Mi-mai, juste après l’adoption définitive par le Conseil de l’Union européenne du pacte sur l’asile et la migration, quinze Etats membres ont envoyé à l’exécutif européen une lettre lui demandant « d’identifier, d’élaborer et de proposer de nouveaux moyens et de nouvelles solutions pour prévenir l’immigration irrégulière en Europe ».

Parmi ces moyens figure en bonne place le recours accru à l’externalisation, soit le fait de sous-traiter à des pays non européens la gestion de l’asile et de la migration. En clair, à l’approche des élections de juin, les pays signataires (la France n’en fait pas partie) font pression sur l’Union européenne et lui demandent de durcir encore sa politique d’asile et d’immigration.

L’UE est-elle condamnée à se barricader et à fermer ses frontières ? Le pacte sur l’asile et la migration n’est-il qu’un début ? Aux yeux de Roberta Metsola, la présidente du Parlement européen, c’est en tout cas « probablement l’accord législatif le plus important de cette mandature », s’est-elle félicitée après l’accord final obtenu en décembre, tandis que le Conseil de l’Union européenne a salué « une réforme clé du régime d’asile et de migration européen ».

Dense, touffu et extrêmement détaillé, le « pacte » est en réalité un ensemble de neuf règlements et une directive, présentés comme un ensemble cohérent. Il est l’aboutissement d’une réforme engagée en 2016, dans le sillage de la crise de l’accueil des exilés. A l’époque, les négociations n’aboutissent pas. En septembre 2020, la Commission von der Leyen, nouvellement installée, reprend le flambeau. Elle est déterminée à faire voter le texte, et use de l’argument électoraliste :

« Il faut à tout prix adopter le pacte avant les prochaines élections pour montrer aux peuples européens que l’Union est capable d’empêcher l’arrivée d’exilés sur son sol. Sinon l’extrême droite aura beau jeu de parler de « submersion migratoire » », explique-t-elle en substance.

Un pacte pour contourner le droit d’asile

En quoi consiste ce texte ? Souvent présenté comme marchant sur deux jambes, la solidarité d’un côté, la fermeté de l’autre, le pacte entérine un durcissement accru de la politique migratoire européenne. « Il est très restrictif », commente dans Les Echos Jérôme Vignon, de l’Institut Jacques Delors.

« Le pacte est un instrument de contournement du droit d’asile, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et de la convention de Genève sur les réfugiés de 1951 », résume la professeure de droit public Marie-Laure Basilien-Gainche.

Il opère une fusion des questions d’asile et d’immigration et soumet désormais le respect d’un droit fondamental (obtenir une protection) garanti par la convention de Genève sur les réfugiés de 1951 et d’autres textes internationaux, à une politique de gestion des masses.

Plus concrètement, il instaure l’obligation de recourir, dans de nombreux cas, à des procédures d’asile « à la frontière ». En dépit de leur nom, ces procédures pourront aussi s’appliquer à des étrangers en situation irrégulière déjà présents sur le territoire européen, entretenant « une fiction de non entrée ». En pratique, la généralisation de cette procédure ne pourra que conduire au développement de camps d’enfermement, à l’instar des hotspots construits en Grèce et en Italie.

Ensuite, le pacte soumet les exilés à des obligations qui, si elles ne sont pas respectées, entraînent un amoindrissement de leurs droits (par exemple, leur demande d’asile sera considérée comme retirée s’ils quittent le pays de première entrée sans y avoir été autorisés). L’obsession pour leur renvoi hors de l’Union se fait aussi au mépris de leurs droits.

Enfin, le recours à l’externalisation de la gestion des migrations est encouragé. Cela dans un double objectif : prévenir les mouvements migratoires vers l’Union, et faciliter le renvoi d’exilés dans les pays partenaires.

La sous-traitance peut relever de traités signés par l’Union avec des pays tiers, comme la Turquie en 2016, ou d’« arrangements » plus souples qui permettent de faire fi de tout contrôle démocratique, comme avec la Tunisie, l’Egypte ou la Mauritanie. Elle pourra aussi être le fait d’un seul pays, à l’instar de l’accord, inédit, signé en novembre dernier par l’Italie avec l’Albanie, où doivent être construits deux centres de détention d’exilés.

Une solidarité factice

Qu’en est-il de la jambe « solidarité » du pacte ? Les mécanismes prévus, que ce soit en direction des exilés et entre Etats membres, sont à la fois « factices » et « ridicules », explique la professeure de droit Marie-Laure Basilien-Gainche.

La solidarité avec les exilés réside dans un mécanisme dit de réinstallation : il consiste à transférer sur le sol européen des réfugiés déjà déplacés, qui vivent dans des pays tiers à l’intérieur de camps gérés par le Haut-Commissariat pour les Réfugiés des Nations unies. Mais ce transfert se fera selon le bon vouloir des Etats membres. Le mécanisme n’est pas contraignant. Comme il s’agit néanmoins du seul règlement du pacte prévoyant une voie légale de migration, les eurodéputés de gauche ont voté pour.

Quant à la solidarité entre Etats membres, elle n’est rien d’autre qu’une remise au goût du jour du règlement de Dublin, que l’Union européenne a cherché dès 2016 à réformer. En vertu de ce texte, le pays de première entrée est responsable de la demande d’asile. Ce qui a fait peser sur les pays du Sud et de l’Est de l’Union un poids considérable par rapport aux autres.

