Ce phénomène inquiétant a déjà touché le Royaume-Uni, où plus d’un millier de plaintes ont été déposées fin 2021. Et Outre-Manche justement, ces affaires ont pris tant d’ampleur -notamment après des témoignages de victimes très relayés médiatiquement– qu’une réponse institutionnelle est en cours. Que ce soit au niveau politique, du côté de la police et même des instances sanitaires, chacun tente de réagir.
Le 26 avril dernier, le Home Affaires Committee, une commission de la chambre des communes composée de onze députés, chargés entre autres d’évaluer l’action du ministère de l’Intérieur, a ainsi publié un rapport parlementaire sur le sujet. Une longue enquête portant sur la problématique des piqûres en boîte de nuit, et sur celle des drogues ou liquides versés dans les verres des fêtards à leur insu, qui formule des recommandations et interpelle le gouvernement quant aux mesures à prendre pour endiguer le phénomène. De telle
Anxiété, paralysie, cauchemars, amnésies…
Ces travaux ont été lancés après une alarmante série de plaintes à l’automne 2021. Les médias locaux en dénombraient au moins 1300 en janvier tout en assurant que la majeure partie des victimes n’osaient pas se présenter à la police, craignant de manquer de preuves pour dénoncer ce “crime invisible”.
Plusieurs victimes ont effectivement déclaré devant la commission qu’après avoir expliqué leur situation sur les réseaux sociaux, elles avaient été contactées par des centaines de personnes dans le même cas, des deux sexes et de tous âges. Avec à chaque fois des victimes expliquant avoir retrouvé sur leurs corps des traces de piqûre par des seringues ou des stylos à injection (comme ceux dont disposent parfois les personnes diabétiques), souvent après être sorties d’une torpeur éprouvante ou même s’être réveillées dans une position ou un lieu anormal.
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Dans le rapport, les députés précisent avoir obtenu les retours de 1.895 victimes et de plus de 1.400 témoins de “spiking”, le nom donné outre-Manche à ces pratiques (piqûres et verres trafiqués confondus). Et ils insistent sur le fait qu’à l’époque des faits, à l’automne dernier donc, le phénomène des piqûres n’avait cours qu’au Royaume-Uni, très majoritairement dans des bars et des boîtes de nuit.
Ces témoignages ont permis aux parlementaires de distinguer deux types de conséquences aux piqûres: une souffrance mentale (anxiété, cauchemars, sensation de “viol”, amnésie) et des problèmes physiques (paralysie, spasmes, difficultés à se mouvoir…). Et cela sans même évoquer les psychoses que la série de cas fait planer sur toute une génération de fêtards.
Les élus britanniques avancent aussi des raisons derrière l’action de ceux qui piquent, au travers des témoignages recueillis: “jeu” malsain entre amis au sein d’une équipe de sport, manœuvre pour dérober une carte bancaire, tentative d’agression sexuelle ou de viol…
Parmi les conclusions du rapport, il est également intéressant de noter cette explication apportée à l’absence récurrente de plainte: étant donné l’environnement dans lequel les piqûres ont lieu, expliquent les parlementaires, elles concernent une population qui a souvent consommé d’autres substances, parfois illicites. Et qui craint donc, en allant témoigner auprès de la police, “d’avoir des problèmes” en lien à la prise de drogue par exemple.
Une batterie de mesures proposées
Une fois cet inquiétant état des lieux dressé, les parlementaires proposent des mesures au gouvernement de Boris Johnson. Et parmi celles-ci, ils insistent sur la nécessité en premier lieu pour le ministère de l’Intérieur de mieux connaître le problème. Cela en menant des enquêtes précises sur “la fréquence, l’ampleur et les conséquences” du spiking.
Ils suggèrent ensuite l’ajout d’un volet spécifique à la campagne de communication gouvernementale contre les violences faites aux femmes et aux filles, où la problématique serait abordée directement. Ce message de prévention pourrait ainsi être martelé dans les lieux de fête, en milieu scolaire et universitaire, et dans les hôpitaux, ainsi que dans les commissariats pour inciter les victimes à témoigner.
