Comment tromper son cerveau pour perdre ses kilos durablement
Deux neurobiologistes, l’Américaine Sandra Aamodt et le Français Michel Desmurget, se sont ainsi demandé pourquoi, à l’issue d’une diète, nous reprenions presque à coup sûr nos kilos perdus. Tous les deux savent de quoi ils parlent. Sandra Aamodt a suivi son premier régime à l’âge de 13 ans. Michel Desmurget a, lui, testé plusieurs diètes hyperprotéinées. Sans succès. Tous deux ont perdu beaucoup de kilos, qu’ils ont repris à chaque fois. Ils ont ressenti la frustration, la honte parfois, de ne pas y être arrivés. Alors, comme deux boxeurs vaincus qui, de guerre lasse, décident finalement de se poser pour étudier précisément la tactique de leur adversaire, ils se sont mis à éplucher les études scientifiques.
Objectif: comprendre ce qui se passait en eux. Leurs conclusions sont étonnantes: nous avons tous une fourchette de poids programmée que notre cerveau va s’efforcer de retrouver si nous perdons trop de kilos. Pour lui, il n’y a pas de surpoids, juste un poids stable à défendre. Par tous les moyens.
Cet article vous est proposé par l’hebdomadaire La Vie, retrouvez d’autres contenus connexes à travers le dossier “Bien vivre avec les neurosciences”
Au cœur du processus: l’hypothalamus, une région située au centre du cerveau que Sandra Aamodt nomme “le thermostat du poids”. C’est là où se gère le système de régulation énergétique de notre organisme. “L’hypothalamus reçoit différents signaux du corps relatifs aux stocks de lipides, au taux de glycémie, aux apports en éléments nutritifs, aux rations alimentaires, etc.”, explique la neurobiologiste.
“En réponse, celui-ci agit sur la faim, l’activité et le métabolisme pour maintenir le poids corporel dans la fourchette visée par le cerveau.” Mais lorsque la diète est déclarée, et que les stocks de graisse sont entamés, c’est le branle-bas de combat là-haut. “Notre organisme possède une épatante capacité à nous préserver de la dénutrition, affirme ainsi Michel Desmurget. Mais celui-ci se révèle incapable de faire la différence entre famine subie et amaigrissement sciemment poursuivi.”
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Le courroux des défenses organiques
Pour cela, le cerveau va notamment réduire les mouvements inconscients, comme le fait de bouger nerveusement la jambe. Plus incroyable encore: il va s’arranger pour faire aussi bien avec moins en utilisant moins d’énergie qu’avant pour accomplir une tâche similaire. Cela ne suffit pas? Le cerveau attaque en provoquant l’effondrement de la quantité de leptine dans le sang, l’hormone de contrôle de l’appétit. Objectif: retarder le sentiment de satiété afin que nous ingurgitions davantage de calories. Il déconnecte même les capteurs d’étirement de l’estomac qui, en situation normale, nous indiquent que nous avons trop mangé…
Et la volonté dans tout cela? Nous comptions sur elle, l’arme fatale qui allait nous amener à la victoire, en nous aidant à surmonter la faim! Las, la plus grande des batailles est justement celle que notre cerveau va engager contre notre détermination (gérée par une zone située dans le cortex préfrontal). “Celui-ci va s’attaquer à sa propre organisation en se transformant en une véritable ‘machine affamée’, explique ainsi Michel Desmurget, il va modifier vos perceptions et vous deviendrez hyperattentif à la nourriture. Le morceau de pain abandonné sur la table, auquel vous n’auriez jamais prêté attention auparavant deviendra une obsession.” Vous pensez être capables de résister à la plus appétissante des pâtisseries? Sachez que cela ne devrait pas durer longtemps car la plus ferme des volontés est une ressource limitée…
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Tests autour d’un gâteau
La récompense et l’habitude
C’est alors que le piège tendu se referme tranquillement. “Nous parvenons à réprimer notre système d’équilibre énergétique en nous servant de notre volonté pour ignorer la faim, résume Sandra Aamodt, mais tôt ou tard, notre attention finit par se poser sur un autre problème. Dès que cela survient, le système d’équilibre énergétique nous force à manger plus et à bouger moins, et nous reprenons du poids. Lorsque notre poids est revenu dans la fourchette visée par le cerveau, notre appétit redevient normal. Mais à cause du temps que nous avons passé à réprimer et à ignorer la faim, nous sommes devenus moins réactifs aux signaux qui nous disent d’arrêter de manger. C’est l’occasion qu’attendaient les systèmes de récompense et d’habitude pour intervenir et prendre les choses en main, ce qui entraîne encore plus de prise de poids.“
Dans ces conditions, comment faire pour maigrir durablement? C’est là où les deux neurobiologistes divergent. Chacun a adopté une stratégie différente pour lui-même. Sandra Aamodt est doucement revenue à un poids stable grâce à une réflexion sur l’alimentation. Elle suggère de porter son attention sur la sensation de satiété, de prendre conscience aussi des motivations émotionnelles et culturelles de l’alimentation (voir l’encadré, ci-dessous).
Et de surtout s’accepter tel que l’on est, même si on ne ressemble pas aux mannequins des magazines. Ce qui revient à signer un traité de paix avec son cerveau.
La vie est courte
La stratégie des petits pas
”Pour perdre des kilos sans en reprendre, il faut adopter une stratégie de contournement. Incorporez des changements doux dans votre quotidien qui vous feront maigrir lentement mais durablement. Notre organisme est incapable de mesurer la quantité de nourriture et d’énergie qu’il ingère. Plus la portion proposée est grande, plus nous mangeons. Optez donc pour une vaisselle plus petite. Le cerveau déteste choisir: privilégiez un plat unique qui permet de servir des repas équilibrés en intégrant viande, légumes et féculents. Ne tentez pas non plus inutilement votre volonté. Le cerveau calcule rapidement le rapport effort nécessaire/plaisir obtenu. Cachez les aliments trop gras ou trop sucrés (n’en achetez plus à l’avenir). Le moindre effort peut vous faire renoncer: une étude a montré que le fait de devoir déballer un chocolat avant de le manger faisait chuter leur consommation de 40%. Même principe pour l’exercice: pas de sport à outrance mais de la marche quotidienne. Objectif: 10.000 pas par jour. Si vous vous sentez souvent fatigué ou avez faim tout le temps, prenez garde! Votre organisme a repéré vos petites manœuvres et le cerveau est passé en ‘mode guerrier’ pour vous faire craquer.” Par Michel Desmurget
Cet article a été écrit avec l’aide de Sandra Aamodt, neurobiologiste et journaliste américaine et Michel Desmurget, docteur en neurosciences.
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