Claire Thoury : « La partition politique en trois blocs va nous obliger à construire une société du compromis »
Les associations ont été nombreuses à faire entendre leur voix sur les risques d’une majorité d’extrême droite pendant la campagne des législatives, participant pleinement au sursaut républicain du 7 juillet dernier.
Face au danger toujours présent des idées véhiculées par l’extrême droite, la société civile organisée et les corps intermédiaires peuvent jouer un rôle clé dans l’apprentissage de la nécessaire construction de compromis par le monde politique. Une nécessité si l’on veut sortir de l’hyper verticalité et centralité du pouvoir qui nous a menés dans le mur, plaide Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif.
Quelle analyse faites-vous des résultats des élections législatives anticipées des 1er et 7 juillet ?
Claire Thoury : Les résultats du deuxième tour sont tout d’abord l’expression du refus de l’extrême droite. Mais ils ont aussi mis en lumière le besoin des citoyennes et citoyens d’être entendus et écoutés. La demande de refondation de notre fonctionnement démocratique est un point majeur.
Comment y parvenir ?
C. T. : Les associations, au nombre d’environ un million et demi en France, jouent un rôle considérable et irremplaçable dans le débat et le fonctionnement démocratique. Parce qu’elles permettent des rencontres entre personnes d’horizons différents, elles constituent des lieux où se construisent des compromis.
Elles sont des actrices essentielles de l’éducation populaire, de la vie culturelle, sportive, etc. Partout, elles jouent un rôle d’animation, dans tous les territoires. Sans elles, sans ce pouvoir d’agir qu’elles procurent, notre société ne pourrait tout simplement pas fonctionner.
Ce scrutin exprime aussi un rejet de l’hyper verticalité et de l’hyper centralisation du pouvoir de ces dernières années, qui a vu les corps intermédiaires être méprisés et écartés de la décision. La partition de l’échiquier politique en trois blocs va nous obliger à débattre, à construire des compromis, à écouter l’autre et à co-construire les décisions. Elle contraint à une forme d’humilité.
C’est un changement qui peut générer des expériences intéressantes. Rappelons que les gens souhaitent être associés aux décisions qui les concernent. Dans les territoires, les associations construisent des solutions concrètes à partir de situations vécues. On a impérativement besoin que les politiques se mettent à hauteur de femmes et d’hommes, de travailler davantage avec les citoyens, les corps intermédiaires, les élus locaux.
On peut construire une société du compromis, où l’on est capable de se mettre à la place de l’autre, de laisser de la place à des gens qui ne pensent pas comme soi.
Avez-vous un message à faire passer au prochain gouvernement ?
C. T. : Ce que je veux leur dire, c’est qu’ils ne pourront plus faire comme ils ont fait jusqu’ici. Nous devons travailler à partir d’analyses beaucoup plus fines des besoins, des frustrations et des envies de nos concitoyens. D’où le rôle clé de l’échelon des corps intermédiaires que j’ai déjà mentionné.
Alors que le vote RN ne cesse de progresser, le prochain gouvernement devra œuvrer avec la société civile à l’avènement d’une société plus apaisée, qui passera aussi par plus de justice sociale, un meilleur fonctionnement démocratique et plus de services publics.
L’enjeu est colossal, il impose l’humilité, et personne ne pourra nous sortir seul de cette situation. Il faut travailler avec le tissu associatif, éprouvé sur le terrain et au service de la transition écologique. Je ne dis pas que les associations ont toutes les réponses, mais elles disposent d’expertises sectorielles très précieuses dans tant de domaines : jeunesse, environnement, justice, culture, sport, tourisme social, etc.
De la même façon, des dispositifs très intéressants ont été expérimentés depuis 2017 pour associer davantage les citoyens mais sans débouchés, ce qui est terrible. Je pense bien sûr aux cahiers de doléances qui ont été le réceptacle de la colère et des souhaits des citoyens, qui contiennent certainement une grande partie des réponses à la situation sociale et politique actuelle, mais auxquels nous n’avons pas accès.
Quelles méthodes de gouvernement adopter ?
C. T. : On a besoin de repolitiser, c’est-à-dire d’accepter la complexité et le conflit, d’analyser les points de divergence pour ensuite rechercher des points de convergence, où personne ne gagne et personne ne perd. On ne peut pas se contenter de se reposer sur nos acquis.
Nous avons la possibilité aujourd’hui de reconstruire une nouvelle manière de travailler, d’apprendre à faire de la nuance une force. Je m’appuie pour faire ce constat sur mon expérience de la Convention citoyenne sur la fin de vie. On nous a alors donné l’opportunité de construire une méthode.
Avec beaucoup de travail, nous avons réussi à construire un compromis. C’est une aventure très enthousiasmante, qui donne beaucoup d’espoir. Changer de façon de travailler sera long et difficile, mais c’est indispensable pour construire une société plus apaisée.
Quelles contributions peut faire la société civile dans la situation actuelle ?
C. T. : La société civile joue un rôle très important. Remontent à travers elle beaucoup de souffrance et de colère mais aussi beaucoup de solutions, de joie et d’espoir. Nos organisations sont des espaces où on se parle, où on s’écoute, où on échange. Ils servent de réceptacles indispensables.
Ils permettent également de prendre le temps de reconstruire de la confiance, dans ce temps long de la nuance, des aspérités, du compromis, du débat. Pour ce faire, nous avons tous les ingrédients à notre disposition et nous pouvons nous appuyer sur la méthode issue des organisations de la société civile.
Le Mouvement associatif avait mis en garde contre les risques pour la liberté associative inhérents au contrat d’engagement républicain. Comment préserver aujourd’hui ces libertés dans un contexte de montée d’un parti d’extrême droite ?
C. T. : Notre demande reste la même mais se fait plus pressante. Nous devons abroger le contrat d’engagement républicain qui est un outil très dangereux contre le monde associatif. Les associations sont des espaces essentiels dont on a absolument besoin, leur liberté ne peut pas être entravée ou menacée.
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