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Manifestations agricoles en France

La crise agricole en France, qui a suscité d’importantes mobilisations en janvier 2024 après des manifestations initiales à l’automne 2023, demeure un problème pressant. Les blocages organisés à mi-novembre dans plusieurs régions du pays en sont une illustration claire.

Cette crise pourrait même s’aggraver au cours du second semestre 2024, marquée par un recul des prix des céréales par rapport aux niveaux record de 2022 et par de mauvaises récoltes en raison de conditions climatiques défavorables, notamment une forte pluviométrie. Selon les prévisions, la production de blé pourrait diminuer de près de 25 % par rapport à la moyenne des cinq dernières récoltes, atteignant un rendement moyen de seulement 62 quintaux par hectare. Ce serait la pire performance depuis 2016, où le rendement avait chuté à 54 quintaux. Parallèlement, le prix du blé tendre a connu une chute dramatique, passant de 400 euros la tonne en mai 2022 à 220 euros la tonne en octobre 2024.

Les répercussions sur les revenus des producteurs agricoles en 2024 ne seront pleinement connues qu’en décembre 2025, lorsque le ministère de l’Agriculture publiera les résultats annuels des exploitations à partir des données du Réseau d’information comptable agricole (Rica). Cependant, le 12 décembre, la rue de Varenne a déjà mis en lumière les résultats de l’année 2023, offrant ainsi un éclairage sur les causes des mobilisations passées.

En 2023, le revenu moyen des agriculteurs a subi une chute significative en raison de la baisse des cours dans de nombreuses filières, ainsi que d’une augmentation continue des charges d’exploitation, malgré la diminution des prix de l’énergie. Le résultat courant avant impôt (RCAI) par exploitant à temps plein, un indicateur clé pour évaluer le revenu des agriculteurs après aides et charges, a chuté de 39 % en un an, atteignant 36 000 euros. Cette moyenne cache néanmoins d’importantes disparités entre les différentes filières de production.

Les inégalités de revenus entre agriculteurs sont conséquentes, tant entre les différentes filières qu’au sein d’une même filière. Ainsi, en 2023, un éleveur porcin et un viticulteur à temps plein ont respectivement enregistré un RCAI de 113 000 euros et 59 000 euros, tandis qu’un éleveur de bovins viande et un céréalier n’ont perçu que 22 000 euros et 11 000 euros. Les 10 % des agriculteurs les mieux rémunérés affichent un RCAI moyen de 94 000 euros, contre seulement 5 000 euros pour les 25 % les moins bien rémunérés. De plus, les 10 % les plus défavorisés ont même enregistré un revenu négatif de 15 000 euros.

La baisse des résultats des agriculteurs en 2023, qui se poursuit en 2024, accentue ces disparités en fonction des systèmes de production, des régions et de la taille des exploitations. Grâce aux données du Rica, une analyse approfondie des relations entre la taille des fermes, les surfaces exploitées, les revenus et les subventions perçues permet de mieux comprendre les causes profondes de ces inégalités.

Le Rica est une enquête annuelle qui couvre les exploitations agricoles françaises, examinant divers aspects tels que les systèmes de production, les régions administratives et la taille économique des exploitations, mesurée par la valeur de leur production brute standard (PBS). Il est à noter que le Rica se concentre exclusivement sur les exploitations dites “professionnelles”, qui comptent environ 290 000 en 2023, excluant les très petites fermes dont la PBS est inférieure à 25 000 euros, mais qui représentent néanmoins 7 % de la surface agricole utile (SAU) et 12 % des emplois dans le secteur.

Les résultats publiés le 12 décembre ne sont que les premières données du Rica, qui seront complétées au printemps prochain. Ainsi, il est encore prématuré d’analyser des informations cruciales pour comprendre la crise actuelle, telles que le revenu des exploitations, leur surface et les aides en fonction de leur taille économique. Toutefois, les données de 2022, bien que légèrement décalées, ne devraient pas différer de manière significative.

Un premier constat met en lumière l’impact de la mécanisation et de la robotisation, souvent corrélés à l’agrandissement des exploitations. Plus la taille économique d’une ferme augmente (en termes de surface, de cheptel ou de production), plus le revenu des agriculteurs tend à croître, même si les moyennes peuvent masquer d’importantes disparités. Le revenu agricole dépend donc davantage des volumes produits que de la qualité, qui pourrait être valorisée à un prix juste.

Par exemple, les exploitations spécialisées en “céréales et oléoprotéagineux” montrent que les 24 300 “petites exploitations” génèrent un RCAI de 37 000 euros par agriculteur à temps plein, tandis que les 4 300 “grandes exploitations” atteignent 131 000 euros. Ainsi, ces petites exploitations, qui sont 5,6 fois plus nombreuses, réalisent un revenu 3,5 fois inférieur.

Dans ce contexte, l’espoir d’améliorer les revenus passe inévitablement par une augmentation de la production. Cette quête de productivité entraîne une intensification de l’exploitation des surfaces. Les grandes exploitations spécialisées en céréales et oléoprotéagineux gèrent en moyenne deux fois plus de surface par exploitant que les petites : 153 hectares contre 67 hectares. Bien que les petites exploitations maintiennent davantage d’emplois par hectare, elles génèrent moins de revenus. Les dynamiques en cours laissent présager une poursuite de la diminution du nombre d’exploitations et d’emplois dans le secteur agricole, comme l’a montré la période 2010-2020, durant laquelle près de 100 000 exploitations ont disparu.

La tendance à la disparition de milliers de fermes dans les années à venir est d’autant plus probable qu’un tiers des exploitants prendra sa retraite d’ici 2030. De plus, les fondamentaux de la politique agricole n’ont pas connu de changements significatifs : les aides publiques, qui représentent une part importante du revenu agricole (en moyenne 39 000 euros en 2023 par exploitation, par rapport à un RCAI de 49 000 euros), sont principalement attribuées en fonction de la surface, sans prendre en compte les critères sociaux et environnementaux.

Sauf rares exceptions (élevage ovin et lait), les grandes exploitations bénéficient de subventions par emploi (salarié et non salarié) nettement plus élevées que les petites exploitations : l’écart est de 42 % toutes filières confondues et atteint 101 % pour la filière “céréales et oléoprotéagineux”.

Cette situation, bien plus que les normes environnementales souvent présentées comme un fardeau insupportable pour les agriculteurs, explique pourquoi la France peine à maintenir ses agriculteurs et à assurer le renouvellement des générations.

À l’inverse, l’introduction de normes environnementales adaptées aux défis du réchauffement climatique et de la biodiversité ne serait acceptable pour les agriculteurs que si elle s’accompagnait d’une révision en profondeur d’une politique agricole qui privilégie actuellement les volumes et les surfaces au détriment de la qualité sociale, sanitaire et environnementale de notre alimentation.


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