Cette abstention que nous ne pouvons pas laisser empirer jusqu’en 2022
Elle a été de 44,66% au premier tour et de 41,68% au second. Certes, le contexte sanitaire a beaucoup joué. Mais cette faible participation constitue une tendance lourde. En mai 2019, seuls 50,12% des inscrits ont voté aux élections européennes en France. En juin 2017, au premier tour des élections législatives, la participation a été de 48,70%. Au second tour, elle a été de 42,64%.
Les Français se désintéressent de plus en plus des élections, comme s’ils n’y croyaient plus. La défiance grandit, comme le soulignent les études du CEVIPOF et l’IFOP. Entre 2007 et 2017, les Français ont été appelés aux urnes 19 fois et la part des bulletins blancs et nuls est passée de 4,2% à 11,5%.
Les causes de cette défiance sont nombreuses. Le chômage de masse s’est installé dans le pays, les inégalités progressent, le pouvoir d’achat stagne, tandis que les fractures territoriales se creusent. Les dirigeants politiques successifs semblent incapables de faire face, et de représenter le pays dans sa diversité.
Au niveau national, le déséquilibre est ainsi frappant entre les pouvoirs octroyés au vainqueur de la présidentielle et les votes obtenus lors de cette élection. Pour en prendre la mesure, ce sont les résultats du premier tour qu’il faut regarder, car c’est à ce moment que les Français sont censés exprimer leur adhésion à un candidat et à son programme. En 2007, Nicolas Sarkozy a obtenu 31,18% des voix. En 2012, François Hollande 28,63%. En 2017, Emmanuel Macron 24,01%. Les trois derniers vainqueurs de la présidentielle ont été soutenu au premier tour par un socle oscillant entre un quart et un tiers des suffrages exprimés.
C’est peu, mais cela ne les a pas empêchés de gouverner sans partage, d’abord grâce aux pouvoirs considérables octroyés par la Constitution. Le Président est irresponsable politiquement et pénalement. Il ne peut pas être destitué, ou uniquement en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatibles avec l’exercice de son mandat. Il dispose -de droit- de la conduite des affaires militaires et diplomatiques et -de fait- via le gouvernement qu’il nomme, de l’initiative parlementaire, du pouvoir réglementaire et de la direction de l’administration.
Ces pouvoirs sont décuplés par le fait majoritaire, qui en font le maître de la majorité parlementaire. L’élection des députés agit comme un méga amplificateur par l’effet du mode de scrutin majoritaire et du calendrier, l’élection ayant lieu moins d’un mois après la présidentielle, au moment de l’état de grâce.
Le corps électoral s’en trouve déformé. Ce fut le cas en 2017, quand la majorité présidentielle a obtenu 350 députés, soit plus 60% des sièges, tandis que le Rassemblement national n’en obtenait que 8, soit à peine plus de 1% des sièges, ce qui est moins que le Parti communiste… Quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir de ce parti d’extrême droite, est-il normal qu’il soit si faiblement représenté à l’Assemblée alors que sa candidate est arrivée deuxième à la présidentielle?
Quoi qu’il en soit, en 2017, comme après chaque présidentielle, la majorité présidentielle est devenue parlementaire et est venue décupler la puissance des pouvoirs constitutionnels du Président, dont la marge de manœuvre politique est devenue considérable pour 5 ans.
Ce système a un mérite. En cas de crise grave, le Président français peut décider seul et rapidement des mesures à prendre, sans avoir à négocier pendant des jours avec le gouvernement et le Parlement. Mais il présente surtout des inconvénients. Le gouvernement est aux ordres, le parlement est soumis, et il n’y a donc plus aucune contre-pouvoir institutionnel, en dehors de la justice constitutionnelle, qui censure assez peu les lois, et des juges administratifs et judiciaires, dont l’indépendance est souvent questionnée, notamment en raison du cordon ombilical qui relit encore le parquet à la chancellerie.