De même, ils demandent au ministère de la Justice d’évaluer sous six mois la nécessité de légiférer spécifiquement contre les piqûres, en créant un crime à part. Une décision qui permettrait de suivre judiciairement à l’avenir un individu condamné pour avoir piqué quelqu’un. “Cela servirait aussi à dissuader les auteurs de tels faits en leur montrant qu’il s’agit d’un véritable crime qui entraîne des conséquences judiciaires lourdes”, écrivent-ils.
Surtout, face à un phénomène si discret et qui laisse les victimes sans défense, les élus britanniques répètent qu’il est nécessaire de trouver des moyens de protéger la population. Et cela en renforçant les mesures de sécurité à l’entrée des lieux de fête, en incitant par exemple à plus de recrutement de vigiles et en particulier des femmes, à une meilleure formation et à un renforcement des fouilles.
Dans les cas des verres dans lesquels sont versées des substances, ils donnent un exemple concret: un personnel de sécurité plus nombreux permettrait de mieux surveiller les verres des fêtards sortis fumer. Et vont jusqu’à suggérer de supprimer la licence d’établissements qui ne mettraient pas les moyens pour protéger leur clientèle.
Trop peu d’affaires résolues
Une meilleure protection face aux piqûres passe aussi par un meilleur accompagnement des victimes une fois qu’elles ont porté plainte. Sur ce sujet, les parlementaires ont une demande pour le gouvernement: s’assurer que la police dispose de moyens suffisants pour pouvoir dépister toute trace de psychotrope chez les victimes. Cela permettrait de leur donner un argument de poids pour aller en justice, si des substances sont effectivement retrouvées dans leur organisme.
Car pour l’heure, et c’est un problème de taille, seules de très rares plaintes ont donné lieu à des suites permettant d’en savoir plus sur le phénomène. Ce que déplorent les élus dans leur rapport, se disant “déçus par le très faible nombre de procédures ayant pu être menées à leur terme”. Raison pour laquelle ils demandent au gouvernement d’agir, tant en lançant des études académiques sur le profil des agresseurs qu’en donnant davantage de moyens d’investigation aux forces de l’ordre. Le rapport note effectivement que “neuf victimes sur dix n’ont pas reçu d’aide” après avoir témoigné, que ce soit de la part de la police comme des équipes de sécurité des lieux de fête.
Un constat d’échec qui a déjà poussé de nombreux responsables locaux à s’engager, dans l’attente des retours du gouvernement sur le sujet.
Le maire du Grand Manchester (la métropole autour de la ville de Manchester) Andy Burnham a par exemple créé un “partenariat contre le spiking”, c’est-à-dire une vaste initiative mêlant les autorités politiques, la police et d’autres responsables locaux en matière de sécurité.
L’idée est que soient rendus accessibles à tous des dispositifs de test antidrogue dont les résultats peuvent être utilisés en justice, que des volontaires soient postés dans les zones animées pour venir en aide aux personnes désorientées ou qui auraient été volées par exemple et que des campagnes de sensibilisation aient lieu dans les établissements scolaires.
Ces initiatives, tout comme le rapport parlementaire, sont saluées par les associations qui luttent contre les piqûres et plus généralement les comportements répréhensibles dans le milieu de la nuit. À l’image de Dawn Dines, une militante qui expliquait récemment à la BBC que la création d’un crime spécifique au spiking serait une excellente mesure, pour venir en aide aux victimes et à la police autant que pour décourager les auteurs. Un avis partagé par les victimes, soulagées de savoir qu’en dépit de l’absence généralisée d’explications et d’enquêtes abouties, la société britannique se mobilise.
Charge désormais à Boris Johnson et à ses ministres de mettre en application les suggestions des députés pour tenter de lutter contre un phénomène bien loin d’avoir disparu, outre-Manche.
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