Comment les JO de Pékin 2022 sont devenus un piège pour la Chine
“Comme pour l’ensemble des puissances mondiales, le sport occupe une place importante de la diplomatie chinoise”, pose d’emblée Camille Brugier, spécialiste de la Chine à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. “Quand on aspire à être une grande puissance technologique, économique, diplomatique, comme veut l’être la Chine, le sport fait partie des atours dont il faut se doter”, confirme Marc Julienne, responsable de la Chine à l’Institut français des relations internationales.
Le “tournant” Pékin 2008
En clair, tenter de répliquer le succès des Jeux olympiques d’été de 2008, véritable “tournant” dans l’approche chinoise du sport, selon Camille Brugier. Préparés de longue date, tant par les investissements dans la construction d’infrastructure que pour former des athlètes de très haut-niveau, ces JO de Pékin cru 2008 ont effectivement marqué un moment charnière, la Chine devenant le premier pays en plus de 70 ans à devancer les États-Unis et la Russie (ou URSS) au classement des médailles.
La fin d’une hégémonie dont les bénéfices se font encore sentir aujourd’hui, la Chine s’était imposée depuis une trentaine d’année comme une place forte du sport olympique mondial. Et si elle peine pour l’heure à transposer ce succès en hiver, n’ayant pas de discipline aussi pourvoyeuse de médailles que le plongeon, le tennis de table ou la gymnastique, des efforts sur le short-track ou le ski freestyle commencent à porter leurs fruits.
Car la Chine n’a pas peur de déployer des moyens d’ampleur pour se faire une place à la table des grandes nations de sport et bénéficier du même rayonnement. Elle est par exemple en quête d’une influence grandissante au niveau des instance dirigeantes du sport mondial. Depuis novembre 2020, elle préside ainsi la fédération internationale de voile, soit l’une des 40 fédérations représentant des disciplines olympiques, et possède de plus en plus de vice-présidents dans ces institutions, le meilleur marche-pied vers la présidence. En plus, le pays étend aussi son réseau dans des sports plus confidentiels, mais en pleine progression, à l’image de nouvelles disciplines olympiques comme le skateboard ou l’escalade.
Le football comme Graal sportif
Et la Chine pousse aussi dans des sports majeurs, avec l’exemple parlant du plan qui doit mener l’équipe masculine de football à une victoire en Coupe du monde à l’horizon 2050. Un rêve un peu fou qui se concrétise par des décisions d’une ampleur jamais vue: ce sport est enseigné à des millions d’enfants à l’école, des dizaines de milliers d’académies ont ouvert en quelques années, des terrains qui surgissent de terre à une vitesse hallucinante… En clair, les moyens sont mis pour chercher à exceller dans le sport numéro 1 dans le monde. Et en ce qui concerne le très haut niveau, “l’idée est d’attirer dans le championnat chinois des joueurs et des entraîneurs renommés pour faire monter en gamme toute la discipline”, précise Marc Julienne.
À l’étranger aussi d’ailleurs, les Chinois veulent se faire une place. En Afrique par exemple, au travers de la construction d’infrastructures de qualité et notamment de stades, la Chine veut continuer à s’imposer comme l’interlocuteur privilégié des dirigeants locaux et à être vue comme un soutien bienveillant des populations. Tout en obtenant accessoirement, en échange de ces stades offerts gratuitement, des contreparties telles que l’exploitation de minerais, la prévalence sur certains marchés et un appui électoral dans certaines instances mondiales comme l’OMC ou l’ONU.
Et dans les championnats occidentaux, plus huppés, le pouvoir en place permet à certaines personnalités et groupes richissimes d’investir. Avec peu de succès sportif pour le moment -Sochaux ou Auxerre n’écrasent pas franchement le championnat français, et les aventures ont tourné court à l’Atlético Madrid ou à l’Inter Milan notamment-, mais une visée plus large. Chez franceinfo, Carole Gomez, spécialiste en géopolitique du sport et directrice de cherche à l’Iris expliquait récemment: “Xi Jinping a incité les chefs d’entreprise à investir dans le football en leur expliquant que le sport pourrait être une porte d’entrée pour s’insérer dans un marché européen ou international.”
Un boycott aux airs de “camouflet”
Mais cette belle dynamique et ces projets pourraient se retrouver mis à mal à l’occasion des JO de ce mois de février. “Ce qui était intéressant pour la Chine, c’est que jusqu’à présent, le sport n’était pas un sujet polémique. Mais il est en train de le devenir”, confirme Camille Brugier, de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire. Et cela s’est vu avec le boycott diplomatique annoncé par plusieurs pays occidentaux (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Japon, Danemark, Australie, Pays-Bas, Allemagne…) en réponse aux atteintes contre les droits de l’Homme, et en particulier les Ouighours.
Un véritable “camouflet politique” pour les autorités chinoises, assure Marc Julienne. Et Camille Brugier de corroborer, évoquant une “claque” avec l’absence des dirigeants mondiaux les plus importants lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux. “C’est d’autant plus symbolique que le boycott est suivi par toute une coalition d’États, y compris de grandes puissances mondiales et sportives, et que cela constitue donc une vraie une atteinte à l’image de la Chine”, poursuit le chercheur de l’Ifri.
Preuve d’ailleurs de l’impact de ce boycott, la réaction gênée de la Chine, qui a évoqué des “gesticulations politiques” et d’un “affront” contre son peuple. Par la voix du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Pékin a certes voulu ironiser sur la portée du geste: “Des politiciens américains montent en épingle un boycott diplomatique alors qu’ils ne sont pas même invités”. Mais Marc Julienne ajoute que le fait que la Chine ait émis dans la foulée des menaces de sanctions contre les pays refusant d’envoyer une représentation dénote d’un réel malaise.
La guerre de l’image
D’autant que cette action occidentale s’inscrit dans le contexte de l’affaire Peng Shuai, cette tenniswoman portée disparue après avoir accusé de violences sexuelles un ponte du parti communiste. “Le timing est on ne peut plus embêtant pour Pékin”, observe Marc Julienne. “Avec la mobilisation de tout le tennis mondial, la Chine n’a pas pu accuser les gouvernements qui lui sont hostiles car ce sont des joueurs et joueuses avec des millions de followers qui se sont exprimés.”
Et comme en plus l’affaire n’existait pas à l’intérieur des frontières, la gestion de la crise a été particulièrement ardue pour les autorités. “La Chine veut utiliser le sport et les grands événements pour diffuser une bonne image, mais c’est plutôt l’inverse qui se produit en ce moment”, conclut même le chercheur.
Alors pour éviter que les Jeux d’hiver ne se transforment en cadeau empoisonné et se résument à un échec chinois, Camille Brugier imagine déjà les autorités locales chercher à “sauver les meubles”. “Je pense qu’elles vont essayer de dévaloriser l’événement pour que la population se rende moins compte que l’événement a été boycotté et que ses athlètes ne sont pas forcément au niveau. Et en invoquant le Covid, elles se sont déjà assuré qu’il n’y ait personne dans les tribunes.”
Mais pour la chercheuse, il est d’ores et déjà garanti que l’événement ne sera pas une réussite en matière d’image, ni au niveau intérieur, ni à l’international. “La seule chose que la Chine ne pourra pas faire, c’est limiter la visibilité de la cérémonie d’ouverture”, prévient toutefois Camille Brugier. Facile dès lors d’imaginer une mise en scène de Xi Jinping auprès d’alliés de circonstance comme Vladimir Poutine, et une absence minimisées des leaders occidents. La preuve que la lutte pour le soft power se jouera jusqu’au dernier moment dans ces JO de Pékin 2022.
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