Dana, DJ queer ukrainienne (basée en Belgique depuis sa tendre enfance), a en tout cas fait le choix de l’adopter. Je l’ai rencontrée avant le festival Celebration of Life, qui se tient à Anvers le 2 et 3 décembre prochain, pour passer en revue avec elle les Montana les plus célèbres et comprendre un peu mieux ce qui l’a poussée à adopter ce nom de scène.
Joey Montana
VICE : Avoue que t’attendais pas à celui-là en premier.
Dana Montana : Wow, non, pas du tout. La façon dont le gars arrive de nulle part. Oh my god, le latin lover… ce clip c’est vraiment quelque chose.
C’est un Panaméen.
C’est typiquement le morceau que mes potes latinos connaissent par cœur ou, tu sais, le truc que t’entends en boucle dans n’importe quel bar du coin. Le clip est vraiment drôle, c’est bien mieux que ceux qui se la jouent gros molosses pleins de testostérone.
C’est plein de couleurs, un peu comme sur ton Insta.
Quand t’es DJ, t’es un peu un·e artiste multidisciplinaire. Personnellement, j’ai toujours été intéressée par la mode, les beaux vêtements, j’ai étudié les arts visuels, j’ai toujours été une personne tournée vers ces médiums. J’ai commencé à sortir dans des soirées où tout le monde venait fringué·e. Les DJs sont des personnages très publics. Que l’on soit sur les réseaux sociaux ou non, quand on monte sur scène, il y a au moins une centaine de personnes qui regardent ta performance. Alors pourquoi ne pas faire d’efforts ?
Au quotidien aussi ?
À l’époque, j’allais bosser à mon job alimentaire sans trop m’en soucier. Même si j’aime bien mes vêtements colorés, je suis pas quelqu’un de tape à l’oeil au quotidien. J’aime bien faire mes affaires et qu’on me remarque pas trop.
Alibi Montana
Alors, en parlant de gros molosses pleins de testostérone en habits pas super funky…
On sent le clip du début des années 2000. Ça me fait vraiment penser aux vieilles vidéos que je mattais quand j’étais gosse, en Ukraine. Pour la plupart, c’était du rap avec beaucoup d’argent, des grosses voitures et, comme souvent, des femmes qui posent à moitié nues. Ça passait sur les chaînes publiques. Ce clip me ramène à cette période… mais j’ai jamais vraiment été à fond dedans. Que ce soit à cause de la violence qu’on y trouve ou de la représentation des femmes, je trouve ça limite.
C’est vrai que c’est souvent des guilty pleasure ces vidéos… T’en as quelques-uns toi ?
J’en ai eu plein dans ma vie. J’adore travailler en écoutant de la vaporwave. En fait, je collectionnais les albums de vaporwave à l’époque, j’étudiais la pub et on était souvent derrière l’ordi. On se tapait souvent des heures et des heures de devoirs sur Photoshop et je travaillais avec ces compilations dans mes oreilles. J’avais l’impression d’être une employée de bureau des années 1980. J’aime toujours ça, je trouve que l’esthétique et la musique sont vraiment funs. C’est agréable et ça te détend. Toute cette musique corporate qu’on recycle, comme la musique d’ascenseur… je pense que c’est un de mes plaisirs, pas forcément coupable. En tant que nerd de la musique, j’appelle ça par son vrai nom qu’est la easy listening ; c’est tout doux, comme la bossa nova.
Patsy Montana
Ça aussi c’est plutôt doux, dans un autre genre encore.
Je suis pas une grande fan de musique country ou de tout l’attirail des cow-boys. Ça n’a pas bien vieilli, ça n’a pas la meilleure réputation non plus. Mais ici, j’aime bien le fait que ce soit un vieux film. Je matte beaucoup de vieux films des années 1930 aux années 1960. Bon, j’ai vu mieux niveau jeu d’acteur·ices et de chanteur·ses… Mais visuellement, c’est toujours très intéressant. Quand j’étais petite, je voulais être mannequin, chanteuse pop ou actrice.
C’est resté ?
