Il n’est pas surprenant que certaines personnes portent des tatouages exprimant leur haine ou leur méfiance à l’égard de la police. Souvent, ces tatouages sont le résultat d’expériences personnelles de brutalité policière, de traitements injustes, d’application d’un pouvoir autoritaire. 

Bien sûr, il n’est pas nécessaire de se tatouer « ACAB » ou « 1312 » pour manifester sa colère à l’égard de la police. Et toutes les victimes de violences policières n’ont pas forcément envie de garder leur traumatisme gravé sur la peau non plus, mais qu’il s’agisse d’un « souvenir » ou d’une posture esthétique, ce phénomène révèle quand même un profond malaise à l’égard des forces de l’ordre. 

Perso, même si l’institution policière m’a déçue à plusieurs reprises, je préfère avoir le nom de mon chien sur le bras. Par contre, j’ai contacté quelques potes et connaissances pour parler de leur tatouage et de leur expérience avec la police.

Daan (28 ans), agent de stérilisation

VICE : Tu peux m’en dire plus ? 
Daan :
Ce sont des flics morts sur un crochet à viande

Pourquoi t’as fait ça ? 
Il suffit de jeter un œil sur les événements récents : y’a quelque temps, 16 flics anversois ont été condamnés pour harcèlement. Beaucoup pensent que c’est du passé, mais y’a encore trop de policier·es qui abusent de leur pouvoir. Si t’es pas capable de supporter le stress ou la pression, change de boulot.

T’as pas peur d’avoir des regrets plus tard ?
Non, j’en ai pas. Pas encore en tous cas. Les regrets peuvent venir avec le temps ouais, mais je suis jeune, je m’inquiète pas. En fin de compte, c’est qu’un dessin sur ma peau

Tes parents sont au courant ?
Non. Je pense qu’ils me renieraient. Ma copine n’est absolument pas fan de ça non plus.

Amore Flow (âge et activité non communiqués)

VICE : C’est quoi tes tattoos ? 
Amore Flow:
Mort aux vaches et 1312.

Tu changerais quoi si tu le pouvais ? 
Je les habillerais en short et je les contacterais uniquement pour des urgences domestiques.

Beatriz (25 ans), programmatrice

VICE : Pourquoi t’as fait ce tatouage
Beatriz :
Je sais que ma couleur de peau n’est pas propice à un échange respectueux avec la police – je suis portugaise-angolaise. J’ai fait des études en sciences sociales, notamment en ce qui concerne les -ismes et les -phobies. J’ai aussi fait une spécialisation en sciences médico-légales. Et pendant cette spécialisation, j’ai beaucoup appris sur le cerveau des flics ainsi que sur leurs tendances psychologiques et honnêtement… ils sont malades. C’est pas le boulot de flic qui fait le porc, le porc en était déjà un avant qu’il commence le boulot de flic.

J’imagine que tu te sens pas en sécurité quand la police est dans les alentours alors ?
Pas du tout. J’habite à Yser et je vois des délits 24h/24 devant chez moi. La police passe dans ma rue toutes les heures mais ne s’arrête jamais… Seulement quand ils doivent acheter un truc au Delhaize ou dire aux personnes sans papiers de ne pas dormir au Kanal (le musée est actuellement en travaux, NDLR).

Si t’avais le pouvoir de changer quelque chose dans le fonctionnement de la police, tu ferais quoi ?
Tu trouves pas ça bizarre que certain·es médecins étudient 10 ans pour avoir notre vie entre leurs mains et que les policier·es, qui sont aussi censé·es la protéger, aient une formation limitée (En Belgique, aucun diplôme n’est requis pour devenir agent·e de police et accéder aux six mois de formation dispensés par les écoles de police. Pour devenir inspecteur·ice, la formation dure un an et il faut avoir obtenu un diplôme ou un certificat de l’enseignement secondaire supérieur ou de promotion sociale. Pour le poste de commissaire, il faut par contre un diplôme de type long, NDLR) ? Je trouve que le plus important à ce niveau est qu’ils aient une éducation très centrée sur les sciences sociales, qu’ils comprennent à quel point leur boulot est basé sur un système de privilèges.

