Contre-vérité du RN n°5 : « La classe moyenne est écrasée par les impôts et ne touche rien »
« On oublie totalement les classes moyennes, qui bossent et qui payent pour tout le monde », se plaignait Jordan Bardella, sur CNews, en juin 2022. Un discours bien rôdé, qui tourne en boucle dans le logiciel du RN :
« Les classes populaires, les classes moyennes, tous ceux qui bossent, ont le sentiment qu’on tape toujours sur eux, que c’est toujours à eux qu’on demande des comptes, que c’est toujours à eux de payer », répétait-il sur le réseau social X le 17 mars 2023.
Ou encore, quelques semaines plus tard, sur les ondes d’Europe 1 : « Aujourd’hui, l’urgence, c’est de soulager la pression fiscale sur ceux qui travaillent, sur les classes populaires et les classes moyennes ». Et sa patronne, Marine Le Pen, de surenchérir dans Le Parisien, en avril 2023
« [Les classes moyennes] se retrouvent écrasées entre le marteau des prélèvements obligatoires et l’enclume de l’augmentation spectaculaire des dépenses contraintes. »
Plaindre les classes moyennes est sans doute payant électoralement, car tout le monde a l’impression de faire partie de cette France du milieu. Ce qui est bien pratique, notamment pour ceux qui veulent échapper à l’étiquette de Français « aisés ». Sauf que c’est bien évidemment mathématiquement impossible, comme nous l’expliquions dans cet article. Le problème, c’est que les « vraies » classes moyennes ne sont pas tant à plaindre que ça.
Côté impôts, elles ne sont pas plus « matraquées » que les autres. Toutes taxes confondues (impôts sur le revenu mais aussi TVA, cotisations sociales et prélèvement sociaux), les Français situés entre le 4e et le 6e décile des niveaux de vie connaissent un taux de prélèvement global de 42 %, très proche de celui des plus pauvres (39 %) et inférieur à celui des plus aisés (48 % pour les 10 % les plus riches, et 50 % pour le top 0,1 %). Pour plus de précisions, Alternatives Economiques a consacré un article au sujet.
Les classes moyennes gagnantes de la redistribution au sens large
Surtout, il faut bien réaliser que ces classes moyennes en ont largement pour leur argent. C’est ce que montre une étude de l’Insee sur la redistribution élargie, qui prend en compte tous les transferts publics : les impôts, les taxes, les cotisations sociales, les prestations sociales, mais aussi le rôle joué par les services publics.
On y apprend que les ménages médians (ceux qui sont pile poil au milieu, la moitié des Français étant plus riche qu’eux, l’autre plus pauvre) disposaient en moyenne de 30 680 euros en 2019. Les prélèvements leur en ont retiré 19 870 euros, mais les transferts qu’ils ont reçus par ailleurs ont été plus généreux : + 23 060 euros. Le gain net est de 3 090 euros par unité de consommation, ce qui représente tout de même 10 % de leurs revenus avant redistribution.
Si l’on prend en compte tous les ménages concernés, on arrive à une enveloppe collective de 37,4 milliards d’euros. Les vrais défenseurs des classes moyennes sont donc ceux qui défendent notre modèle social, pas ceux qui veulent baisser les impôts et tailler dans les dépenses sociales. Suivez mon regard…
Si l’on raisonne en termes de catégories socioprofessionnelles, c’est moins flagrant. Les professions intermédiaires, auxquelles on associe souvent la classe moyenne, contribuent davantage qu’elles ne bénéficient de notre système de redistribution. Sur un revenu annuel de 48 390 euros avant transferts, elles sont prélevées à hauteur de 28 240 euros et touchent en parallèle 16 500 euros. Ce qui s’explique tout simplement par le fait que le revenu moyen de cette catégorie socioprofessionnelle est plus élevé que celui des ménages qui se situent à la médiane.
Mais même avec cette définition, les classes moyennes ne paient pas « pour tout le monde », comme voudrait nous le faire croire Jordan Bardella. Les cadres, les indépendants et les chefs d’entreprise sont davantage mis à contribution (à hauteur de 29 010 euros sur un revenu avant transferts de 80 580 euros).
Les classes moyennes françaises bien traitées
Quant aux classes populaires « qui bossent », souvent associées aux classes moyennes dans la litanie antifiscale du RN, elles ne sont clairement pas perdantes : les ouvriers et les employés bénéficient en moyenne de 300 euros nets grâce à la redistribution. Un gain certes modeste (c’est l’équivalent de 1 % de leurs revenus avant transferts), mais qui reste un gain : ce ne sont pas eux qui payent pour les autres.
Et l’herbe fiscale n’est pas plus verte ailleurs. Selon une étude de l’institut allemand IFO, de l’université de Munich, le niveau d’imposition des classes moyennes n’est pas plus élevé en France qu’ailleurs en Europe. Pour faire des comparaisons internationales, ces chercheurs ont calculé le taux d’imposition effectif, soit la somme des impôts sur le revenu, des cotisations et des transferts sociaux rapportée au revenu disponible.
Verdict : pour ce qui concerne le cœur de la classe moyenne, c’est-à-dire les ménages disposant de 100 à 150 % du revenu médian national, la France affiche un taux effectif d’imposition de 16,8 %, proche de la moyenne européenne, et bien inférieur à celui des Allemands (25,6 %) ou des Danois (33,4 %).
Encore mieux : pour les classes moyennes inférieures, qui gagnent 75 à 100 % du revenu médian national, le taux d’imposition français devient négatif (- 4,9 %) grâce aux prestations sociales, contre 29,5 % au Danemark ou 12,9 % en Allemagne.
Bref, notre modèle social coûte peut-être un « pognon de dingue », mais cet argent n’est pas si mal dépensé. Surtout si l’on fait partie de cette fameuse France du milieu dont tout le monde se réclame.
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