Non. Plus tard, j’ai eu envie d’être créatrice de mode. J’ai toujours voulu avoir un job glamour. Quand je vivais en Ukraine, je savais que ça allait être difficile pour moi de percer là-dedans, voire impossible. Mais je voulais être une artiste.
T’as atteint ton rêve de gosse ?
Si je montrais ce qu’est devenue ma vie à travers un film à la petite fille que j’étais, j’aurais du mal à y croire, même dans les rêves les plus fous. Je me souviens, l’été dernier, je suis allée à Paris pour jouer. C’était une de mes premières fois, j’étais seule toute la journée. Je suis allée aux Galeries Lafayette, j’avais jamais rien vu du genre de ma vie, je pensais que ces endroits n’existaient que dans les films ou les dessins animés. Le centre commercial le plus décadent que j’ai jamais vu. Quand je suis allée sur le toit, je pouvais voir la Tour Eiffel, tous les toits, toute la ville, comme dans les scènes de film. Je me suis assise et l’émotion m’a fait pleurer. J’avais l’habitude de dessiner des petites poupées avec la Tour Eiffel quand j’étais gamine. Je venais juste de réaliser que j’en faisais partie à ce moment-là et que je me produisais pour ces gens, que j’étais invitée et payée pour faire ça.
Hannah Montana
Voilà, sans doute l’une des plus connues de ma liste.
J’ai choisi mon nom de scène en référence à cette série, que j’adorais quand j’avais 11 ans. J’étais encore en Ukraine à l’époque, j’avais pas Disney Channel mais ça passait sur les chaînes nationales. À un moment donné, j’ai aussi eu ces cheveux blonds foncés, avec la frange et les mèches blanches au milieu. J’étais trop fière. Quand je suis arrivée en Belgique, j’avais même une clé personnalisée à son effigie et des draps de lit Hannah Montana. Je les ai gardés pendant 10 ans et j’ai continué à les utiliser Je me souviens que certains de mes exs se moquaient de moi.
Toi aussi, t’es une resta ?
De jour, je suis plutôt discrète, introvertie, du coup j’aime bien passer inaperçue. Je voudrais pas que ce soit intense tous les jours et être obligée d’être sociale tout le temps. Être seule, ne pas être reconnue dans la rue, ça fait du bien. Je suis heureuse quand les gens me reconnaissent mais c’est vrai que si j’ai l’air fatiguée, les cheveux en bataille, de mauvaise humeur, comme ces photos de célébrités quand elles font leurs courses et qu’elles se cachent derrière leurs lunettes noires… j’aimerais pas me retrouver dans cette situation. Si quelqu’un s’approche de moi et dit « Hey, c’est Dana Montana ! », je dirais «Hein, qui ? »
Ça t’est venu comment de te retrouver à mixer et à adopter ce style ?
J’ai commencé à m’intéresser à la musique électronique assez tard. Pendant mon adolescence, j’écoutais un peu de tout. Comme j’étais souvent sur Internet, un jour, je suis tombée sur du future funk, de la chillhop, tous ces genres recyclés. C’était ma porte d’entrée vers la musique électronique, mais j’y connaissais rien ni en techno ni en house. Tout a commencé quand je suis allée aux soirées Drag Me To Hell. À l’époque je sortais très peu. Avec des potes, on avait vu un flyer sympa dans un magasin. On m’avait dit que c’était un type de soirée assez folle sur Anvers, avec notamment des drag queens dans le public. On y est allé·es par curiosité. La musique était très sombre, j’étais pas habituée à ça mais l’ambiance était folle. Là, j’ai rencontré Mati Drome, l’organisateur, et ça a directement collé entre nous. Mon petit ami de l’époque avait rompu avec moi lors de cette soirée et j’ai passé le reste du temps assise sur une chaise à me morfondre de tristesse et, ironiquement, un an plus tard, je jouais l’un de mes premiers sets là-bas.
Après cette rupture, j’ai traversé une période douloureuse mais je dirais que ça m’a aidé à me redécouvrir en ressentant ce vide. Je regardais aussi pas mal Drag Race à ce moment-là et, dans la saison 1, il y avait Nina Flowers, une DJ drag. C’était tellement cool. Je voulais faire ça, être DJ et avoir des tenues extravagantes avant même d’y connaître quoi que ce soit en musique. Sans rien savoir, j’ai envoyé un SMS à Mati en lui demandant : « Comment est-ce qu’on se lance ? » Quelques mois plus tard, et après avoir suivi ses conseils, je lui ai envoyé un set et il m’a automatiquement bookée à ses soirées.
