Des pneus sont disposés devant la préfecture de Rodez, du lisier a été déversé sur l’agence de service de paiement (ASP) à Agen, et des parpaings sont placés devant les locaux de l’Office français de la biodiversité à Beauvais : depuis la mi-novembre, les agriculteurs mènent des actions de protestation contre de nombreuses administrations à travers la France. Cependant, les messages affichés sur les bâches accrochées aux tracteurs ne visent pas directement les agents de l’État, mais dénoncent plutôt l’accord avec le Mercosur, un traité de libre-échange avec l’Amérique latine, susceptible de faciliter l’importation de viande bovine et de maïs brésilien en Europe. Ce sujet a rassemblé des syndicats agricoles allant de la FNSEA à la Confédération paysanne, en passant par la Coordination rurale.
Sous le slogan « des prix et pas des primes », beaucoup de ces organisations réclament également la possibilité de vivre de leur activité agricole plutôt que de dépendre des aides publiques. Les revendications varient : la FNSEA et la CR sont particulièrement frustrées par « les normes », qui englobent une grande partie de la réglementation environnementale, tandis que la Confédération paysanne critique les abus liés à la production d’énergie agricole.
Face à cette vague de mécontentement, le gouvernement semble en difficulté. En début 2024, Gabriel Attal avait pourtant accordé 67 concessions notables dans ses négociations avec la FNSEA. Parmi les succès majeurs du syndicat dominant figurent l’assouplissement des conditions environnementales pour les aides européennes, l’annulation de l’augmentation de la redevance sur le carburant agricole, la simplification des projets de bâtiments d’élevage et des aides à la trésorerie pour les exploitations en difficulté. Cependant, de nombreux autres dispositifs, dont des avantages fiscaux, ont été entravés par l’instabilité politique, et le gouvernement Barnier peine à démontrer ses avancées sur le terrain.
Les mesures annoncées par le gouvernement et la FNSEA indiquent que beaucoup d’entre elles ne visent pas vraiment à stabiliser le revenu des exploitations. En réalité, seules une vingtaine des 67 mesures promises apporteront des bénéfices économiques directs, comme les soutiens fiscaux, les aides d’urgence à la viticulture, ou les prêts bonifiés pour les exploitations en difficulté.
La députée Aurélie Trouvé (LFI) est critique, déclarant que « le gouvernement se contente de mettre des sparadraps sur une plaie béante ». D’après une étude menée par les chercheurs François Purseigle et Pierre-Henri Bono, 49 % des 1 400 agriculteurs interrogés mentionnent leur « ras-le-bol des normes » comme principal moteur de leur mécontentement, tandis que seulement 12 % évoquent le revenu.
Pour 2024, c’est principalement la production qui pourrait avoir un impact sur les cours dans les exploitations. La baisse des surfaces semées et des rendements entraîne une chute du volume de blé français d’un quart, selon FranceAgriMer, bien que la conjoncture reste satisfaisante pour les élevages, avec des prix de la viande bovine, du lait, du porc et de la volaille au-dessus de la moyenne des dix dernières années.
Les revendications des agriculteurs se divisent en trois groupes : les « libéraux » de la FNSEA, qui souhaitent une concurrence équitable au niveau international ; les « agrariens » de la CR, qui demandent plus de reconnaissance pour leur métier et la ruralité ; et les « écologistes altermondialistes », proches de la Confédération paysanne, qui aspirent à un soutien pour transformer leurs méthodes de production.
Actuellement, la FNSEA n’émet que peu de critiques ouvertes envers le secteur privé, bien que le président de la branche lait, Yohann Barbe, ait reconnu que ses membres pourraient agir contre Lactalis, qui a annoncé une réduction de collecte de lait. La Confédération paysanne et la Coordination rurale ont déjà lancé des actions contre des grandes surfaces.
Aurélie Trouvé souligne que les véritables responsables ne sont pas seulement les dirigeants des multinationales, mais aussi l’État et les gouvernements qui les laissent agir sans encadrement. Elle souhaite s’attaquer aux problèmes structurels du secteur, déclarant qu’il existe des convergences entre députés d’horizons divers pour mieux réguler la formation des prix.
Enfin, la loi d’orientation agricole qui sera examinée au Sénat en janvier ne permettra pas l’ajout d’amendements sur des questions centrales comme le foncier et le revenu, et un nouveau défi pourrait survenir avec la proposition de loi du sénateur LR Laurent Duplomb, qui vise à aller plus loin dans la dérèglementation environnementale.
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