Adresse au futur ministre de l’Education
La trêve olympique a bon dos… La France n’a toujours pas de Premier ministre et encore moins de gouvernement. Le Président tergiverse et semble ignorer la situation qu’il a créée avec la dissolution, qui a conduit à une répartition des sièges assez proche de ce qu’elle serait en cas de scrutin proportionnel.
Mais une différence est de taille : au lieu que les députés soient élus avec des voix qui leur « appartiennent », ici le front républicain a eu pour effet qu’un grand nombre d’entre eux ont été élus avec des voix venues d’un autre bord politique. Cela devrait conduire à la modestie et aux compromis. Or, aujourd’hui, les uns comme les autres semblent l’oublier.
La coalition arrivée en tête, le Nouveau Front populaire (NFP), s’est mise d’accord sur la candidature d’une Première ministre et un programme, et semble vouloir l’appliquer. A droite, Les Républicains (LR) ont proposé un « pacte législatif d’urgence ». Au « centre », Gabriel Attal propose un « pacte d’action » aux groupes parlementaires. Dans tous ces textes, l’éducation occupe une place non négligeable avec des directions très opposées.
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Puisque les listes et lettres ouvertes semblent à la mode, je propose donc très immodestement ma propre adresse à destination des futurs décideurs sur l’état de l’école en leur suggérant quelques principes et orientations.
Y en a marre des « chocs » !
Rappelons d’abord une évidence : on ne réforme pas (durablement) une institution à marche forcée. Depuis 2017 (et même avant), la précipitation et la brutalisation ont abîmé l’école et ruiné sa capacité d’évolution. Moins de « management », plus de ménagement serait bienvenue… Il faut apaiser et se donner du temps.
On ne réforme pas avec des personnels qui vont mal. Une réelle revalorisation est une condition indispensable pour restaurer la confiance
De cette première évidence en découle une deuxième : on ne réforme pas avec des personnels qui vont mal. Une réelle revalorisation est une condition indispensable pour restaurer la confiance. Un changement de gouvernance est également nécessaire pour redonner du pouvoir d’agir aux personnels, loin de l’illusion d’une fausse autonomie pilotée par des chefs d’établissement managers, comme le préconise LR (ou du moins ce qu’il en reste).
Troisième principe corrélé aux deux premiers : l’école mérite mieux que la démagogie et l’instrumentalisation ! Car si on brutalise l’école en méconnaissant le terrain, c’est souvent pour lui appliquer des décisions irréalistes qui répondent à une vision conservatrice de l’enseignement et de l’éducation. C’est d’ailleurs pour sortir de cette logique populiste et redéfinir les finalités qui s’imposent que nous proposons une convention citoyenne sur ce sujet.
Si ces trois préalables étaient pris en compte, le système éducatif pourrait évoluer sur des bases plus saines au service d’objectifs clairement définis.
Un double objectif : justice sociale et mixité
Dans un récent rapport sur l’état de la France (juillet 2024), l’OCDE consacre un chapitre à l’école française. Comme il le fait dans chaque enquête trisannuelle Pisa, il rappelle que la France est un des pays où les résultats scolaires sont le plus déterminés par l’origine sociale. Mais dans cette nouvelle étude, il va plus loin.
« Le milieu socio-économique de ses pairs influe davantage sur les scores d’un élève que son propre milieu », écrit l’OCDE qui alerte sur « l’incidence potentiellement considérable que la diversité relativement faible des établissements scolaires français pourrait avoir sur les résultats des élèves ».
On peut donc le lire comme une recommandation pour améliorer la mixité sociale des établissements scolaires, y compris du privé sous contrat. Car l’étude de l’OCDE souligne aussi l’écart entre l’enseignement public et un privé dont la fonction est de plus en plus de préserver l’« entre-soi », comme l’ont très bien montré plusieurs enquêtes.
On ne pourra pas affronter cette question de la mixité sociale et scolaire sans conditionner l’aide et l’existence même de l’enseignement privé à cette exigence
On ne pourra pas affronter cette question de la mixité sociale et scolaire sans conditionner l’aide et l’existence même de l’enseignement privé à cette exigence. Agir contre les inégalités scolaires est un enjeu politique majeur. Car cette fracturation sociale est un des ferments de la défiance à l’égard des institutions et un des facteurs du vote RN.
Continuité et ruptures
Certains pourront s’inquiéter de l’absence de ministre à quelques jours de la rentrée. Mais on sait bien que la rentrée est déjà sur les rails et se prépare en amont. C’est à cela que servent l’administration centrale et les personnels d’encadrement.
Les principales mesures, et notamment les groupes de niveaux issus du « choc des savoirs », seront donc mises en œuvre dans le cadre des services des enseignants dans les collèges. En revanche, d’autres décisions ont été reportées du fait de la dissolution, c’est le cas de la réforme de la formation initiale.
Mais, même si le temps joue contre des changements immédiats, pour rétablir la confiance, on peut cependant prendre des décisions rapidement qui auront des effets à court ou moyen terme. Elles ne coûteraient rien et pourraient même permettre des économies !
