Deuil périnatal: brisons enfin ce tabou
Nous, parents de bébés qui n’ont pas eu la chance de vivre, nous y avons vu un geste fort. À travers ces photographies certes intimes, mais aussi pudiques et dignes, nous nous sommes reconnu·e·s. À l’heure où l’on reproche aux réseaux sociaux de ne montrer qu’une version magnifiée du quotidien en général et de la parentalité en particulier, ces photographies ont fait écho à la souffrance que vivent les mères et les pères qui ont dû dire au revoir à un enfant tant désiré et aimé bien avant sa naissance. Pour décrire cette expérience, il y a ce mot, trop peu connu du grand public: le deuil périnatal. Et en ce 15 octobre, journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal, il nous paraît urgent de ne plus cacher cette réalité qui concerne plusieurs milliers de familles en France chaque année: le décès d’un bébé au cours de la grossesse -à la suite d’une fausse-couche, interruption médicale de grossesse, mort foetale in utero-, ou quelques jours ou semaines après sa naissance.
Là où nous avons perçu un hommage, des milliers d’internautes ont vu des images choquantes, honteuses, et se sont même interrogés sur l’utilité d’avoir donné un prénom à cet enfant. Le 5 octobre, les chroniqueurs de l’émission “Touche pas à mon poste” sur C8 ont pour la plupart conclu que le couple avait voulu créer le buzz, allant jusqu’à s’offusquer qu’il ait souhaité donner un prénom à ce bébé -leur bébé-, entre autres propos insultants et racoleurs. On a bien sûr le droit d’être ébranlé par ces photos. Nous pouvons le comprendre. Mais ces réactions sont très symptomatiques de la manière dont les gens perçoivent le deuil périnatal: “le tabou ultime”, d’après l’une des chroniqueuses, qui estime que ce “tabou” n’a pas à être brisé.
Nous, parents endeuillés, nous pensons l’exact contraire. La véritable question, ce n’est pas “est-ce choquant d’en parler?”, c’est: pourquoi la plupart des gens préfèrent-ils fermer les yeux sur cette réalité? Ont-ils peur que ça leur arrive? Craignent-ils de ressentir autant de douleur que les parents endeuillés, qui auront pour seuls souvenirs de leur bébé les empreintes de ses pieds, son bracelet de naissance, quelques photos? Les photos, justement. Personne n’a attendu l’invention d’Instagram pour prendre en photo des bébés morts: dès la seconde moitié du 19e siècle, à une époque où la mortinatalité et la mortalité infantile étaient bien plus élevées qu’aujourd’hui, de nombreux parents ont fait immortaliser les traits de leur bébé décédé. Ces photographies figuraient dans les albums de famille, au même titre que les portraits des enfants vivants.
Il est urgent de briser ce silence. Oui, la mort d’un enfant dans le ventre de sa mère ou quelque temps après sa naissance, c’est inadmissible. Mais n’est-il pas plus inadmissible encore de prétendre que cela n’arrive pas et de laisser de trop nombreux couples faire face au silence gêné de leur famille, de leurs proches, de leurs collègues et de la société dans son ensemble? C’est un silence qui a des conséquences très concrètes tant personne n’est sensibilisé: c’est par exemple l’administration qui continue d’envoyer, plusieurs semaines après le décès, du courrier qui concerne l’enfant à naître. C’est la CAF qui refuse parfois d’accorder la prime à la naissance, somme qui sera souvent utilisée pour couvrir les frais d’obsèques -obligatoires dès que l’enfant naît vivant- et qui oblige les parents à se battre pour l’obtenir. C’est le manque de formation des soignant·e·s et accompagnant·e·s de certains établissements hospitaliers. C’est le jugement des employeur·se·s lorsqu’une femme prend un congé maternité alors que son enfant est décédé: pourtant, la loi l’y autorise dès 22 semaines d’aménorrhée (SA). Parce que oui, quand le bébé décède, passé le premier trimestre, la mère doit accoucher par voie basse, vivre un post-partum sans bébé, les montées de lait. Et ça non plus, personne n’en parle. Trop souvent, les pères l’ignorent, mais il ont également le droit de prendre leur congé paternité -ce qui est également le cas des co-parents dans un couple homosexuel marié. C’est l’indifférence de certain·e·s qui estiment que “vous en aurez d’autres, des enfants”. L’incompréhension qu’on puisse encore être triste, plusieurs semaines, mois, années après. C’est cet·te employé·e d’un service d’état civil qui n’accepte pas d’inscrire le prénom du bébé dans le livret de famille, alors même qu’il est possible de le faire en France dès que la naissance intervient après 15 SA. Le prénom justement, parlons-en: ce n’est ni une fantaisie, ni un acte sordide, mais une manière de faire exister ce bébé parti trop tôt, de lui rendre hommage.
Jeter un voile sur la perte d’un bébé, quel que soit le terme de la grossesse et ses circonstances, revient à invisibiliser cet enfant qui était tant attendu, à invisibiliser la souffrance des mères et des pères. Alors brisons ce tabou, accompagnons du mieux possible les parents, rendons-leur la vie un peu plus douce pour affronter ce deuil. Et, surtout, ne nous voilons pas la face, ne nous bouchons pas les oreilles et laissons-les parler, sans les juger hâtivement. Car parler de ces enfants, c’est souvent une manière de ne pas les oublier.
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