Le 23 mai, lors d’une conférence de presse à Tokyo, Joe Biden a assuré que les États-Unis défendraient militairement Taïwan si Pékin envahissait l’île. C’est la deuxième fois depuis qu’il est président qu’il prend publiquement cet engagement, en rupture apparente avec des décennies d’ambiguïté qui voient les Américains fournir Taïwan en armes, mais sans lui reconnaître un statut d’Etat indépendant.
Un responsable de la Maison Blanche s’est empressé de déclarer: “Notre politique n’a pas changé”. Puis le ministre de la Défense Lloyd Austin a répété la même phrase. “La politique n’a pas changé du tout”, a ensuite dit lui-même Joe Biden ce mardi 24 mai.
Virulence puis apaisement, une “routine”
Pour les journalistes qui suivent le président américain, en particulier dans ses déplacements à l’étranger, ce serait presque devenu une routine: sursauter en entendant une formulation virulente, puis attendre une “clarification” anonyme de conseillers désormais rompus à l’exercice.
Voilà qui rappelle furieusement le 26 mars, quand Joe Biden avait lâché à propos de Vladimir Poutine: “Pour l’amour de Dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir.”
La Maison Blanche avait alors, en toute hâte, fait circuler une déclaration assurant que les États-Unis n’appelaient pas à un changement de régime.
Joe Biden avait aussi jeté le trouble, avant l’invasion de l’Ukraine, en évoquant la possibilité d’une “incursion mineure” de l’armée russe, qui n’appellerait pas automatiquement de représailles occidentales.
Biden parle-t-il “avec son cœur”?
Mais ce président qui assume, presque crânement, de manifester ses indignations et ses convictions comme bon lui semble, ne fait pas toujours marche arrière. Après avoir utilisé dans un discours le terme de “génocide” pour décrire la situation en Ukraine, Joe Biden avait tenu à enfoncer le clou ensuite.
Le démocrate de 79 ans avait par ailleurs commencé à accuser la Russie de “crimes de guerre” bien avant que son administration ne boucle le processus juridique permettant de parvenir à cette conclusion.
À chaque fois, la même interrogation: ce président a-t-il parlé “avec son cœur”, comme l’a décrit à plusieurs reprises son équipe? A-t-il exprimé une nouvelle doctrine des États-Unis? Les deux à la fois?
Un double jeu, “incroyablement dangereux”
Pour ce qui concerne Taïwan, Joe Biden “a dit ce qu’il pense, aucun doute là-dessus. (…) Mais c’est une gaffe dans le sens où il donne une mauvaise lecture de la position américaine”, affirme Bonnie Glaser, grande spécialiste de l’Asie au centre de réflexion German Marshall Fund of the United States. La politique étrangère “est plus efficace si elle est claire et compréhensible pour nos amis, nos alliés et nos ennemis.”, souligne-t-elle.
Pour Joshua Shifrinson, professeur de relations internationales à l’université de Boston, “il est très difficile de dire si ce sont des gaffes ou un double-jeu” avec d’un côté les éclats du président et de l’autre les canaux plus feutrés des diplomates.
“Si c’est un double-jeu, c’est incroyablement dangereux” et cela peut “exacerber les tensions” avec les pays rivaux mais aussi chahuter les pays alliés des Etats-Unis, juge-t-il, rappelant qu’après les remous du mandat de Donald Trump, “on s’attendait à ce que Joe Biden soit un homme d’une grande cohérence”.
“La franchise peut être une bonne chose mais dans une situation telle que Taïwan cela peut être vraiment dangereux”, dit-il encore.“La réponse forte de l’Occident à l’agression russe en Ukraine pouvait servir à dissuader la Chine d’envahir Taïwan mais les déclarations de Joe Biden risquent d’annuler ce gain”, s’inquiète aussi sur Twitter Stephen Wertheim, de l’institut de recherches et d’analyse Carnegie.
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