Suppression du « choc des savoirs », du stage de seconde… des décisions peuvent être prises rapidement qui auraient des effets à court ou moyen terme
La suppression du « choc des savoirs » peut être annoncée rapidement et cela pourrait s’accompagner de directives pour transformer la répartition en groupes de « niveau » en une répartition en groupes de besoins pour l’année en cours. La réforme du brevet, censé devenir un examen de passage vers le lycée, peut être annulée sans difficultés. Les évaluations nationales qui empoisonnent la vie des enseignants et pervertissent la logique même de l’enseignement peuvent également être annulées. Le stage de fin de seconde, décidé dans l’urgence et qui a été une usine à gaz pour les lycées et les parents, pourrait être supprimé sans regrets.
L’arrêt du service national universel (SNU) ne serait pas qu’une mesure symbolique. Cela mettrait fin à un gaspillage qui pourrait permettre d’économiser jusqu’à 3,5 milliards d’euros. Il en est de même pour l’abandon de l’expérimentation de l’uniforme. Cette mesure réactionnaire et démagogique coûterait entre 500 millions et un milliard si elle était généralisée (par comparaison, une augmentation de 10 % des enseignants coûterait 3,6 milliards).
L’arrêt du service national universel (SNU) pourrait permettre d’économiser jusqu’à 3,5 milliards d’euros
On pourrait aussi annoncer, sinon la suppression, du moins la réforme de plusieurs instances qui, par leur fonctionnement et leurs décisions, ont contribué à influer négativement sur le travail des enseignants. C’est le cas du Conseil scientifique de l’Education nationale (CSEN) ou encore du Conseil supérieur des programmes. Le Conseil des sages de la laïcité mériterait, lui aussi, d’être profondément remanié pour plus de pluralisme.
La réforme de la formation initiale a été suspendue, mais il faudrait qu’elle soit rediscutée avec les partenaires sociaux. On pourrait aussi revenir sur l’interdiction de formation continue durant le temps scolaire qui est contraire à toutes les règles et ne répond pas aux besoins criants de formation.
On pourrait aussi évoquer la réforme du lycée général ou du lycée professionnel, ou encore les programmes du primaire. Mais les changements permanents ont des effets négatifs sur les personnels. Et le danger serait de ne se situer que dans une logique de retour en arrière.
Ces mesures immédiates seraient d’abord là pour reconstruire la confiance et donner des gages aux enseignants. Mais les chantiers sont nombreux où des décisions doivent être prises pour engager des transformations à moyen terme.
L’éducation n’est pas un coût mais un investissement
Le contexte budgétaire européen peut conduire à une logique austéritaire. Le programme de l’ex-majorité macroniste prévoit de poursuivre les réductions de postes. Idem pour Les Républicains.
Le Nouveau Front populaire s’engagerait, quant à lui, à « réduire les effectifs par classe pour faire mieux que la moyenne européenne de 19 élèves ». Cela signifie-t-il qu’il faut créer plus de postes ? Et si oui, quels types de postes ? S’il s’agit de créer en urgence plus de postes précaires pour des personnes mal formées, est-ce un progrès ?
Agir sur le levier de la création de postes est complexe et peut avoir un effet déceptif. Rappelons-nous du quinquennat Hollande où la (re)création de 60 000 postes n’avait pas eu l’effet escompté. Il y a un délai lié à la formation et surtout une dilution au niveau de chaque classe où cela ne joue que sur un ou deux élèves en moins.
La baisse démographique serait l’occasion non seulement de réduire les effectifs des classes, mais aussi d’améliorer la pédagogie et la formation
Le rapport de l’OCDE, déjà cité, rappelle pourtant que la France est un des pays où la taille des classes est la plus élevée et que cela influe non seulement sur les conditions de travail des enseignants, mais surtout sur les résultats des élèves.
Mais les experts insistent aussi pour tenir compte de la démographie. On assiste en effet à une baisse sensible des naissances qui a déjà des effets en primaire et au collège. Cette baisse démographique pourrait profiter à l’école, plutôt qu’à Bercy comme ce fut le cas jusque-là. Ce serait l’occasion non seulement de réduire les effectifs des classes, mais aussi d’améliorer la pédagogie et la formation.
Surtout, pour créer des postes, il faut des candidats. Mais peut-on croire qu’il suffirait d’augmenter les salaires des enseignants pour améliorer l’attractivité et les inscriptions aux concours ? Une remise à plat des conditions de travail et de la gouvernance doit être envisagée. Ce n’est pas qu’une question de moyens.
Quel que soit le ou la futur·e responsable de l’Education dans un prochain gouvernement, il ou elle aura à faire face à de nombreux chantiers pour apaiser et recréer la confiance et la capacité d’évoluer des personnels. Il lui faudra naviguer entre les écueils de la démagogie, de l’austérité et de la précipitation. Avec un cap : celui de la justice sociale.
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