En 2017, Emmanuel Macron avait promis : « D’ici la fin de mon quinquennat, toutes les centrales à charbon seront fermées ». Un quinquennat et demi après, la France continue de consommer de la houille. Cela est dû, entre autres, à la crise énergétique de l’hiver 2022-2023, qui a conduit le gouvernement à retarder la fermeture de ces centrales jusqu’en 2027. En septembre 2023, le Président a pris un nouvel engagement : les deux dernières centrales à charbon encore en service, y compris celle d’EDF à Cordemais (Loire-Atlantique), doivent être « converties à la biomasse d’ici 2027 », c’est-à-dire alimentées au bois plutôt qu’au charbon. Encore une promesse non tenue. À la fin de septembre 2024, EDF a annoncé qu’elle « envisage de ne pas poursuivre le projet de conversion à la biomasse de la centrale thermique de Cordemais » car « les conditions technico-économiques [ne sont] pas réunies ».
Pour les 345 salariés de la centrale située sur les rives de la Loire et ses 120 agents sous-traitants, cet abandon est perçu comme une trahison. Bien que les syndicats aient soutenu le projet de reconversion à la biomasse « Ecocombust 2 », ils ne peuvent accepter le nouveau plan d’EDF. Ce dernier prévoit de mettre fin à la production d’électricité sur le site d’ici 2027, puis de transformer la centrale, d’ici 2029, en usine de fabrication de tubes pour l’industrie nucléaire en partenariat avec Framatome, une filiale d’EDF, ne préservant au mieux que 200 emplois.
Qui occupera ces postes ? « Nous savons aujourd’hui que les 200 emplois promis dans cette usine ne seront pas pour nous », annonçait fin novembre Fabien Deschamps, responsable de la CGT (Confédération générale du travail) Cordemais, dans des propos rapportés par Ouest France. Au-delà de la question de l’emploi, les salariés souhaitent également conserver leur statut et demandent des comptes à Luc Rémont, le PDG d’EDF.
Dans ce combat, les travailleurs sont soutenus. Huit parlementaires locaux – de La France insoumise au Modem – ont envoyé une lettre ouverte à Emmanuel Macron en octobre. Ils soulignent la perte d’un moyen de production électrique régulable, les conséquences sociales néfastes, ainsi que la diminution des revenus fiscaux pour les collectivités, et réclament que le président revienne sur la fermeture de la centrale.
Aucun modèle économique
Malheureusement, cet abandon n’est pas vraiment une surprise. Un premier projet, « Ecocombust », soutenu par EDF et Suez et appuyé par la CGT, avait déjà été abandonné pour des raisons de rentabilité. Il avait été relancé en 2023 sous le nom « Ecocombust 2 » par EDF et le groupe de recyclage Paprec, qui aurait construit une usine à proximité de la centrale pour transformer des déchets de bois d’ameublement en « black pellets », des granulés destinés à alimenter la chaudière de Cordemais.
Cependant, techniquement, la capacité de cette centrale, vieille de quarante ans, à fonctionner entièrement avec du bois était incertaine et aurait nécessité un investissement de plusieurs dizaines de millions d’euros. De plus, l’approvisionnement en biomasse est limité, engendrant des craintes pour d’autres projets locaux axés sur cette conversion.
Le véritable souci réside dans l’économie. Cordemais, à l’instar de toutes les centrales thermiques françaises, n’est destinée à fonctionner que quelques dizaines ou centaines d’heures par an pour satisfaire les pointes de consommation électrique. Son coût d’exploitation, supérieur – en raison du prix du combustible – à celui des centrales nucléaires, des éoliennes ou des panneaux solaires, la relègue en dernier recours pour le gestionnaire du réseau. Ainsi, selon EDF, il aurait été difficile de s’engager à acquérir de grands volumes de biomasse à Paprec pour une période de fonctionnement aussi réduite.
Partout ailleurs, la biomasse connaît des difficultés
Ces obstacles, identifiés depuis longtemps, avaient été signalés par RTE, l’entreprise gérant le réseau de transport d’électricité, dans son bilan prévisionnel 2023-2035. Ils ne se limitent pas à Cordemais.
La seconde centrale à charbon encore en service en France, à Saint-Avold, en Moselle, devait également être convertie à la biomasse. Toutefois, son propriétaire, GazelEnergie, a finalement annoncé fin septembre qu’il privilégierait une conversion au gaz, incluant une part de biogaz (provenant de sources renouvelables). Ce projet, plus simple techniquement, reçoit un meilleur accueil de la part des syndicats, qui espèrent une continuité des activités.
Une troisième centrale, à Gardanne (Bouches-du-Rhône), appartenant également à GazelEnergie, a été partiellement convertie à la biomasse dès 2016, tandis que sa dernière tranche au charbon a été arrêtée en 2018.
Cependant, rien ne s’est déroulé comme prévu. Dès le départ, les organisations environnementales avaient critiqué le fait que la centrale pourrait se fournir en bois à l’étranger, notamment au Brésil, contribuant potentiellement à la déforestation. Pour cette raison, la justice administrative a annulé – en première instance en 2017 puis au Conseil d’Etat en 2023 – son autorisation d’exploitation. Gardanne a finalement obtenu un sursis d’un an, jusqu’à fin 2024, pour compléter son étude d’impact, actuellement sous examen par les autorités.
Le sparadrap du capitaine Haddock
De plus, comme toutes les centrales thermiques, sa performance est médiocre. Deux tiers de l’énergie générée par la combustion de biomasse (ou de gaz) sont gaspillés. À Gardanne, le propriétaire avait promis de récupérer une partie de cette énergie pour alimenter le réseau de chaleur urbain, mais cela n’a jamais été réalisé.
Après des années de dysfonctionnements, l’Etat et GazelEnergie ont signé fin novembre un nouveau contrat de fourniture d’électricité, pour 4 000 heures par an. Cela représente presque deux fois moins que l’ancien contrat, qui prévoyait 7 500 heures mais qui n’avait jamais été respecté. En réalité, la centrale n’avait fonctionné qu’environ 20 % de ce temps ces dernières années.
Rarement utilisées, les centrales à charbon sont comparables au sparadrap du capitaine Haddock : le gouvernement peine à s’en défaire. Les convertir à la biomasse aurait certes permis de maintenir l’emploi et un moyen de production électrique de pointe, mais cette solution se révèle souvent coûteuse, complexe, et pas toujours écologique.
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