Il fallait porter son masque pendant 7 heures et ensuite s’enfermer dans une petite chambre d’hôtel pendant 14 jours. Je venais de quitter ma famille, mes amis, mes collègues et ma maison en plein milieu de la crise de Covid 19. Tout le monde trouvait ça amer. Moi, pas trop.
Il faut dire que j’avais passé mes cinq dernières années en tant que professeure des écoles, en REP+ dans une des villes les plus pauvres de France et qu’à côté, plus rien ne me paraissait effroyable, injuste ou disproportionné. À 30 ans, je me demandais comment me sortir la tête de l’eau, submergée par les “pas de vague”.
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À l’aube de ma vie d’adulte, je n’envisageais plus aucun avenir pour moi, à part celui de rester forte et en même temps d’être écrasée par un système qui marche à reculons, dans un pays dont je portais fièrement l’héritage des lumières.
Mais, quand une telle machine devient trop difficile à gérer, on compte les jours qu’il reste jusqu’aux vacances, et les petites vacances qu’il reste jusqu’aux grandes, et enfin les grandes jusqu’à la retraite. Compter dans l’espoir de pouvoir vivre pleinement la dizaine d’années qui nous sépare de la maladie ou de la mort.
«À 30 ans, je me demandais comment me sortir la tête de l’eau, submergée par les “pas de vagues”.»
La quarantaine imposée fût la dernière chose comptée dans ma vie.
Ce qui a été frappant d’emblée a été le sourire sincère des collègues et de la direction. Un sourire qui ne portait pas de séquelles d’anciens espoirs évanouis.
Les présentations faites, j’ai embarqué dans un monde différent du mien et depuis ce jour, je n’ai jamais plus arrêté.
Les petites surprises se sont enchaînées
Je n’ai plus jamais eu à sortir mon portefeuille pour payer des livres à mes élèves. J’ai retrouvé mes dimanches et je ne croule pas sous une tonne de préparation car les enseignants québécois bénéficient de la reconnaissance des tâches de préparation. Je n’enseigne ni l’anglais, ni le sport, ni la musique: cela est laissé à des spécialistes et ça me semble être une très bonne chose vu le niveau d’anglais des élèves français en primaire.
Pendant les heures de spécialité de mes élèves, je peux préparer mes leçons, mes devoirs et faire mes corrections.
On ne dit pas aux professeurs qu’ils devraient être heureux de vivre de leur vocation pour justifier un salaire minable. D’ailleurs, parler salaire ne me dérange pas: si je le convertis, mon salaire a doublé et ma qualité de vie s’est nettement améliorée.
Ici, personne ne culpabilise d’être malade et de devoir s’absenter avec 39 de fièvre: il y a des suppléants. Ainsi, aucune classe de collègues n’est encombrée par nos élèves.
Utilité, considération et appréciation du travail d’enseignant
Dans les écoles, il y a des orthophonistes, des orthopédagogues, des psycho-éducateurs et des aides.
Les enseignants ne sont pas démunis en même temps que leurs élèves. Ce n’est pas le monde farfelu de la débrouille.
Il y a deux mois, les professeurs ont été libérés pendant deux jours pour aller au Palais des congrès de Montréal afin d’assister au colloque des enseignants.
Nous avons pu rencontrer d’autres collègues, visiter le salon de l’éducation et assister à des conférences d’intellectuels puis avoir l’opportunité de partager des pensées avec eux.
J’ai eu des pensées émues en songeant à tous ces excellents professeurs français qui n’ont jamais eu une telle reconnaissance.
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