Adapté du roman éponyme de Joseph Andras (Actes Sud, 2016) et d’une histoire vraie, De nos frères blessés est le récit de la lutte de Fernand Iveton (Vincent Lacoste), et de sa femme Hélène (Vicky Krieps), pour l’Algérie libre. En 1956, cet Européen, né en Algérie, est arrêté pour avoir posé une bombe dans un local désaffecté de son usine. Cette dernière n’a tué ni blessé personne. Pourtant la vie de Fernand Iveton, et de sa femme, bascule. Il est devenu un “traitre” et risque la peine capitale.
“Il faut en faire un exemple”
“Le nom de Fernand Iveton s’est perdu dans les eaux glacées de la guerre d’Algérie”, explique l’historien Benjamin Stora, dans la préface des notes de productions du film De nos frères blessés. Cet employé à Gaz d’Algérie, né à Alger en 1926, et militant communiste n’avait pas le profil d’un héros. “Il n’avait pas la tête de l’emploi, il n’avait pas l’allure du suspect à surveiller, il était engagé, entier et combattif, mais c’était un homme ordinaire”, déclare aussi Hélier Cisterne.
Après la mort de son ami Henri Maillot, déserteur de l’armée française, Fernand Iveton, bouleversé, accepte de poser une bombe dans son usine à Alger pour provoquer une coupure de gaz et protester contre le régime colonial français. Mais cette bombe, qui n’avait pas vocation à blesser qui que ce soit, n’explosera jamais. Fernand Iveton est repéré par l’un de ses contremaitres, arrêté et torturé. Il est ensuite déféré devant un tribunal militaire, mis en place à l’époque en Algérie, dans le contexte tendu de la guerre. Jugé de manière arbitraire, il est condamné à la peine capitale.
“Mais nous sommes en pleine ‘bataille d’Alger’, où les bombes provoquent la mort de plusieurs Européens. Pour les autorités de l’époque, il faut en faire un exemple”, écrit Benjamin Stora.
Fernand Iveton n’est pourtant coupable d’aucun crime. Il demande la grâce au président Coty, mais son recours est refusé après les avis défavorables de Guy Mollet, et du Garde des Sceaux: François Mitterrand.
Copyright Les Films du Belier/Laurent Thurin-Nal
Mitterrand votera la mort
“Le nom de Fernand Iveton n’a cessé de tourmenter la mémoire de celui qui a aboli en 1981 la peine de mort”, indique Benjamin Stora. En 1956, François Mitterrand était ministre de la Justice. À ce titre il était aussi vice-président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et examinait les demandes de grâce. Pour le cas de Fernand Iveton, il votera la mort.
Un choix sur lequel François Mitterrand refusera toujours de s’exprimer. En 1994, alors président de la République, il reçoit trois journalistes qui le questionnent sur son choix face au cas Iveton. “Je ne peux pas vous le dire”, leur répond-il. C’est finalement Jean-Claude Périer, secrétaire du CNM de 1956 à 1959, qui leur révèle que Mitterrand a refusé la grâce.
Cette affirmation sera ensuite confirmée grâce à l’ouverture des archives de la Chancellerie, consultées dans le cadre d’une enquête qui sera publiée dans un livre écrit par le journaliste François Malye et Benjamin Stora (François Mitterrand et la guerre d’Algérie, Ed. Calmann Levy, 2010).
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Est-ce pour réparer ces exécutions en Algérie que le président de la République fera voter, en 1981, l’abolition de la peine de mort, comme l’affirme l’avocat Roland Dumas? “Peut-être”, déclare Hélier Cisterne.
Bien qu’intimement lié aux décisions de François Mitterrand, De nos frères blessés n’est pas un film qui l’incrimine directement. La référence est subtile: on ne devine Mitterrand que grâce à ses mains, qu’il avait l’habitude de frotter l’une sur l’autre. Ce n’est qu’à la fin du film, que le réalisateur explique l’implication du président de la République dans certains des crimes commis en Algérie par la raison d’État.
La mise en lumière d’une période cachée
De nos frères blessés sort ce mercredi 23 mars au cinéma, quelques jours après les 60 ans des Accords d’Évian. Une date de sortie presque symbolique, pour se souvenir de la guerre d’Algérie et participer ainsi au travail de mémoire.
À travers le parcours de Fernand Iveton, et de sa femme Hélène, Hélier Cisterne raconte cette guerre, peu évoquée en France. “Il y a un fossé incroyable entre la sous-représentation de cette guerre chez nous jusqu’à maintenant, et son omniprésence” en Algérie, explique le réalisateur. “Je pense qu’il faut inlassablement parler de cette période, affronter ses zones d’ombres, ses fautes. La regarder en face”.
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À côté du destin tragique de Fernand Iveton, et des horreurs de la guerre d’Algérie, le duo que forme Vincent Lacoste et Vicky Krieps apporte à ce sombre destin la dose nécessaire douceur et d’amour. On s’attache à leur lien, on imagine leur douleur. Et derrière l’injustice, la beauté et la force de leur amour forcent le respect.
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