Mais les scientifiques et experts du climat qui travaillent dans des domaines connexes, en première ligne de ce déluge d’informations peu réjouissantes, doivent trouver des bribes d’optimisme pour poursuivre leurs recherches (et aussi essayer de sauver la planète, pas de pression).
Tous les matins, à leur réveil, ils doivent se rappeler que tout est complètement pété et quand même continuer leurs travaux. On a déjà demandé à des experts ce qui pouvait arriver de pire en 2022. Mais qu’est-ce qui leur fait garder espoir ? Dans l’esprit de la pensée positive de la nouvelle année, VICE a parlé à cinq chercheurs pour en savoir plus.
« En l’espace de huit ans, on a réduit la déforestation de plus de 80 % en Amazonie »
Ce qui me donne le plus d’espoir sur l’Amazonie – soit l’objet de mon travail, surtout la déforestation et la dégradation des forêts –, c’est que nous avons déjà été dans des situations bien pires et avons quand même réduit la déforestation.
J’ai vu la déforestation augmenter en Amazonie ces dernières années : en 2021, on a perdu 13 000 kilomètres carrés. Toutefois, au début des années 2000, la déforestation était de l’ordre de plus de 20 000 kilomètres carrés chaque année et on a réussi à réduire ça à moins de 4 000 kilomètres carrés perdus par an en 2012.
Donc en l’espace de huit ans, on a réduit la déforestation de plus de 80 % en Amazonie. C’est la preuve que les actions passées marchaient bien – en tant que scientifique, je m’accroche à cette preuve.
Bien sûr, ça ne va pas arriver en un clin d’œil. Il faut qu’il y ait à la fois de la volonté politique et de la pression de la part de la société civile, ainsi que des solutions issues du marché des entreprises pour réduire la déforestation. Ce n’est pas facile et ça coûte cher. Mais ça peut être fait et a déjà été fait. On traite souvent la déforestation comme l’un de ces problèmes sans solution, mais ce n’est pas le cas.
— Docteure Erika Berenguer, associée de recherche principale à l’Ecosystems Lab de l’université d’Oxford et associée de recherche invitée à l’université de Lancaster
« Les montagnes ne changent pas autant que d’autres parties de notre planète »
J’étudie les montagnes depuis 27 ans et étais l’un des auteurs principaux du rapport spécial 2019 de l’IPCC sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique : nous avions un chapitre sur les zones de haute montagne. Ce qui est merveilleux, c’est que les montagnes ne changent pas autant que d’autres parties de notre planète, comme les océans et les pôles.
Un exemple est qu’on peut trouver des plantes alpines de 500 ans ou plus, et qu’elles ne sont pas ligneuses. Elles n’ont pas l’air vieilles comme on peut se l’imaginer pour un gros arbre ancien et escarpé ; presque toute la partie escarpée de leur développement se trouve sous terre. Et donc tout ce qu’on voit au-dessus du sol, ce sont de petites parties vertes et feuillues et des fleurs, en ce qui concerne certains des environnements montagneux les plus extrêmes.
Dernièrement, ils ont connu quelques années rudes, du dôme de chaleur qui nous a amené plus de pluie cet été au Colorado que je n’en ai vu depuis des années, à d’énormes chutes de neige et, plus souvent, des années de sécheresse caractéristiques de la méga-sécheresse de 20 ans qui traverse le Sud-Ouest des États-Unis.
Ces plantes restent capables de pousser de manière impressionnante les bonnes années, quand les bonnes années arrivent, et d’accumuler des fleurs.
Je considère les montagnes comme des refuges de notre planète. Donc l’une des choses qui m’a marquée pendant que je travaillais sur ce rapport était de savoir pourquoi on ne parle pas plus de montagnes en tant que refuge, alors qu’elles font partie des régions où il y a le plus de biodiversité dans le monde.
— Docteure Heidi Steltzer, coordinatrice du programme d’études de sciences environnementales et professeure d’environnement et durabilité à l’université de Fort Lewis
« Les récifs coralliens sont des écosystèmes remarquables et dans les bonnes conditions, ils sont résilients »
Je suis une scientifique spécialisée dans la préservation des récifs coralliens à la Wildlife Conservation Society (WCS). Mes recherches portent sur la manière dont les récifs coralliens vont survivre au changement climatique ; j’étudie les récifs coralliens depuis plus de 15 ans. Une grande partie de mon travail consiste à travailler avec nos équipes de la WCS sur le terrain à travers le monde pour le suivi sous-marin coordonné de la santé des récifs coralliens, leurs communautés coralliennes et les poissons de récifs – cela nous en apprend beaucoup sur la résilience d’un récif corallien.
En 2019, j’ai rejoint des scientifiques de WCS Fidji sur l’île d’Ovalau et on ne s’attendait pas à voir grand-chose. Trois ans plus tôt, l’île avait été directement touchée par le cyclone Winston, le cyclone tropical le plus intense de l’hémisphère sud et [les récifs coralliens que l’on surveillait] avaient été réduits à l’état de ruines. Mais d’un coup, on était dans l’eau et le récif grouillait de vie.
