À l’heure où l’arrêt Roe v. Wade vient d’être révoqué, le site Crisis Pregnancy Center map, qui fait de la prévention contre les établissements de ce type, en a recensé très exactement 2548 en 2022. Leurs recherches sont basées sur l’examen des répertoires en ligne de cinq organisations nationales qui soutiennent les CPC (abréviation de Crisis Pregnancy Center). Le but de ce recensement? Avertir et orienter les femmes qui veulent avorter.
À titre de comparaison, seulement 1547 cliniques pratiquent réellement l’IVG en 2017, selon une étude du Guttmacher Institute, une ONG qui vise à améliorer la santé et les droits sexuels et reproductifs. The Time estime même que les faux centres sont aujourd’hui trois fois plus nombreux que les vrais dans une enquête sur les données collectées par les CPC.
Le Texas, un État “pro-life”, détient le triste record du nombre de fausses cliniques: 198. En Californie, historiquement ouverte à l’avortement, elles sont 148.
Aux États-Unis, tout ceci est légal. Ces centres sont des ONG financées par des organisations catholiques et par le gouvernement. Le problème, c’est qu’il est difficile de les différencier des véritables cliniques. Les médias relayent peu d’informations à ce sujet et beaucoup de femmes tombent dans le panneau. Ce qui peut avoir des conséquences dévastatrices.
Des promesses de dons et d’examens gratuits
Qui plus est, ils sont souvent placés stratégiquement, à côté des plannings familiaux, et le personnel revêt la blouse blanche. Jennifer, une Américaine de 38 ans qui a échappé à ces cliniques, s’est confiée à France 24: “Ils s’habillent comme des médecins, mais ils ne le sont pas. (…) Ce sont juste des gens avec de fortes convictions religieuses.”
C’est une fois à l’intérieur que les femmes découvrent les réelles intentions des CPC. “L’objectif, c’est de vous faire franchir le pas de leur porte, par tous les moyens possibles, pour ensuite tout faire pour vous dissuader d’avorter”, ajoute Jennifer. Les choses promises sur les devantures sont pour la plupart des mensonges. Selon une étude de Katrina Kimport, une professeure à l’Université de Californie à San Francisco, qui a interrogé 21 anciennes patientes sur les pratiques de ces centres, les fournitures pour bébé et autres dons et services gratuits s’échangent souvent contre la participation à des ateliers propageant un message religieux et anti-avortement.
Le piège idéologique se referme par tous les moyens possibles. Toujours selon France 24, les faux médecins n’hésitent pas à déformer la science, en affirmant, par exemple, que l’avortement augmente l’infertilité. Ils mentent, aussi, en prétendant que la grossesse est plus avancée qu’elle ne l’est réellement. Dernière corde à leur arc: ils jouent sur la corde sensible en faisant écouter les battements du cœur du bébé.
Ce n’est pas un hasard si sur son site officiel, Heartbeat international, l’association anti-avortement qui prétend être derrière 1800 des 2500 “faux centres”, affirme qu’elle œuvre “pour rendre l’avortement indésirable aujourd’hui et impensable pour les générations futures.”
20% des CPC reçoivent de l’argent public
Mais les CPC reçoivent aussi l’argent du contribuable. À la fin des années 1990, les conservateurs leur ont fourni des fonds publics pour lancer des programmes de prévention des risques sexuels et des alternatives à l’avortement. Près de 20% des CPC les reçoivent désormais, affirme The Time. Le journal américain cite aussi un rapport rendu en 2021 du cabinet de recherche Equity forward: douze États versent chaque année jusqu’à 8 millions de dollars à ces fausses cliniques. Le Texas – encore lui – fournit jusqu’à 50 millions de dollars par an. Un État où il y a une vraie clinique pour dix CPC.
The Time a également soulevé un autre problème: les données collectées par ces centres – et plus particulièrement par les groupes anti-avortement qui les pilotent – pourraient servir à d’autres fins. Surtout que la plupart des CPC ne sont pas des cliniques médicales agréées, ils ne sont donc pas tenus de respecter les lois fédérales sur la confidentialité des données de santé.
Les informations récupérées concernent des antécédents sexuels et reproductifs, les résultats de tests, les photos d’échographie ou les informations partagées lors de consultations. Ces bases de données pourraient être utilisées comme preuves dans le lancement et la poursuite d’actions en justice – par exemple contre une femme qui a souhaité avorter dans un État l’interdisant.
Les femmes tentent de dénoncer ces centres sur les réseaux
Certaines femmes, pour la plupart rescapées de ces fausses cliniques, se sont associées pour lutter contre les CPC, notamment via les réseaux sociaux. Jennifer a par exemple dénoncé un centre à Buffalo, dans l’État de New York, devant lequel elle a manifesté trois fois au mois de mai – tout en le relayant sur la toile – et révèle à France 24 avoir dissuadé des personnes qui souhaitaient s’y rendre pour avorter.
Se tromper est chose aisée. Dans les 13 États qui devraient interdire rapidement l’avortement, près de 40% des recherches effectuées sur Google Maps pour “clinique d’avortement près de chez moi” et “pilule d’avortement” ont conduit à des CPC, selon le Center for Countering Digital Hate, une organisation de recherche sur la désinformation.
Les défenseurs du droit à l’avortement tentent de faire savoir aux femmes les pièges à éviter: non, il n’y a pas d’échographie gratuite. Non, ces personnes ne sont pas des médecins. Non, vous ne pourrez pas avorter dans ces cliniques. Un autre signe qui doit alerter selon Jennifer: “Les phrases comme ‘Pourquoi il faut choisir notre établissement’ et pas ‘Le planning familial’. Une vraie clinique s’assurerait de vous donner toutes les options.”
Le 23 juin, les élus démocrates se sont joints aux militantes: ils ont déposé un texte à la Chambre des représentants pour combattre les fausses informations liées à l’avortement.
À voir également sur Le HuffPost: Les États-Unis (un peu plus) divisés après la révocation du droit à l’avortement