Avec le nouveau pacte, l’Union propose un mécanisme de relocalisation, comme celui qu’elle avait tenté, sans grand succès, de mettre en place lors de la précédente mandature. Mais cela ne concernera que 30 000 relocalisations par an (à comparer aux 380 000 franchissements illégaux de frontières recensés par Frontex en 2023).

Et pour les Etats membres qui ne voudraient pas s’y plier, comme la Hongrie, il sera toujours possible de verser une aide financière ou une aide en nature (la formation de garde-frontières par exemple). Le renforcement des frontières pourra dès lors être considéré comme un acte de solidarité entre Etats membres…

Quels groupes politiques ont approuvé le texte ? Au Parlement européen, le pacte a été voté par trois groupes parlementaires, la droite (Parti populaire européen), les libéraux (Renew, où siègent les macronistes) et la gauche sociale-démocrate (S&D). A l’inverse, les Verts et La Gauche (où siègent les Insoumis) ont voté contre un texte attentatoire aux droits des exilés. A l’extrême droite, le groupe Identité et démocratie a lui aussi voté contre, estimant à l’inverse le pacte trop laxiste.

Fait notable : les eurodéputés LR (François-Xavier Bellamy…) et PS (Raphaël Glucksmann, Aurore Lalucq…) n’ont pas suivi leur groupe européen et ont eux aussi voté contre, pour des raisons évidemment opposées. Pour le dire autrement, parmi les eurodéputés français, seuls les macronistes ont voté le pacte.

Des voies légales peu développées

S’il a marqué l’actualité européenne récente, le texte ne concerne pourtant qu’une faible partie des exilés : ceux dont les Etats membres et la Commission considèrent qu’ils entrent illégalement sur le sol européen (quand bien même les textes internationaux reconnaissent à tout un chacun le droit de quitter son pays et d’obtenir une protection).

Quelle est la réalité de la présence migratoire en Europe ? Au total, sur une population européenne de 448 millions d’habitants, seuls 24 millions sont des ressortissants de pays tiers (5,3 % de la population). Si l’on inclut ceux qui ont acquis une nationalité européenne, ce sont 38 millions de personnes qui sont nées dans un pays extérieur à l’UE et qui y vivent désormais, soit 8,5 % de la population. On est loin de la « submersion ».

Côté flux, en 2022, 3,7 millions de premiers permis de séjour ont été accordés par l’Union européenne : plus d’un tiers pour un motif d’emploi, et plus d’un quart pour raisons familiales. La protection n’arrive qu’en troisième position, devant le motif étudiant

En matière d’emploi, malgré des discours européens insistant sur la nécessité d’attirer les talents dans la course à la compétitivité avec l’Asie et les Etats-Unis, il n’y a guère de politique commune, souligne le juriste Romain Foucart :

« Il n’y a pas de liste commune des métiers en tension. On peut même se demander s’il est pertinent de parler d’un marché européen de l’emploi. »

Quant à la directive carte bleue de 2009, censée être le pendant européen de la carte verte états-unienne, elle laisse une grande marge de manœuvre aux Etats membres.

Pour les étudiants aussi, les Etats membres restent à la manœuvre et les textes n’imposent pas d’admissions chiffrées à l’Union. Enfin, en matière de regroupement familial, la directive est ancienne (2003). Mais les conditions en matière de durée de résidence légale pour le regroupant ou de définition de la famille sont strictes et les chiffres peu élevés. En matière de migration légale, « la dernière mandature de la Commission n’a pas changé la donne, malgré l’affichage politique mis en avant à son entrée en fonction et il n’y a pas de volonté d’avancer sur le sujet », résume Romain Foucart.

Une autre politique est possible

En dépit de ces orientations, il serait relativement simple de changer de politique migratoire au niveau européen. En théorie du moins. Sur le plan juridique, « il suffit d’adopter des normes qui organisent et rendent possible la migration légale », pointe Marie-Laure Basilien-Gainche. Le problème est bien l’absence de volonté politique.

L’accueil d’exilés ukrainiens en 2022-2023 a montré au contraire qu’il était relativement facile d’accueillir des millions de réfugiés en peu de temps. Pour cela, les Européens ont activé le mécanisme de protection temporaire. Les eurodéputés ont massivement voté en sa faveur. Fin 2022, dix mois après le début de l’offensive russe, l’Union européenne avait accordé la protection temporaire à 3,8 millions d’exilés venant d’Ukraine, à comparer aux 360 000 décisions de protection accordées en 2023 (sur 680 000 demandes).

Un changement complet dans la politique migratoire, dans un sens plus réaliste et conforme aux textes internationaux, est possible, d’autant plus que l’opinion publique européenne n’en fait pas un sujet prioritaire, contrairement à ce que veulent faire croire de nombreux responsables politiques.

D’après l’Eurobaromètre, une enquête d’opinion menée à l’échelle du continent, la migration et l’asile ne sont un sujet de préoccupation que pour 24 % des électeurs européens interrogés, en septième position derrière la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (33 %), la santé (32 %), la création d’emplois (31 %) ou encore le changement climatique (27 %).

Chez les Français, l’asile et la migration préoccupent 22 % des personnes interrogées, loin, très loin derrière la lutte contre la pauvreté (42 %), la santé publique (36 %) et la lutte contre le changement climatique (37 %).

Source

Share this post

Articles similaires

24 OCTOBRE 2024

Quel est ce carburant...

<p><img width="1500" height="1000"...

0

23 OCTOBRE 2024

Changement d’heure : ce...

<p><img width="1400" height="932"...

0

22 OCTOBRE 2024

Streaming PSG PSV : comment...

<p><img width="1400" height="932"...

0