On a vu de petits coraux de deux ou trois ans qui avaient recruté et grandi après le cyclone. Il y avait des bancs de petits poissons-perroquets filant un peu partout et ils grignotaient les algues de manière à ce que les coraux aient une chance de devenir comme les énormes colonies adultes qui étaient là auparavant. C’était remarquable de voir la vitesse à laquelle ces récifs s’étaient rétablis et étaient capables, à leur tour, de reconstruire cette protection côtière cruciale contre d’autres tempêtes à venir.
Une autre raison de garder espoir est que les capacités locales de gestion ont joué un rôle important dans ce rétablissement. Aux Fidji, les communautés iTaukei locales détiennent des droits de pêche traditionnelle qui leur permettent de prendre des décisions sur la manière dont elles exploitent et protègent leurs ressources marines. Nous pensons que cette gestion a contribué au rétablissement de ces récifs coralliens. Ce qui me donne de l’espoir est que les récifs coralliens sont des écosystèmes remarquables et que, dans les bonnes conditions, ils sont résilients.
Bien sûr, le changement climatique et la hausse des températures sont la principale menace aux récifs coralliens, comme pour beaucoup d’écosystèmes. À la WCS, nous concentrons nos efforts de préservation sur la découverte de refuges climatiques ou des « zones de frais » dans l’océan. En travaillant avec les communautés locales pour réduire les principales pressions locales sur ces refuges climatiques, on peut vraiment donner à ces récifs coralliens une chance de s’en sortir face au changement climatique.
— Docteure Emily Darling, scientifique spécialiste des récifs coralliens et directrice de la préservation des récifs coralliens à la Wildlife Conservation Society
« Le changement moyen de température dans une partie de l’océan Atlantique Nord montre des signes de refroidissement »
L’une des choses que j’aie vues est qu’en fait, le changement moyen de température dans une partie de l’océan Atlantique Nord montre des signes de refroidissement, et non de réchauffement – mais il ne s’agit que d’une toute petite zone. Cela a probablement quelque chose à voir avec l’affaiblissement du Gulf Stream, qui fait partie de l’Amoc (un grand système de courants océaniques) et transporte normalement des eaux chaudes de l’Amérique vers le nord.
Si toute la circulation s’arrêtait, et c’est tout à fait possible avec le changement climatique et la poursuite de la fonte des glaces polaires, ça pourrait produire les effets opposés du réchauffement que nous connaissons avec les gaz à effet de serre dans le rayonnement solaire entrant. On peut modéliser ce qui se passerait jusqu’à un certain point, mais on ne sait simplement pas ce qu’il se passerait dans cette zone.
Donc plutôt que de voir une planète en simple réchauffement, peut-être qu’une partie de ce réchauffement sera initialement contrée par d’autres processus et, en résultat, la température [océanique dans cette région] pourrait rester plus stable que ce qu’on anticipe. Bien sûr, un arrêt total de la bande de circulation de l’Amoc provoquera bien d’autres problèmes et l’effet de refroidissement ne semble concerner que certaines régions. Toutefois, la manière dont tout cela va se produire est bel et bien quelque chose que nous ne comprenons simplement pas assez bien aujourd’hui, donc cette anomalie de la température de l’océan Atlantique Nord me donne un tout petit semblant d’espoir.
— Docteure Fleur Visser, maître de conférence en géographie physique à l’université de Worcester
« Il y a un effort énorme pour la préservation des forêts menée par les communautés indigènes »
Une chose qui me donne de l’espoir – ça peut sembler tardif et peut-être insuffisant – est qu’il y a un effort et une avancée énormes pour la préservation participative des forêts menées par les communautés indigènes ou locales qui vivent depuis longtemps dans ces régions.
On voit de nombreuses études publiées en ce moment qui montrent que la préservation indigène est meilleure que la préservation officielle, et que la biodiversité se porte mieux dans les régions où les communautés locales ont géré ces régions. Ces régions ont aussi tendance à absorber plus de carbone.
Par exemple, tout n’est pas parfait mais dans le nord des États-Unis et au Canada, les gouvernements rendent le contrôle aux communautés indigènes pour qu’elles gèrent des territoires selon les lois indigènes, plutôt qu’en suivant les règles de préservation des États-Unis ou du Canada. On trouve aussi ce genre d’initiatives en Amazonie péruvienne et brésilienne.
On les trouve moins en Afrique, c’est pourquoi j’essaye d’y faire mon travail. On y trouve de nombreux projets participatifs, mais moins de projets indigènes ou menés par les communautés. Mon doctorat consiste à voir comment on peut comprendre le rôle de la technologie dans la préservation des forêts, en utilisant l’acoustique et la connaissance indigène. Donc [mes recherches] portent surtout sur la biodiversité, qui représente une crise égale et transverse à la crise climatique.
— Joycelyn Langdon, fondatrice deClimate in Colour et étudiante en doctorat au sein du programme Artificial Intelligence for Environmental Risk (AI4ER) de l’université de Cambridge
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