Comment faire face aux théories du complot à l’heure du Covid-19 – BLOG
Depuis une dizaine d’années, le développement des réseaux sociaux a encore accentué leur visibilité et augmenté leur ampleur. Il en existe aujourd’hui des centaines, des plus classiques aux plus farfelues, comme cette croyance selon laquelle le monde serait gouverné par les reptiliens ou encore cette théorie qui prétend que l’Australie n’existerait pas.
Ces théories se basent en partie sur des informations fausses, les fameuses “fake news”. En 2018, une équipe de chercheurs du MIT a réussi à montrer qu’une fake news avait 70 % de chances en plus d’être partagée qu’une information vraie, notamment sur Twitter. La raison serait la suivante: elles suscitent davantage d’émotions comme la surprise, le sentiment de nouveauté, la peur ou le dégoût. Par ailleurs, les fake news à caractère politique se propagent trois fois plus vite que les autres, avec toutes les conséquences que l’on imagine. On sait par exemple que les fake news concernant Hillary Clinton ont joué un rôle décisif dans l’élection de Donald Trump en 2016. On leur attribue également l’élection du président brésilien Jair Bolsonaro en 2018. Lui et ses fils ont en effet utilisé le réseau Whatsapp pour diffuser à l’échelle nationale une information concernant un manuel d’éducation sexuelle qui aurait été diffusé par la gauche dans les écoles pour éduquer les enfants à l’homosexualité. Ce manuel n’a en réalité jamais existé.
Les complots au quotidien
J’ai tout de même fait l’effort de la regarder jusqu’au bout. Je tombai alors sur une faille qui portait un coup définitif au délire paranoïaque de Mr Schaller. Il affirmait que Bill Gates avait tué des centaines d’enfants en Afrique avec le vaccin contre la malaria. Or, j’avais effectué un voyage de deux mois en Afrique et je savais que ce vaccin n’existait pas. Comment un vaccin peut-il faire des centaines de morts s’il n’existe pas? Et pourquoi mettre des morts imaginaires sur le dos de Bill Gates? Je me donnai ensuite deux semaines pour décortiquer la vidéo et j’envoyai ma réponse à cet ami via un document détaillé. Il me remercia et me dit qu’il avait beaucoup appris. J’étais satisfait, et soulagé… Il semble donc que faire l’effort de déceler les fausses informations au sein des théories du complot, tout en évitant de stigmatiser la personne soit une bonne méthode. Plus tard, je décidai de partager cette expérience avec mes étudiants dans le cadre d’un de mes cours sur l’esprit critique, les biais cognitifs et l’analyse de l’information.
Décoder les théories du complot
Depuis des années, des théories complotistes accusent les vaccins de causer l’autisme, des paralysies ou encore la sclérose en plaques. On leur reproche notamment de contenir de l’aluminium. Or, on sait que l’aluminium peut être nocif pour la santé. Prises séparément, ces deux affirmations sont donc vraies. Par contre, prises ensemble, elles laissent penser que les vaccins seraient dangereux pour la santé, ce qui est faux. L’aluminium est utilisé comme adjuvant dans certains vaccins pour favoriser la réaction immunitaire et il est connu qu’à des doses importantes l’aluminium peut avoir un effet neurotoxique. Mais la dose présente dans les vaccins est jusqu’à dix fois moins élevée que la quantité d’aluminium que l’on absorbe quotidiennement via notre alimentation par exemple, ce qui rend impossible tout effet toxique via un vaccin.
Pour couper l’herbe sous le pied des complotistes, on peut préciser que ceux qui travaillent actuellement sur un vaccin contre le Covid-19 ne prévoient de toute façon pas d’utiliser d’aluminium. Certains groupes anti-maques mélangent également le vrai du faux lorsqu’ils prétendent que le fait de porter un masque serait dangereux, car il concentrerait le CO2 que l’on expire. En effet, le taux de CO2 augmente bien dans les masques, car nous expirons du CO2 à l’intérieur de celui-ci. Cela peut s’avérer gênant lorsqu’on n’a pas l’habitude, comme nous en avons tous fait l’expérience. Mais la réalité est que cette augmentation est beaucoup trop faible que pour être à l’origine d’une intoxication. Il a ainsi été démontré que le fait de porter un masque ne modifiait pas la quantité d’oxygène dans le sang. Dans le cas contraire, on voit mal par exemple comment des chirurgiens pourraient opérer plusieurs heures d’affilée avec un masque.
Les complotistes ne croient pas au hasard
Ce qui doit retenir notre attention
Les personnes qui croient aux théories du complot consultent peu les sites de fact checking et ils sont très critiques envers les médias traditionnels dits “mainstream”. Mais ils ne le sont pas du tout envers les médias complotistes qu’ils consultent abondamment. Ils sont donc victimes d’un puissant biais de confirmation en s’enfermant dans un univers médiatique limité à Internet, et ne considèrent souvent comme valables que les informations qui vont dans leur sens.
Des travaux ont également montré que les complotistes ont souvent une estime d’eux-mêmes assez faible, sont peu satisfaits de leur vie et croient que “le système” est la cause de leurs problèmes. Ce sentiment de posséder la vérité et le besoin d’avoir raison devient alors un moyen de se valoriser, comme une sorte de revanche. Les communautés qui se créent autour des théories complotistes procurent également du soutien et un sentiment d’appartenance.
On le constate aux USA dans les groupes qui croient que la terre est plate (les “flat earthers”) ou chez les adeptes de QAnon par exemple, qui se montrent soudés sur Internet ou à travers l’organisation de meetings. Les psychologues Patrick Leman et Marco Cinnirella ont également constaté que les complotistes confondent souvent cause et conséquence et pensent qu’il ne peut y avoir de conséquences majeures sans cause majeure. Par exemple, pour eux les effets de la pandémie actuelle sont si importants qu’elle ne peut être que l’œuvre d’un énorme complot destiné à nuire à la population mondiale. C’est notamment ce que laisse entendre le documentaire “Hold Up”, relayé abondamment sur les réseaux sociaux depuis quelques jours. Dans le même ordre d’idées, si en 2015 Bill Gates évoquait les risques d’une éventuelle future pandémie, c’est forcément qu’il a orchestré celle qu’on connait actuellement.
Enfin, une méthode qui peut être utilisée pour détecter et remettre en question les théories du complot est le fait de relever leurs nombreuses contradictions. L’une tentera par exemple de nous convaincre que le Covid-19 n’existe pas alors que l’autre nous expliquera que ce virus n’est pas plus dangereux qu’une grippe. L’une nous dira que le réchauffement climatique est un canular et l’autre tentera de nous démontrer que la pandémie est un complot organisé pour réduire la population mondiale afin de réduire le réchauffement climatique. Difficile d’y trouver de la cohérence. La réalité est que ces théories surfent sur nos ignorances, nos incertitudes et nos angoisses. Elles surfent aussi sur les incertitudes des scientifiques qui doivent faire face à un phénomène nouveau qui prend du temps à être étudié et compris. Mais là où les théories du complot cherchent à imposer des certitudes et proposent des réponses simples à une situation complexe, la science avance par petits pas et laisse toujours de la place au questionnement. À nous désormais de nous donner les moyens pour pouvoir faire la part des choses entre les deux.
À voir également sur Le HuffPost: Deux solutions contre les Fake News
Laisser un commentaire