FAMILLE – Ce changement de nom, cela fait des années qu’Emma* en rêve. “Depuis la maternelle, je souhaite porter le nom de ma mère et pas celui de mon père, qui ne s’est jamais occupé de moi”, témoigne-t-elle. Comme elle, ils sont nombreux à avoir déjà tenté sans succès une demande de changement de nom. Le HuffPost a recueilli leurs témoignages.

À compter du 1er juillet, ce changement devrait être facilité. Porté par le collectif “Porte mon nom” et le député de l’Hérault Patrick Vignal (LREM), une loi permettra à chacun de changer son nom de famille une fois dans sa vie.

Une personne majeure pourra ainsi choisir de porter le nom de sa mère, de son père ou les deux. Un parent pourra aussi ajouter son nom, à titre d’usage, à celui de son enfant, en informant l’autre parent -auparavant, il fallait son autorisation. Si l’enfant a plus de 13 ans, son accord sera nécessaire.

“Le nom de mon père était lié à l’abandon et à la violence”

Le dossier d’Emma, auxiliaire parentale 26 ans qui vit en Île-de-France, est prêt depuis des mois. Depuis qu’elle est toute petite, elle n’écrivait que le nom de sa mère lorsqu’on le lui demandait. “Le nom de mon père était lié à l’abandon et à la violence, confie-t-elle. À l’école, la plupart des gens ne connaissaient pas le nom de mon père.

“C’est en 2018, lorsqu’elle décide de se marier avec son conjoint, qu’elle entame des démarches officielles pour changer de nom. “Je ne me voyais pas dire ‘oui’ à la mairie sous un nom qui pour moi n’était pas le mien, estime-t-elle. Et transmettre ce nom à mes éventuels futurs enfants, qu’il figure dans le livret de famille.

“Elle initie alors une procédure de changement de nom. Les démarches sont longues et coûteuses: constitution du dossier, publication au Journal Officiel, envoi de la demande au garde des Sceaux… Elle réunit tous les documents dont elle dispose. Elle n’aura la réponse que deux ans plus tard.

Celle-ci s’avère négative. Le courrier qu’elle reçoit indique que les documents fournis sont “insuffisants” pour établir que son père aurait “gravement et durablement manqué à ses devoirs parentaux”. Les attestations produites, selon l’administration, “ne permettent pas d’établir un réel préjudice et suffisamment grave en lien avec le port de (son) nom.

“Emma vit très mal ce refus. “Je n’avais pas assez de justificatifs pour prouver son absence, le fait qu’il ne payait pas la pension alimentaire, reconnaît-elle. Mais pour moi, c’était un motif légitime: je n’avais pas de père, pourquoi je porterais son nom?”

“Un vrai parcours du combattant”

C’est également l’absence et la violence de son père qui ont conduit Thierry*, 32 ans, à vouloir prendre le nom de sa mère. “Les seuls moments où il a été présent, ça a été pour donner des coups, raconte au HuffPost ce salarié qui vit à Clermont-Ferrand. C’est une personne raciste, homophobe, tout l’opposé de ma mère, en fait.”

“Mes parents étaient mariés, on vivait ensemble, raconte-t-il. Mais pour tout ce qui était devoirs, repas, suivi scolaire, vie quotidienne, c’était ma mère. Il ne s’est jamais occupé de rien. Pour lui, les enfants étaient là quand il fallait mettre des coups de poing, des coups de pied, de bâton ou de martinet. Mais il n’y avait que ça.”

Cela fait une petite dizaine d’années qu’il souhaite prendre le nom de sa mère. Mais après s’être renseigné, il a été découragé par les démarches à effectuer. “C’était impossible, estime-t-il. La réponse, vous pouvez mettre jusqu’à 4 ans pour l’obtenir et dans 90% des cas elle est négative. C’est un vrai parcours du combattant.”

