Comment réduire durablement le chômage
La situation actuelle du marché du travail le confirme : la pandémie de Covid-19 constitue un épisode extraordinaire dans l’histoire économique. Alors qu’au troisième trimestre de 2021 l’activité en France a tout juste retrouvé son niveau d’avant-crise, le niveau d’emploi dans l’Hexagone est quant à lui, et à la grande surprise des prévisionnistes, déjà significativement au-delà. A l’heure actuelle, on aurait donc besoin de plus de travailleurs pour produire la même chose qu’il y a sept trimestres !
Porté par cette bonne surprise sur le front de l’emploi, le chômage se situe actuellement à un niveau inférieur à celui d’avant la crise. Selon les prévisions de l’Insee, le taux de chômage devrait même atteindre 7,6 % de la population active fin 2021, niveau jamais observé depuis la crise des subprime de 2008. Cette amélioration récente sur le front du chômage repose donc sur la baisse de la productivité du travail qui, si elle s’avérait pérenne, faciliterait le retour au plein-emploi mais exclurait toute augmentation de salaires.
Tenir l’objectif mais changer de recettes
Lutter contre le chômage de masse doit continuer de faire partie des priorités du gouvernement. En combattant le chômage, on réduit l’exclusion et la pauvreté : dans une étude menée en 2010 pour l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes), l’OFCE indiquait qu’une hausse de 100 chômeurs pendant une crise économique conduirait à une augmentation d’environ 43 pauvres (au seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian) et d’environ 22 ménages allocataires du RSA-socle cinq ans plus tard. Mais si cet objectif doit toujours être présent, l’atteindre coûte que coûte à partir de recettes traditionnelles – comme une plus grande flexibilisation du marché du travail, une réforme de l’assurance chômage et du code du travail ou encore la baisse du coût du travail – comporte une face cachée qui n’est pas satisfaisante. Dans cette logique, les salariés supportent une part importante du risque en période de récession et ils ne bénéficient pas d’une amélioration de leurs conditions lorsque la conjoncture s’améliore. D’où une dégradation de la qualité des emplois créés, une fragmentation du marché du travail, des emplois de seconde ligne, et donc une montée des inégalités et du taux de pauvreté des travailleurs. Cette mauvaise répartition des richesses provoque par ailleurs une surabondance d’épargne qui pousse à la formation de bulles, financières et/ou immobilières, liées notamment au surendettement des foyers les plus modestes. C’est donc un modèle de croissance aussi instable qu’inégalitaire.
Les salariés supportent une part importante du risque en période de récession et ils ne bénéficient pas d’une amélioration de leurs conditions lorsque la conjoncture s’améliore
Une stratégie alternative, en quatre points, est de conserver l’ambition d’arriver au plein-emploi mais avec un partage équitable des bons emplois, sans discrimination selon le sexe ou l’origine. Le premier point de cette stratégie nécessite d’évoluer vers une conception de l’entreprise qui prenne en compte l’intérêt des différentes parties prenantes et se traduise par une nouvelle gouvernance de celle-ci, voire une forme de codétermination.
Deuxièmement, une politique de logement plus ambitieuse est nécessaire, notamment pour répondre au problème de mobilité constaté en France, qui est un déterminant du taux de chômage : avec plus de propriétaires et des loyers élevés, la mobilité sur le marché du travail est freinée dans l’Hexagone, notamment lorsqu’on se compare à l’Allemagne. Le fort taux d’effort pour se loger rend aussi difficile de vivre du revenu de son travail et induit une forte augmentation du mal-logement, elle-même source d’échec scolaire, de mauvaise intégration sur le marché du travail et d’absences répétées pour raisons médicales.
Enfin, la crise actuelle a touché plus particulièrement les jeunes et notamment ceux, au nombre de 250 000, qui cumulent études et emploi à temps partiel ou à temps plein. Or, aujourd’hui, la protection sociale couvre très mal la catégorie des 18-24 ans : plus de huit jeunes sur dix au chômage ne perçoivent aucune allocation chômage. Leur donner accès à un logement de qualité leur permettrait d’éviter une précarisation accrue et les aiderait à terminer avec succès leur parcours d’étudiants. Cette politique doit coupler des objectifs de long terme (construction de logements neufs pour les étudiants et les ménages modestes) à des objectifs de court terme de lutte contre l’inflation des prix de l’immobilier et des loyers (refonte de la taxe foncière, suppression des droits de mutation, garantie universelle, suppression des dispositifs de défiscalisation et d’aide à l’accession…).
Une stratégie est d’arriver au plein-emploi avec un partage équitable des bons emplois
En troisième lieu, il faut mettre en place une politique pour les jeunes décrocheurs : en France, environ 140 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans formation ni qualification et viennent alourdir le nombre de « décrocheurs sans emploi ne suivant ni études ni formation ». Cette catégorie, désignée par l’acronyme NEET, représente près de 2 millions de jeunes dont la moitié serait sans aucun diplôme. Ce fléau n’est cependant pas inévitable et il est urgent de fournir une diversité de solutions pour les jeunes décrocheurs d’aujourd’hui : parmi elles (école de la deuxième chance, service civique, apprentissage…), les emplois aidés jouent un rôle important. Pour être efficaces, ces derniers doivent être ciblés sur les NEET, ce qui permettra de réduire les effets d’aubaine, de diminuer les effets d’enfermement dans ce type de contrat et d’augmenter les gains d’employabilité. Par ailleurs, ces contrats doivent être d’une durée longue (au moins deux ans), dans le secteur non marchand, être associés à un volet de formation important, ciblés sur un métier d’avenir et peu éloignés des emplois auxquels le bénéficiaire est susceptible de postuler ultérieurement.
La nécessité d’une formation régulière
Mais il faut aussi prendre le mal à la racine et faire en sorte que dans l’avenir plus aucun jeune ne décroche. Selon les travaux du Collège de France, il est possible d’identifier près de 80 % des décrocheurs dès la dernière année de maternelle et le cours préparatoire. Il est donc nécessaire d’accentuer l’effort dès la petite enfance en développant les approches individualisées, en renforçant le tutorat au collège et en adaptant l’enseignement professionnel à ces jeunes non qualifiés. Ce qui implique d’y consacrer de manière urgente plus de moyens pour employer des enseignants plus nombreux, mieux formés et mieux rémunérés.
Enfin, et c’est le quatrième point, afin que ces citoyens restent dans l’emploi tout au long de leur vie active, l’accès régulier à une formation professionnelle qui permettrait d’améliorer les compétences des adultes, autre faiblesse structurelle de la France, est une nécessité dans un monde de plus en plus complexe et globalisé. Cette dernière devrait être davantage accessible aux salariés peu qualifiés et aux chômeurs et se concentrer sur des formations non académiques.
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