Dutch Montana
OK, on enchaîne avec ça ?
C’est cool, le rap japonais. C’est pas quelque chose qu’on écoute tous les jours. Ça ressemble un peu à du Tommy Cash, le genre d’artiste que j’écoute. C’est pas toujours mon truc mais c’est vraiment cool d’avoir des influences différentes dans tous ces genres.
Tu te retrouves confrontée à des chocs culturels quand tu mixes à l’étranger parfois ?
Je viens de rentrer de Colombie, c’est la troisième fois que je joue là-bas. Toute la culture, tout le concept de nightlife est bien plus important là-bas. T’as des quartiers, des districts entiers qui sont faits pour la teuf. Les gens y donnent plus de sens. La vie quotidienne n’est pas toujours facile dans certains coins, alors quand les gens peuvent sortir le week-end, ils en profitent vraiment. Et je pense que c’est la même chose dans beaucoup de pays. Les gens font plus d’efforts pour être se faire beaux, ils trouvent leurs propres moyens pour échapper à ce monde.
On change un peu de registre.
C’est le pire truc à avoir associé à son nom. Je suis végétarienne, du coup c’est difficile d’être impartiale. Mais on peut toujours voir le bon côté des choses. Les conserves changent la vie dans certaines situations, comme en ce moment avec la guerre en Ukraine. C’est la première chose que les gens reçoivent en cas d’extrême urgence pour faire des provisions.
French Montana
Lui aussi c’est un gros classique de la famille Montana.
La musique est assez horrible. Je veux dire, c’est drôle, mais t’as l’impression que ce plan de l’artiste en plein milieu d’un quartier défavorisé avec des enfants qui dansent autour, tu le retrouves tout le temps. Non, c’est vraiment pas mon truc mais si je devais lui donner une note, je dirais 10/10 pour les danseurs, qui déchirent, et 0/10 pour la musique.
OK, next.
Green Montana
Lui, c’est un rappeur de Verviers.
Beaucoup de budget dans ce clip. Je suis pas fan, je pense que ça vient surtout du fait que je ne comprenne rien aux paroles mais je peux anticiper que c’est un peu triste dans ce qui est dit. L’ambiance n’est pas folle, mais bon, j’espère vraiment qu’aucun de ces rappeurs francophones ne verra l’article.
T’en penses quoi de la scène belge niveau musique ? Elle a du potentiel ? Elle est un peu saturée ?
De tous les mots qu’on pourrait utiliser pour la décrire, je pense que saturée c’est le dernier que j’utiliserais pour la scène belge. Elle est peut-être plutôt sous-saturée. On a besoin de plus de créativité, de plus d’initiatives, de plus de possibilités, mais les gouvernements ne nous aident pas du tout. Les salles sont fermées, il n’y a pas beaucoup d’aide pour les organisations culturelles. Le Covid n’a pas aidé mais en général pour les lieux queer, les soirées électroniques, c’était déjà très fragile et la pandémie ç’a donné le coup de grâce. Les gens se réveillent lentement, avec de nouveaux projets. C’est encore assez poussif mais j’espère qu’un jour ça reviendra. C’est pourquoi nous, artistes, on doit rester ici, pour faire renaître la scène de ses cendres.
OK, là on parle d’un État, j’ai rien à te faire écouter.
Wow, il y a plus de vaches que de gens là-bas. J’adore. Il y a beaucoup d’espace pour qu’elles puissent se déplacer. Puis c’est l’État qui a élu la première femme au Congrès (Jeannette Rankin, pour le parti républicain, NDLR). J’espère qu’ils continuent à faire du bien pour les droits des femmes et des personnes (bof, NDLR). Je ne suis pas leurs actualités, je sais pas dire si c’est républicain ou démocrate, mais c’est déjà cool.
Tu suis en revanche ce qu’il se passe au niveau des droits des femmes ?
