17 mars-17 septembre, six mois se sont écoulés depuis mes premières lignes ici même…
Après avoir géré “la première vague” sur Paris, mes projets personnels m’ont guidée vers le sud où j’exerce désormais en tant que médecin généraliste remplaçante. Je me doutais qu’en arrivant ici je me retrouverais confrontée à “une” possible seconde vague mais je n’imaginais pas que celle-ci ressemblerait plus à des grandes marées qu’à un tsunami. Les courants sont forts, la marée, dangereuse et menaçante: si le drapeau est encore orange, le ciel devant nous s’assombrit, laissant présager le pire.
Une fois n’est pas coutume: j’aimerais tirer la couverture à nous, médecins généralistes. Nous qui avons, sans sourciller, géré la première vague en recevant, sans interruption, tous les patients ne nécessitant ni hospitalisation ni réanimation, soit l’immense majorité des cas. Vous savez, vous qui avez heureusement eu des formes “modérées” de ce covid-19: vous tous qui avez eu fièvres, frissons, courbatures, troubles de l’odorat, troubles du goût, diarrhées, avec ou sans problème respiratoire. Vous avez été nombreux, très nombreux: pourtant, vous n’appartenez à aucune statistique, à aucun rapport. En mars, nous n’avions aucun test à vous proposer, vous n’avez pas eu besoin de recourir aux plateaux hospitaliers, vous n’existiez pas aux yeux de nos dirigeants…
Néanmoins, nous, médecins traitants, vous avons surveillés comme le lait sur le feu, en consultation, en téléconsultation ou par téléphone, pendant des jours, des semaines, des mois, inquiets de l’évolution parfois si imprévisible de cette maladie que nous connaiss(i)ons si mal. Nous vous avons accompagnés comme nous avons pu et avons géré également, jour après jour, semaine après semaine, les modifications de recommandations, les rédactions -ô combien chronophages!- d’arrêts de travail, la mise à jour de nos connaissances, les réunions de concertations territoriales pour harmoniser nos pratiques et tenter de vous délivrer un message le plus clair et le plus simple possible. Dès le mois de mars, nous l’avons fait sans rechigner, sans compter nos heures, souvent sans masques, sans surblouses, sans tests. Certains en ont même payé le prix fort. En silence toujours, pour ne surtout pas déranger.
Puis notre activité a repris son cours classique et nous avons retrouvé dépressions, suspicions d’AVC, troubles du rythme cardiaque, suivis de maladies chroniques, suivis de nourrissons, médecine préventive, médecine des voyages, gynécologie, plaies, accidents de la vie courante… en plus du covid. Je ne me plains pas: la médecine générale trouve sa richesse dans sa diversité, et je mesure sincèrement la chance d’exercer ce métier que j’aime tant.
Pourtant, j’aimerais vous raconter une journée de consultations, hier:
- 3 enfants s’étaient faits renvoyer de leur école parce qu’ils avaient le nez qui coule, le directeur exigeait un certificat de non contagion.
– Un monsieur avait un collègue testé positif.
– Un autre avait maux de tête et courbatures.
– Une autre avait du mal à respirer: en négociant un scanner, on lui trouvera une embolie pulmonaire à seulement 34 ans… non, le covid ne touche pas que les autres ou les gens à risque…
– Un autre avait tous les symptômes d’un AVC: prochain rendez-vous d’IRM, fin novembre…
– Une dame âgée avec troubles cognitifs a fait une chute à domicile et est restée près de 2 heures allongée au sol.
En plus de tous ceux qui avaient dû prendre rendez-vous quinze jours avant pour trouver une place avec un médecin généraliste.
Pourtant, je m’étonne. Ecoutez. Ecoutez le silence. Tendez l’oreille. Vous n’entendez-rien? C’est normal. Nous, généralistes, assumons tout ça sans broncher, mais pour combien de temps encore?
En mars:
Les patients étaient malades? Avec ou sans masque, nous les avons reçus.
Les Français étaient inquiets? Nous les avons rassurés.
Les employeurs avaient besoin des arrêts de travail alors que personne n’aurait su dire où nous allions? Nous les avons rédigés.
Les territoires s’organisaient? Nous avons apporté notre pierre à l’édifice en assurant les urgences et les soins de premier recours.
Le gouvernement donnait des consignes de mobilisation exceptionnelle? Nous avons suivi.
Nous ne l’avons pas fait par besoin de reconnaissance mais par conscience, par obligation morale et je peux vous dire que je suis authentiquement contente de l’avoir fait… mais nous en sommes sortis fatigués, usés, inquiets, sûrement autant que d’autres de mes collègues dont personne ne parle non plus: les médecins biologistes, qui eux, ont dû rester sur le pont depuis l’arrivée des tests qui sont devenus la pierre angulaire de l’orientation des patients. SI je tiens à les saluer, c’est qu’eux non plus n’ont pas compté leurs heures mais qu’à l’aube de ces semaines à venir, eux ne se sont pas arrêtés. Ils n’ont même pas ralenti, ils ont accéléré… Combien de temps tiendront-ils?
Aujourd’hui, ces mêmes médecins biologistes font l’impossible pour dépister… pour que “nous” puissions isoler. Sauf que depuis mars, le confinement a été levé. Les enfants ont repris leur vie d’enfant et se transmettent gaiement rhino, angines, gastro et autres joyeusetés hivernales, tandis que les parents, eux, sont sommés d’aller travailler pour relancer une économie bien mise à mal par le confinement. L’éducation nationale, le ministère de la santé, le conseil scientifique peinent à trouver un message simple et clair, applicable à tous. Et non, pas facile de faire de la politique et de prendre des décisions quand les enjeux sont tels… et pourtant…
Aujourd’hui les consignes des uns ne sont pas compatibles avec celles des autres… Pour sécuriser l’école il faudrait tester tout le monde… mais on ne teste pas les enfants, alors comment faire pour les fratries? les parents? les cas contact? Nous ne tiendrons pas longtemps avec ce qui est déjà un casse-tête, mais qui sera aggravé par les épidémies à venir. Tout ne sera pas du coronavirus mais tous, vous devrez être examinés et je ne sais pas comment ce sera possible. Ce flux de patients qui va augmenter ne pourra pas être absorbé, ni par nous, ni par les urgences…
Entre nous: ce covid a-t-il fait autre chose que de “simplement” mettre en exergue les failles de notre système de santé, celles-là même que tous les soignants dénonçaient depuis des mois voire des années?
Qui ignorait que les urgences étaient en souffrance: la grève n’avait-elle pas débuté bien avant le coronavirus?
Qui ignorait que les EHPAD étaient à l’agonie: la canicule de 2013 n’avait-elle pas déjà souligné l’absence de ventilateurs?
Qui ignorait que les services de psychiatrie étaient saturés avec des mois d’attente?
Qui ignorait qu’il n’y avait plus de médecine scolaire, de médecine préventive?
Qui ignorait que les déserts médicaux gagnaient du terrain et atteignaient les grandes villes?
Qui?
Tout ça pour dire quoi? Tout ça pour dire que si nous ne trouvons pas une solution rapide, bientôt nous serons tous en danger, tant par la contagion que par la difficulté d’accès aux soins, que par le burn-out pour tous les personnels soignants tiraillés entre leur souhait de soigner le plus grand nombre et leur impossibilité physique et psychique à le faire…
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