Comment des idées de droite (voire d’extrême droite) se retrouvent utilisées par la gauche?
Résultat, le candidat à l’élection présidentielle se retrouve discrédité sur sa gauche, alors que l’extrême droite, qui avait applaudi sa proposition, dénonce aujourd’hui sa lâcheté. Un épisode perdant-perdant donc pour Arnaud Montebourg qui s’explique en partie par une forme d’entrisme au sein de son entourage.
Comme le rapporte Politico ce vendredi 12 novembre, l’ancien ministre du redressement productif s’est entouré de profils très droitiers pour sa troisième campagne présidentielle. Parmi eux, François-David Cravenne et Jérôme Doncieux, deux conseillers issus des rangs de la sarkozie, jugés en interne responsables de cet écart du candidat.
Une fenêtre et des précédents
Mais cela n’explique pas tout. Car en réalité, Arnaud Montebourg n’est pas le premier à trébucher sur la “triangulation”, du nom de cette tactique politique périlleuse importée des États-Unis consistant à occuper le terrain de l’adversaire pour mieux l’affaiblir. Il y a quelques mois, c’était le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, qui faisait hurler les siens. En cause, sa proposition formulée en marge d’un rassemblement de soutien aux forces de l’ordre: accorder un “droit de regard” aux policiers sur les décisions de justice. Ce qui revient peu ou prou à remettre en cause la séparation des pouvoirs. Même scénario: un tollé et un mea culpa gêné.
Avant lui -dans des conditions certes particulières- c’était François Hollande, alors président de la République, qui avait provoqué le malaise de son camp en reprenant le concept de déchéance de nationalité comme réponse aux attentats du 13 novembre. Mais alors, pourquoi ces responsables de gauche reprennent-ils des idées venant de partis qu’ils sont censés combattre, et qui finissent par se retourner contre eux?
Parmi les explications plausibles, le concept de la “fenêtre d’Overton” (ou “fenêtre du discours”). Joseph Overton, un lobbyiste libéral américain décédé en 2003, utilisait cette allégorie pour désigner ce qui est acceptable (ou non) dans un débat public. Et plus la fenêtre est élargie via des propos transgressifs tenus dans les médias (ce qui arrive à peu près quotidiennement avec les buzz médiatiques provoqués par Éric Zemmour), plus le spectre des idées jugées raisonnables à cet instant T est grand.
“Faire tomber les tabous”
Ce qui, dans un contexte où la parole réactionnaire et xénophobe paraît de plus en plus décomplexée, conduit des personnalités de gauche à emprunter des idées et des terminologies jusque-là jugées interdites. Un phénomène déjà observé dans d’autres pays, notamment en Italie. ”C’était la stratégie rhétorique de la Ligue du Nord. Tenir des propos outranciers, être systématiquement dans la surenchère dans le but de rendre acceptables un certain nombre d’idées, en élargissant la fenêtre”, explique au HuffPost Lynda Dematteo, chercheuse à l’EHESS.
Et d’ajouter: “ces transgressions ont pour but de faire tomber les tabous, et c’est manifestement ce que l’on observe aujourd’hui”. De fait, la levée de boucliers et le psychodrame interne provoqués par la sortie d’Arnaud Montebourg montrent effectivement que le candidat s’en prenait à un tabou encore tenace au sein de sa famille politique. Pour autant, comme Olivier Faure avant lui, il a fallu qu’il subisse une avalanche de critiques pour s’en rendre compte. Ce qui révèle un autre écueil dans lequel semble être tombé le chantre du made in France: “l’effet des sondages sur les stratégies politiques”, souligne Lynda Dematteo.
“Les discours des politiciens sont de plus en plus dictés par les sondages, donc dès qu’ils voient que des idées fonctionnent, ils se les approprient plutôt que de les combattre”, observe-t-elle. De fait, avec sa proposition détonante, Arnaud Montebourg a davantage contribué à diffuser cette idée défendue par Marine Le Pen et Éric Zemmour, que lutté en faveur de l’objectif qu’il dit poursuivre. “Je me suis fait engueuler par ma famille qui le fait, qui transfère de l’argent à des grands-mères”, a-t-il regretté ce vendredi. Confirmant une information de BFMTV, Le HuffPost a appris que les deux conseillers mentionnés plus haut ont été écartés de la campagne d’Arnaud Montebourg. Reste à savoir si cela sera suffisant pour échapper aux dangers liés à l’élargissement de la fenêtre d’Overton.
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