Les anti-vax, anti-pass, complotistes, antisémites ou simples sceptiques qui composent ce conglomérat de colère ne veulent pas faire retomber la pression, cinq jours après l’entrée en vigueur du “pass” dans les restaurants, transports et autres activités du quotidien. Et ce, alors même que l’exécutif lâche de menus assouplissements.
Une mobilisation éruptive qui interpelle à plus d’un titre, par son ampleur, ses outrances –marginales, mais récurrentes– ou sa composition hétéroclite. Mais ce qui surprend le plus, c’est que les cortèges s’étoffent un peu plus chaque semaine, loin de pâtir de ce mois d’août et de sa torpeur estivale que l’on dit peu propice aux luttes sociales.
“On sent qu’il y a une forte mobilisation alors qu’on est au cœur de l’été. C’est incroyable pour un mouvement social en pleines vacances, c’est le signe qu’il y a un désarroi profond dans le pays”, se félicitait, en ce sens, Florian Philippot, le 22 juillet dernier, quatre jours après sa première grande manif anti-pass. Depuis, le mouvement, dont il est l’une des figures politiques, a gagné 80.000 manifestants. Ils étaient 160.000 à battre le pavé à la mi-juillet, contre 237.000, un peu moins d’un mois plus tard, selon les autorités.
Les grèves aoûtiennes de 1953
Une progression inédite dans ce contexte? Une persistance jamais vue? Les cortèges n’ont jamais été légion l’été, en France. Que ce soit sous le quinquennat d’Emmanuel Macron ou les précédents. Même les gilets jaunes, à qui les anti-pass sont souvent comparés, s’étaient essoufflés avant la trêve estivale.
La spécialiste de l’histoire des mouvements sociaux Danielle Tartakowsky remonte aux années 50 pour trouver une équivalence, bien qu’imparfaite, à la fronde qui a cours actuellement. En 1953, le gouvernement de l’époque dirigé par Joseph Laniel, voulait profiter de l’été pour faire passer une réforme du système de retraites. Au programme: un âge de départ rallongé de deux à sept ans pour les fonctionnaires, selon leurs statuts.
Raté. Une vague de grèves, initiée par les PTT (ancêtre de La Poste) le 5 août, à Bordeaux, fait finalement plier les autorités de la IVe République finissante, vingt jours plus tard. “C’est un mouvement qui est né dans la fonction publique, à l’initiative des organisations syndicales. Il a ensuite touché de nombreux secteurs du service public, comme les transports, l’énergie…”, décrit l’historienne.
Soutien aux sans-papiers de l’église Saint-Bernard
Une comparaison qui s’arrête donc à la période estivale. “C’est la seule chose qui le rapproche” de la mobilisation actuelle, estime Danielle Tartakowsky, à propos de cette fronde qui rassemblait, elle, près de 4 millions de gréviste à son apogée. On pourrait également citer les manifestations parisiennes de soutien aux sans-papiers qui occupaient l’église Saint-Bernard dans le Xe arrondissement de la capitale à l’été 1996.
De rares exemples, aussi différents soient-ils, qui montrent toute la difficulté de mobiliser les foules à partir du mois de juillet. Ce n’est pas un hasard si les organisations syndicales ou les leaders politiques attendent souvent la rentrée pour sonner le tocsin. Un principe général qui ne s’applique donc pas au mouvement actuel. Mais comment l’expliquer?
Sans doute par le caractère pressant d’un combat qui ne se joue pas uniquement sur le lieu de travail. Les opposants à la politique d’Emmanuel Macron face au Covid-19, comme les grévistes de l’été 1953, quand le gouvernement de centre-droit voulait réformer par décret-loi, luttent contre une disposition immédiate. Ajouté à cela que la question du pass sanitaire “crée une radicalisation que la France n’avait pas connue avec les autres épisodes de la crise sanitaire, comme le confinement”, constate Danielle Tartakowsky.
Pour elle, la fronde actuelle -qui s’observe également à l’étranger- répond à une “conjonction” de plusieurs facteurs et colères. “En France, on voit à la fois un phénomène de rejet du vaccin ou du pass en lui-même qui se conjugue avec le rejet très fort des méthodes politiques d’Emmanuel Macron”, note l’historienne.
Un mouvement qui s’inscrit dans une “grande instabilité politique et sociale au sens large”, selon ses mots. “Cela fait plus de deux ans qu’un mouvement en remplace un autre. On est sur des sables mouvants, avec des mobilisations qui se succèdent sans discontinuer sur plus de la moitié du quinquennat”, rappelle la spécialiste. Une situation, là encore, “jamais vue.”
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