Résultat, l’opposition démocratique ne peut s’exprimer que lors des élections, à travers l’abstention ou une montée du vote protestataire, notamment en faveur de l’extrême droite, qui est solidement installée au-dessus des 20% des voix depuis longtemps maintenant. Entre les élections, elle ne peut s’exprimer que de façon de plus en plus brutale, sur les réseaux sociaux et lors des manifestations.
La montée de la haine en ligne, des trolls fascistes et complotistes à la “cancel culture”, tout comme la violence observée lors des manifestations qui ont émaillé l’actuel quinquennat, notamment pendant le mouvement des “Gilets jaunes”, en sont les conséquences directes.
Comment y remédier? L’amélioration de la situation passe certainement avant tout par le retour de l’efficacité des politiques menées pour lutter contre le chômage, la baisse du pouvoir d’achat, les inégalités sociales et les fractures territoriales. Cependant, il semble tout aussi urgent de soigner notre système démocratique, pour le rendre plus équilibré.
C’était l’objet de la dernière révision constitutionnelle, en 2008. Nicolas Sarkozy, souvent qualifié d’hyperprésident, avait été à l’initiative d’une limitation des pouvoirs du Président, d’un renforcement de ceux du Parlement et de progrès dans la protection des droits fondamentaux, avec l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité et la création du Défenseur des droits.
Depuis, le texte constitutionnel n’a pas bougé. François Hollande a du renoncer à renforcer l’indépendance du parquet, faute de majorité, et Emmanuel Macron a reporté sine die son projet de révision, qui aurait eu le mérite de renforcer la participation citoyenne, le pouvoir des collectivités territoriales et l’indépendance de la justice.
Si cela ne semble pas évident, compte tenu du peu de temps restant avant la fin du quinquennat et de la situation sanitaire, économique et sociale, il serait cependant souhaitable que la procédure de révision de la Constitution soit relancée au plus vite, avant que le pays soit happé par la préparation de l’élection présidentielle.
Dans le même temps, la loi électorale pourrait être modifiée, pour tenir l’engagement présidentiel d’introduire une dose de proportionnelle dans le scrutin. Il me semble même souhaitable d’aller plus loin et d’assumer le changement complet du mode de scrutin. Ainsi, l’actuel scrutin uninominal majoritaire à deux tours pourrait céder la place à la représentation proportionnelle intégrale.
On connaît les critiques adressées à celle-ci. Elle ne permettrait pas la constitution de majorité stable et solide et rendrait ainsi le pays ingouvernable, comme sous la IVe République. Cet argument ne tient plus. D’une part, le Président de la République dispose de suffisamment de pouvoirs propres et d’une légitimité politique autonome pour diriger les forces armées, conduire la diplomatie et arbitrer les grandes décisions. D’autre part, l’urgence semble aujourd’hui de renforcer la représentativité du parlement, dont la composition ne reflète de moins en moins l’état politique du pays, en raison de la baisse la participation et des effets pervers du scrutin majoritaire.
La mise en place d’un scrutin proportionnel aurait le mérite de faire de l’Assemblée nationale le miroir des préférences politiques des Français, favoriserait le développement d’une culture du compromis et de la négociation et l’émergence de coalitions parlementaires et gouvernementales, comme c’est le cas en Allemagne, où la Chancelière gouverne efficacement le pays depuis 15 ans, en s’appuyant sur des coalitions rassemblant ses adversaires et concurrents.
Les modalités de ce scrutin proportionnel sont nombreuses, mais il semblerait souhaitable de prévoir un seuil d’au moins 5% pour avoir des élus à l’Assemblée, comme c’est le cas en Allemagne. Il pourrait aussi être envisageable de régionaliser le scrutin, en s’appuyant sur les régions existantes ou en prévoyant des circonscriptions plus grandes, afin d’assurer la diversité territoriale des élus.
Cette réforme aurait le mérite de la simplicité et de la clarté pour les électeurs, qui renoueraient alors certainement avec la participation électorale aux élections législatives, conscients du poids et de l’influence de leur vote. Souhaitons que le Président de la République ait l’audace de faire cette réforme qui rendrait les Français maîtres de leur destin démocratique.
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