Je ne peux pas dire que Asunción, la capitale du Paraguay (Muy Noble y Leal Ciudad de Nuestra Señora Santa María de la Asunción, de son vrai nom) soit une ville qui regorge d’attractions touristiques. Les musées et autres lieux historiques étant relativement petits, on y fait vite le tour. Mais il y a un lieu qui m’a retenu plus longtemps.

Un soir, assis autour d’une bière avec des locaux, j’entends parler du cimetière de la Recoleta. Selon eux, c’est le plus beau cimetière de la ville, digne du Père Lachaise. C’est comme ça que le lendemain, sous les 33°C de l’hiver sud-américain, je prends mon appareil photo pour une promenade dans cet endroit vieux de 150 ans. 

Les ruelles sont pavées, les mausolées splendides, de toutes les couleurs et ornés de petits carreaux de céramiques. Le tout est entouré d’arbres verdoyants. La première chose qui me frappe en arrivant, ce sont les cercueils exposés derrière des vitres, à la vue de tou·tes, parfois recouverts d’un linge blanc, parfois accompagnés d’une photo du défunt. Ici, il n’y a pas de cercueils enterrés ; ils sont tous emmurés, dans des renfoncements en pierres, dans des mausolées, parfois dans des cryptes. 

Mais très vite, la beauté des allées laisse place à un spectacle bien plus macabre. Plus je m’enfonce dans le cimetière, plus les caveaux sont en ruines, les portes forcées, les vitres brisées, les cercueils ouverts, détruits, retournés. Plusieurs cercueils sont abandonnés sur le sol des allées, brûlés, et pour certains, la chaleur d’un feu s’en dégage encore. Plus loin, des cadavres et des ossements jonchent le sol. Je suis pris d’un certain malaise. 

Je réussis à trouver deux gardiens, habillés en civils. L’un doit avoir la trentaine, son collègue le double. Le plus jeune m’explique qu’on doit l’état du lieu à des pilleurs de sépultures. À 18 heures, quand les portes ferment, des personnes dans le besoin se hissent par-dessus les grilles, et là commence une autre vie. Les visiteurs de nuit allumeraient des feux pour se réchauffer et cuisiner, avant de se mettre au travail. Les tombes sont saccagées, les biens dérobés et la mémoire violée. Tout semble bon à prendre : « Les bijoux évidemment, mais aussi les plaques en bronze, tout ce qu’ils peuvent revendre », me disent les gardiens. Des médias locaux mentionnent aussi des poignées de portes, voire des portes entières.

Quelques jours après ma découverte, un étudiant rencontré dans un des bars de la ville me raconte que certain·es étudiant·es en médecine se faufileraient aussi dans ce tas de gravas funeste pour y trouver le matériel nécessaire afin de pouvoir étudier. 

Malgré les pillages, des corps se font encore enterrer à la Recoleta. Certaines familles optent néanmoins pour des matériaux moins attrayants. En 2019, un employé du cimetière expliquait au journal ABC que 22 gardes avaient été affectés, 24 heures sur 24. En janvier 2023, le tarif des concessions funéraires a même doublé, une hausse justifiée par les améliorations promises par le maire d’Asuncion. Mais les mois passent, et les proches des personnes enterrées peinent à voir la situation évoluer.

Pour ne plus voir les dépouilles de leurs proches être profanées, beaucoup sont alors prêtes à laisser derrière elles leurs traditions et leur culture afin de mettre en terre les défunts, six pieds sous terre, dans un nouveau cimetière, ailleurs dans la ville

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