macron est donné gagnant au second tour et ce schéma ne s’est jamais démenti depuis les toutes premières enquêtes.
Chez LREM, certains comme Christophe Castaner martèlent pourtant que l’élection n’est pas jouée. “Aucune élection n’est jamais jouée. Non seulement ce serait une faute politique de le croire, mais ce serait même une faute éthique: dire aux Français ‘circulez il n’y a rien à voir’ est toujours une faute”, estime-t-il sur BFMTV ce lundi.
Mais il n’empêche qu’Emmanuel Macron serait loin d’être le plus pénalisé par une abstention telle qu’elle ressort des dernières enquêtes, au contraire.
La gauche première pénalisée, surtout Mélenchon
L’enquête Ipsos met en lumière des groupes plus abstentionnistes que d’autres. Selon les critères de catégories socio-professionnelles, les classes dites populaires avec les agriculteurs et les ouvriers sont les moins sûres de se déplacer (58 et 57%). Ce qui pénaliserait la candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen.
Mais c’est surtout la gauche qui a beaucoup à perdre. “Les électeurs de gauche (69%), quels que soient les partis, sont globalement moins enclins à aller voter que les électeurs de LREM (78% avec le MoDem), de LR (75%, avec l’UDI), du RN ou de Reconquête. À ce stade, c’est la gauche qui est handicapée par l’abstention”, explique au HuffPost Mathieu Gallard, directeur de recherche chez Ipsos.
Dans le détail, un candidat de gauche a peut-être plus de soucis à se faire que les autres: l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon. Seulement 66% des sympathisants insoumis se disent certains d’aller voter, contre par exemple 75% de ceux du PCF. L’abstention des 18 à 24 ans, la catégorie d’âge la plus susceptible de bouder les urnes le 10 avril (à peine un électeur sur deux est certain d’aller voter), pourrait aussi lui porter préjudice, tout comme à l’écologiste Yannick Jadot, estime Mathieu Gallard.
Chez les Insoumis, les enjeux sont d’ailleurs bien identifiés. Dès le mois d’août 2021, Jean-Luc Mélenchon estimait que “si les milieux populaires ne vont pas voter, ça continuera comme avant”. Ce dimanche, lors de sa Marche pour la VIe République, le député des Bouches-du-Rhône a ouvertement dragué l’électorat jeune, déclarant par exemple qu’avec sa proposition de départ à la retraite à 60 ans, “c’est autant de place pour les 100.000 jeunes qui arrivent sur le marché du travail chaque année”. “J’ai confiance dans l’inventivité de la jeune génération, pour peu qu’on lui dise que ce pays ne sera jamais rabougri dans le racisme et la haine des uns et des autres”, a-t-il aussi lancé. Le candidat LFI, désormais troisième dans les sondages, s’est fixé pour objectif de gagner 5 points en trois semaines pour accéder au second tour.
Pécresse et Macron ont leur épingle à tirer
Le malheur des uns fait le bonheur des autres, dit le proverbe. Valérie Pécresse est sans doute la candidate la moins inquiète de l’abstention.
Comme dans chaque élection, les populations les plus âgées sont en effet les plus sûres d’aller voter, jusqu’à 81% pour les 70 ans et plus selon l’Ipsos. De même, les catégories dites “CSP+” sont plus enclines à glisser un bulletin dans l’urne, ce qui pourrait avantager la candidate Les Républicains ou Emmanuel Macron.
“Valérie Pécresse, parce que son électorat est plutôt âgé et plutôt aisé, bénéficierait probablement d’une abstention forte. Et Emmanuel Macron aussi, puisqu’il a un peu le même électorat, même s’il y a une légère différence sur l’âge”, explique Mathieu Gallard.
Toutefois, à un peu moins de 3 semaines de l’échéance, tout peut encore changer. Selon l’enquête Ipsos, seuls Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Éric Zemmour bénéficient d’une large majorité d’électeurs sûrs d’aller voter et sûrs de leur choix pour le premier tour (entre 68% et 77% selon le candidat). À gauche, les intentions semblent moins catégoriques: 42% des sympathisants Mélenchon estiment que leur choix peut encore changer et c’est plus de 50% pour Yannick Jadot, Fabien Roussel et Anne Hidalgo. Mais aussi, à droite, 47% chez Valérie Pécresse.
À voir également sur Le HuffPost: Le plaidoyer de Mélenchon pour les urnes (et contre ceux qui ne votent pas)
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