Lorsqu’en 2021, son envie de changement de nom devient une nécessité dans son esprit, il tombe sur le collectif “Porte mon nom”. “Cette loi est arrivée au bon moment”, se réjouit-il. Si son choix ne fait pas l’unanimité dans sa famille, en particulier du côté paternel, il va lui permettre de “passer à autre chose”.

“Celui qui a été un géniteur n’est pas pour moi un père, puisqu’un père c’est quelqu’un à qui on porte de l’amour et surtout pas de la colère”, ajoute-t-il. Sa mère vient tout juste de divorcer de ce dernier, encouragée par ses trois enfants. Elle a également repris son nom de jeune fille.

“Remettre l’Église au milieu du village”

À l’origine du collectif “Porte mon nom”, Marine Gatineau Dupré s’est battue au départ pour ses enfants. Car comme plus de 80% des enfants nés en France (selon les chiffres de l’INSEE pour 2019), ils ont pris uniquement le nom de leur père à la naissance. Auquel elle souhaite ajouter le sien, chose impossible avant la loi sans l’autorisation de l’autre parent.

Alexandra, 45 ans, assistante RH à Epinal, vit une situation similaire. À la naissance de sa fille, il y a 18 ans, la question du nom se pose mais est évacuée rapidement avec son ex-conjoint. “On n’était ni mariés ni pacsés, raconte-t-elle. On s’est dit: ’Bof, on ne va pas mettre les deux noms, à quoi ça sert? On venait de faire un enfant, on ne pensait pas du tout qu’un jour on se séparerait.” Ce qui se produira pourtant finalement 3 ans et demi plus tard.

Le fait qu’elle ne porte pas le même nom que sa fille devient rapidement une source de frustration. ”À l’aéroport, j’étais sans cesse obligée de me justifier, j’étais sans cesse confrontée à des questions de type ‘Mais vous êtes la maman? Vous avez votre livret de famille pour le prouver?’, raconte-t-elle. L’école avait tendance à appeler le parent qui porte le même nom….”

À son désir d’être “reconnue comme maman” s’ajoute un élément qui provoque chez elle un “déclic”: le jour où son ex se marie avec une autre femme, qui décide de prendre le nom de son mari. “Elle s’appelle donc aujourd’hui comme ma fille, résume Alexandra. Elle n’a jamais à justifier qu’elle n’est pas la mère ou non. Elle peut partir avec ma fille sans qu’on lui demande quoi que ce soit. Ça a été vraiment dur.

“Comme sa fille vient d’avoir 18 ans, elle va faire la démarche de changement de nom elle-même. Elle va ajouter le nom de sa mère après celui de son père. ”Ça va remettre l’Église au milieu du village, remettre les choses carrées, souligne sa mère. Elle est née d’un père et d’une mère et elle aura le nom de son père et de sa mère.”

“Je n’arrivais pas à lui dire comment il s’appelait”

Sonia, dans les Hauts-de-France, ne s’est pas non plus posé la question du nom à la naissance de son fils. En cours de divorce, cette assistante maternelle de 42 ans a “vécu un enfer pendant cinq ans” de vie commune avec son futur ex-mari.

“Il m’a fait subir toutes les violences qui puissent exister: physiques, sexuelles, financières, économiques, expose-t-elle. En 2018, un drame déclenche leur séparation. “La reconstruction est très lente et difficile. “Jusqu’à l’âge de 3 ans et son entrée à l’école, je n’arrivais pas à lui dire comment il s’appelait, raconte-t-elle. Je ne l’appelais que par son prénom.”

Alors que son fils vient d’avoir 4 ans, elle souhaite qu’il porte les deux noms, mais le père refuse de donner son accord. “Je veux lui donner l’opportunité de pouvoir adopter mon nom définitivement à sa majorité s’il le souhaite, sauf s’il préfère garder les deux”, explique-t-elle.

Ce 1er juillet, elle va entamer la démarche de changement de nom pour son fils.

*Les prénoms avec des astérisques ont été modifiés à la demande des personnes interviewées.

À voir également sur Le HuffPost: Le double nom de famille à la naissance, le combat du collectif “Porte mon nom”

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