Des choses très importantes sont en jeu. Le problème, c’est qu’il y a encore beaucoup trop de personnes âgées qui dirigent ce monde. C’est l’une des raisons pour lesquelles c’est si difficile aujourd’hui. Les jeunes, beaucoup sont conscient·es de tout ça. Je vois de plus en plus de personnes progressistes au sein des nouvelles générations. Les gens ont du mal à réaliser qu’il existe tout un tas de schémas et de constructions toxiques à repenser.
« Montana » de Frank Zappa
Ça c’est Montana de Frank Zappa, pas le plus grand des féministes d’ailleurs…
J’adore les chaussures qu’il porte au début. Des cheveux incroyables, une moustache impeccable. J’ai jamais entendu parler de cette chanson mais elle me fait penser à toute cette vibe hippie des années 1960. J’aime bien ces artistes, comme Donovan. L’ambiance est cool, c’est quelque chose que j’irais clairement voir en concert.
Dans le morceau, Frank Zappa dit : « J’irais sûrement vivre au Montana un jour… »
Moi, j’ai déménagé ici à mes 13 ans. Ma mère a épousé un Belge et on est arrivées à Anvers. J’étais super heureuse. À l’époque, c’était dur, on vient pas de la capitale, la seule façon d’avoir une bonne vie dans ce cadre c’est soit de naître dans une bonne famille soit d’épouser un homme riche. Je dirais qu’il n’y avait pas beaucoup de perspectives de réussite pour moi là-bas. Étant une brebis galeuse et queer, la vie aurait été très dure pour moi en Ukraine.
Tu rêves d’ailleurs parfois ?
Pendant très longtemps, je voyais la Belgique comme un pays avec beaucoup de limites, mais maintenant, surtout depuis que j’habite dans le centre, je vois Anvers comme une ville avec ses possibilités et ses charmes. C’est une ville à taille humaine, c’est beaucoup plus facile de faire la différence. On en parle pas mal avec les gens qui gravitent autour de moi, j’ai l’impression que beaucoup de gens cools quittent Anvers pour ailleurs. Pour beaucoup, c’est une ville transit, où l’on passe pour mieux repartir plus tard. Il y a constamment cet exode de gens créatifs. Déjà qu’il y en a pas des masses, s’ils décident tous de partir à Paris ou à Berlin pour un « meilleur » avenir, la ville va mourir. C’est une ville tellement emblématique, quand tu regardes son histoire, les années 1990, juste en terme de musique électronique, tu peux pas laisser ça mourir.
Duke Montana
Duke Montana. J’arrive bientôt au bout de mes ressources.
J’aime bien l’italien, mais tout le reste ça va pas. La musique n’est pas mon truc, la vidéo n’est pas facile à regarder non plus. Et la chambre d’hôtel est cheap. Même si c’est pas mon genre, Joey Montana était au moins plus créatif. C’est drôle, je vois beaucoup de rappeurs dans cette liste, je suppose que tout le monde a été inspiré par Tony Montana.
Tony Montana
Bah voilà, on y vient.
Ah, le vrai, l’unique.
« Le monde est à toi » ?
C’est important de rêver en grand, mais y’a différents aspects : tu peux rêver en grand et ça peut t’être très productif, mais l’avidité pour la gloire et l’argent ça reste le point noir de tout ça et tu peux facilement te perdre. Je pense que c’est important de repenser sa façon de voir les choses, comment tu te positionnes et ce que tu veux apporter à la scène, à la musique, ou à toi-même… Mais si ton but premier c’est d’être purement matérialiste, ça risque d’être un vrai fardeau ; un vrai problème d’ambition.
Gilbert Montagné
Ça c’est un petit bonus autant qu’un léger pas de côté.
C’est pas mal du tout, mais ça me rappelle ces stations de radio pour personnes âgées comme Nostalgie. C’est carrément le genre de musique que les chauffeurs de bus mettent très fort dans le bus. Je connaissais pas mais c’est vraiment pas mal du tout.
Dana Montana joue le 3 décembre à Anvers, dans le cadre du festival Celebration of Life. On vous fait gagner des places sur Instagram. Plus d’informations sur leur site internet.
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