Toto (30 ans), indépendant

VICE : T’as quoi contre la police ?
Toto :
C’est un organe du capital, qui est là pour protéger les intérêts de la bourgeoisie et maintenir l’oppression sur la classe ouvrière. C’est une milice raciste et violente. 

Tu te sens quand même en sécurité quand la police est là ?
Quand on sait à quoi sert la police, c’est difficile de se sentir en sécurité. Mais je suis évidemment pas le plus à plaindre ! 

Tu peux expliquer un peu ton tatouage ?
J’ai ce cochon depuis deux ans. C’est un ami qui a dessiné ce flash et je l’ai réservé direct. C’est un joli clin d’œil aux militant·es qui traitent les policier·es de porcs, ce qui est assez réaliste quand on voit comment ils se comportent.

Matéo (26 ans), rédacteur web

VICE : Pourquoi ce tatouage ?
Matéo :
Je me suis déjà fait agresser sans raison par la police, à plusieurs reprises. L’épisode le plus traumatisant reste la fois où, avec un pote, on a voulu visiter la partie abandonnée de la gare de Schaerbeek. On a trouvé l’endroit sans trop de difficultés, on a pris quelques photos et au bout d’une demi-heure, on était sur le chemin du retour. En repartant, on a vu un van de police arriver et cinq ou six policiers en sont sortis, en pointant leurs flingues vers nous et en hurlant de lever les mains en l’air. L’un d’entre eux nous a plaqué la face contre un mur. Au bout de quelques minutes, j’ai entendu un flic dire : « On a rien contre eux et on les a pas pris en flagrant délit. »

Surréaliste…
L’histoire aurait pu s’arrêter là mais au moment de repartir et de prendre notre train direction le centre, j’ai comme un mauvais pressentiment. Arrivés à la Gare du Nord, qui est habituellement un endroit qui grouille de gens louches et de magouilles, je vois une patrouille nous observer de loin. Une fois de plus, on nous interpelle et on nous repose exactement les mêmes questions. Après quelques minutes, ils nous laissent partir, non sans une petite remarque xénophobe.

Et donc t’as fait ce tatouage suite à ça ?
Oui, peu après l’incident. Avec un ami, on a bu une bière, étendu du cellophane dans le salon et parlé de toutes les fois où on aurait aimé que la justice fasse son travail face à la police

Qu’est-ce qui te frustre le plus ?
Il devrait aussi exister une circonstance aggravante quand une personne dépositaire de l’autorité publique commet un délit. Je pense que les flics sont beaucoup trop protégé·es. Se méfier de la police, c’est presque devenu un mécanisme de défense. Comme un instinct de survie pour les populations issues de minorités ethniques comme moi. Bons flics, si vous existez, rebellez-vous et prouvez que vous n’êtes pas des chiens.

Bee (31 ans), tatoueuse

VICE : Il signifie quoi, ton tatouage ?
Bee :
« All Cops Are Bastards ». C’était un flash, je l’ai fait lors d’un échange avec un autre artiste, je trouvais le design chouette.

Tu te sens en sécurité avec la police ?
Non, je me sens pas forcément en sécurité avec la police en France, d’où je viens, spécialement avec la situation actuelle. Mais aussi parce qu’elle ne m’a jamais aidée quand j’en ai eu besoin, au contraire.

Qu’est-ce que tu ressens exactement ?
Je déteste pas les individus en soi, mais l’institution policière telle qu’elle existe actuellement, avec les violences, les inégalités de traitement, le racisme et bien d’autres choses encore.

Antoine (31 ans), musicien

VICE : Pourquoi t’as fait ce tatouage
Antoine :
Je viens de la Rive-Sud de la Ville de Québec, où la police est ridiculement agressive pour rien, même si c’est une grande banlieue assez tranquille. Quand j’étais ado, j’ai dû me faire arrêter sept ou huit fois pour « vérification » sans raison. J’étais déjà pas très fan de la police à ce moment-là, mais un événement en particulier m’a fait complètement perdre confiance en elle. 

