Avec « Arthur Rambo », Laurent Cantet fait ressurgir l’affaire Mehdi Meklat
Dans le film d′1h30, c’est le convaincant acteur Rabah Naït Oufella (révélé en 2008 dans Entre les murs du même cinéaste) qui se glisse dans le rôle de Karim D. jeune écrivain au succès annoncé et dont le destin bascule en une nuit lorsque de violents messages antisémites, homophobes, racistes ou encore misogynes refont surface. En l’espace de quelques heures, l’auteur prometteur devient paria dans la sphère médiatique et littéraire comme dans le cercle de ses copains avec qui il a fondé une web-télé qui raconte la banlieue.
Si Arthur Rambo n’est pas un biopic, le scénario du film est largement inspiré de l’histoire de Mehdi Meklat. À partir de 2007, le jeune journaliste et écrivain forme avec Badroudine Saïd Abdallah le duo “les Kids”, écrit pour le Bondy Blog, co-signe le roman salué Burn out (2015), tient une chronique dans la matinale de Pascale Clark sur France Inter et fait à 24 ans la une de Télérama ou des Inrockuptiblesaux côtés de Christiane Taubira.
Mais au lendemain d’un passage dans l’émission La Grande librairie sur France 5 le 16 février 2017, la polémique éclate: Mehdi Meklat tient sur Twitter un compte sous le pseudonyme de Marcelin Deschamps, un “personnage fictif” s’excusera-t-il ensuite, où s’accumulent des milliers de messages vulgaires, obscènes et violents. La tempête médiatique se déchaîne. Certaines rédactions qui lui avaient donné la parole dénoncent des propos “odieux et inacceptables” (François Busnuel dans un communiqué). D’autres y voient, au mieux “les blagues nazes” d’un “gamin” (Claude Askolovitch dans Marianne), au pire la victime d’une “coalition numérique de la fachosphère” (Médiapart).
The Washington Post via Getty Images
“Osciller entre le rejet et l’empathie”
Lui qui était auditeur des Kids sur France Inter et lisait leurs articles “pertinents, intelligents et politiquement forts” avoue avoir été pris “de stupeur” en découvrant l’existence de ces tweets il y a 5 ans. “J’avais surtout du mal à recoller les morceaux, à me dire que ce gars intelligent et sensible avait pu écrire ça. Comment tout cela pouvait-il cohabiter dans un même esprit?” Persuadé que “le discours (…) n’épuiserait jamais le mystère du personnage”, il se dit qu’un film “pouvait tenter de le faire de manière plus sensible”.
Arthur Rambo se focalise sur les deux jours de l’éclatement de l’affaire. La concentration temporelle, la musique électronique de la productrice Chloé, les tweets qui surgissent sur les images, le montage très rythmé sont autant d’éléments de forme qui illustrent pour le cinéaste “notre époque, sa violence, sa vitesse.” Sur le fond, Laurent Cantet veille à ne jamais prendre parti ni obliger le spectateur à le faire, et c’est ce qui fait la réussite de ce film.
Memento Films Distribution
Outre le sort de Karim, la place des réseaux sociaux est évidemment au cœur de ce film: “Comment penser en 140 caractères? La brièveté d’un tweet gomme toute complexité, et cet effet est encore accentué par la profusion de messages qui s’enchaînent”. Une “simplification de discours” que le réalisateur voit comme “ce que les réseaux ont apporté de plus dommageable”.
Au fur et à mesure de sa chute, Karim D. est continuellement sommé de répondre à la même question: “Pourquoi as-tu écrit ça?” aussi bien devant les dirigeants de sa maison d’édition que les anciens collègues de sa web-télé, en passant par ses amis parisiens, sa petite amie ou sa mère. Mais ni eux ni les spectateurs du film ne sauront jamais vraiment pourquoi il a écrit ces tweets. “Et lui-même ne le saura sans doute jamais. Karim/Arthur Rambo devait rester une énigme pour nous, mais surtout pour lui-même”, poursuit Laurent Cantet.
“Même à la fin, tout reste sinon opaque, du moins ouvert. On le regarde se débattre dans une situation inextricable, un peu comme un entomologiste observe des comportements. Le film accepte de ne pas tout expliquer.” Et si cela laisse certes les spectateurs sur une fin abrupte, c’est aussi ce qui le maintient sur le fil d’un équilibre périlleux.
A voir également sur Le HuffPost: Obsèques de Gaspard Ulliel: Catherine Deneuve, Jérémie Renier… réunis une dernière fois
Laisser un commentaire