Raconte ?
Y’a quelques années, je travaillais comme cuisinier dans un restaurant où y’avait un service au volant. À la vue d’une voiture de police, un ancien collègue qui était venu nous voir, un peu ivre, a crié « Osti de cochons sales ! » à travers la fenêtre. Les policiers ne pouvaient pas nous voir, mais à un moment, j’ai croisé leur regard et là, pour eux j’étais le coupable. Ils m’ont attendu à l’extérieur du restaurant pendant 4 heures et ils ont menacé de m’embarquer si je disais pas que c’était moi. J’étais assez jeune à l’époque et je connaissais pas vraiment mes droits. J’en suis pas fier, mais j’ai fini par leur donner le nom de mon collègue. Il a dû s’excuser par téléphone parce que c’était le chef de la police de Lévis qu’il avait insulté. Quelques années plus tard, ce même chef a d’ailleurs été arrêté pour conduite avec facultés affaiblies, c’est un récidiviste et je crois qu’il a même fait de la prison. Une bonne personne quoi.

Ça t’arrive de te sentir quand même en sécurité en présence de la police ?
Pas vraiment, j’ai ce sentiment intérieur très fort d’avoir l’impression que ça peut dégénérer super rapidement. Y’a des jours où je trouve ça un peu ridicule même, parce que je suis un jeune homme blanc dans une ville où la violence n’est pas vraiment présente. J’imagine vraiment pas être une personne racisée dans un plus grand centre urbain.

Pourquoi des dés ?
Un artiste que j’aime bien dessinais beaucoup de dés à l’époque et quand j’ai réalisé que je pouvais « faire parler » les chiffres, je me suis dis que c’était le camouflage parfait pour le mettre en valeur. Je crois que l’artiste en question n’avait même pas idée de ce qu’il tatouait.

Björg (26 ans), barman

VICE : Ton tatouage représente quoi ?
Björg :
J’ai repris le motif de la marque de sapes Fuck The Population, parce que je trouve que le design est cool. Mais la signification pour moi c’est « Fuck The Police ». J’ai eu pas mal de déboires injustifiés avec la police, qui ont suscité une grande haine envers le pouvoir autoritaire. 

Quel événement t’a amené à haïr la police à ce point ? 
Quand un flic a menacé mon ex avec une matraque. Une soirée touchait à sa fin et on se détendait un peu, mais apparemment les flics s’étaient dit qu’on traînait trop et ils ont commencé à nous menacer. Les choses ont vite dégénéré. Une bagarre s’en est suivie et quelques-uns d’entre nous ont été arrêtés.

T’as l’intention de te faire un autre tatouage
Oui, un tatouage qui représente un cocktail Molotov lancé sur un policier. 

Tu penses que tu pourras un jour faire à nouveau confiance à la police
J’en sais rien. Je sais bien que tous les flics ne sont pas mauvais·es, mais je pense qu’il y a trop peu de formation. En tant que policier·e, tu dois faire face à des situations et à des personnes difficiles tous les jours, mais il faut arrêter de s’y prendre de la mauvaise manière.

Patat (36 ans), tatoueur

VICE : Combien de tatouages anti-flics t’as sur ton corps
Patat :
Quatre au total. J’ai ACAB sur ma main. Sur mon mollet, j’ai un skater qui frappe un policier avec sa planche pendant que celui-ci passe les menottes à un autre skater. Et j’ai aussi des dés sur lesquels y’a écrit 1312. J’ai aussi écrit un « Fuck The System » avec des mains menottées. Je pense que c’est généralement des gens qui ont beaucoup de tatouages qui se font tatouer des trucs anti-flic.

Pourquoi tu détestes tant la police ?
J’ai grandi dans le milieu du skate, où, par défaut, on est souvent confronté à la police. À la longue, on développe automatiquement une mentalité anti-flic. Je pourrais jamais être avec quelqu’un dont le père ou le frère est flic. La haine est vraiment trop forte. 

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