Douze livres à dévorer sous le soleil (ou la pluie) cet été
Enfin du temps pour lire ! Si vous voulez profiter des vacances pour vous plonger dans des livres d’éco, voici notre petite sélection des ouvrages parus depuis le début de l’année.
Au programme, pas mal de réflexions sur les questions écologiques, plusieurs enquêtes passionnantes qui lèvent le voile sur les pratiques de grosses entreprises d’Amazon à Total en passant par Blablacar. Et puis, quelques travaux originaux à découvrir.
Bonnes vacances et bonne lecture !
1/ « Le grand mythe. Comment les industriels nous ont appris à détester l’Etat et à vénérer le libre marché », par Naomi Oreskes et Erik. M. Conway
Au début de la lecture de ce livre, je le trouvais trop américain – il l’est assurément – et trop anecdotique – mais là c’était une erreur. La somme des histoires racontées finit par éclairer les multiples chemins par lesquels le néolibéralisme a pu devenir l’idéologie dominante aux Etats-Unis.
Il lui a fallu en gros quatre-vingts ans pour y arriver, au bout d’une longue bataille culturelle menée par des personnes fortunées qui ont financé les apôtres de leur credo libéral.
Tout commence aux alentours du début du XXe siècle, quand les premiers lobbys des entreprises se mobilisent pour échapper à l’indemnisation des accidents du travail et à la remise en cause du travail des enfants.
Trois thèmes sont rodés, que l’on retrouvera en permanence : la liberté de chacun de faire ce qu’il veut doit primer (celle de faire travailler ses enfants, par exemple), la responsabilité individuelle est première (à l’ouvrier de se préoccuper de ne pas se blesser) et la moindre intervention de l’Etat dans l’économie représente un premier pas vers une société totalitaire.
Dans l’entre-deux-guerres, le combat, porté par les fournisseurs privés d’électricité qui refusent le mouvement vers une organisation publique, prend une nouvelle dimension. C’est là que commence l’utilisation d’économistes à gages pour célébrer les vertus du tout-privé, sans aucun problème pour en trouver, souligne le livre.
S’y ajoutent les premiers jeux d’influence sur le contenu des manuels scolaires et des cours d’éducation supérieure pour assurer la propagande du rejet de l’Etat.
L’activisme libéral va même vouloir toucher le grand public via affiches, émissions de radio et combat antisyndical avec la mobilisation de mouchards et d’espions.
L’autrice Ayn Rand mène une chasse violente aux idées de gauche à Hollywood dont les films à messages sociaux voient leur part chuter
Mais tout cela porte peu. Franklin Delano Roosevelt impose son New Deal et la victoire politique et idéologique appartient aux partisans de la régulation publique de l’économie. Il va falloir aller plus loin.
Et commencer par mener le combat intellectuel contre le New Deal : les intérêts privés américains vont ainsi financer et relancer les carrières de Ludwig von Mises et de Friedrich Hayek.
Plus tard, ils financeront George Stigler (qui publie une version de La richesse des nations d’Adam Smith expurgée de tout ce qui n’est pas promarché) et Milton Friedman.
Rose Wilder Lane, la fille de Laura Ingalls Wilder, l’héroïne de La petite maison dans la prairie, célèbre les vertus libertariennes tout comme les romans d’Ayn Rand et les écrits d’Isabel Paterson.
Rand mènera également une chasse violente aux idées de gauche à Hollywood dont les films à messages sociaux voient leur part chuter, et les trois autrices exerceront leur police idéologique en faisant interdire un manuel d’économie keynésien.
Dans le même temps se développe un christianisme contestant le message social de l’Evangile pendant qu’un acteur de seconde zone gagne une notoriété nationale en animant le General Electric Theater, une émission de télé aux messages libéraux : il s’appelle Ronald Reagan.
Lorsque l’on ajoute les lobbys et la multiplication des think tanks libéraux, on comprend mieux comment une guerre culturelle menée sans discontinuer pendant plusieurs décennies a fini par faire triompher l’idée de la supériorité du marché. Qui semble heureusement aujourd’hui arriver à sa fin.
Christian Chavagneux
Le grand mythe. Comment les industriels nous ont appris à détester l’Etat et à vénérer le libre marché, par Naomi Oreskes et Erik. M. Conway, Les Liens qui Libèrent, 2024, 700 p., 29,90 €
2/ « 2 € de l’heure. La face cachée de l’‘intégration’ à la française », par Nejma Brahim
Construction, entretien, restauration, soins à la personne…, Nejma Brahim liste les nombreux secteurs où les sans-papiers sont massivement employés, payés en moyenne 2 euros de l’heure.
Du petit matin à la nuit tombée, sans contrat de travail, « ils se tuent à la tâche », rappelle la journaliste qui s’est appuyée sur les multiples articles qu’elle a rédigés sur le sujet pour Mediapart afin d’écrire ce livre.
Sabine, Moussa et les autres parlent de leurs conditions de vie. Certains doivent mentir sur leur identité, à l’instar de Sabine, qui a emprunté le nom d’une autre pour pouvoir travailler. D’autres exercent des métiers aussi qualifiés que médecin.
Alors que tous ces travailleurs illégaux effectuent des tâches d’une évidente utilité sociale, ils ne bénéficient d’aucune reconnaissance, dans aucun sens du terme. De grandes entreprises comme la RATP ou Franprix y ont régulièrement recours, révèle Nejma Brahim.
L’autrice estime à au moins 700 000 le nombre de clandestins en France. Et évalue le manque à gagner pour les régimes de protection sociale français à au moins 5,7 milliards d’euros. L’Espagne et l’Allemagne ont récemment régularisé massivement leurs sans-papiers.
Naïri Nahapétian
2 € de l’heure Par Nejma Brahim Seuil, 2024, 192 p., 18,50 €
3/ « Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie », par Jean-Baptiste Fressoz
La notion de transition énergétique a été forgée en 1967 par un… pronucléaire, Harrison Brown. Depuis, la notion a été remise au goût du jour. Pour le meilleur : la promotion des énergies renouvelables.
Et le moins bon : elle a accrédité l’idée selon laquelle l’histoire de l’énergie serait celle d’une succession d’énergies dominantes qui auraient supplanté les précédentes (d’abord la force physique des hommes et des animaux, et le bois, puis le charbon suivi du pétrole et de l’électricité, puis, aujourd’hui, donc, les renouvelables).
Une vision sous forme de « phases » ou d’« âges » des plus réductrices, nous dit l’auteur, historien reconnu des sciences, des techniques et de l’environnement.
Non seulement les énergies s’ajoutent les unes aux autres, mais elles entretiennent une relation symbiotique qui a pour effet de relancer la consommation de celles censées décliner.
De fait, on n’aura jamais consommé autant de bois-énergie (bûches et palets) et de charbon qu’à l’ère du prétendu règne du pétrole, y compris dans de vieux pays industrialisés. Ce que l’auteur démontre avec force chiffres et illustrations concrètes. Bref, un vrai pavé dans la mare.
Sylvain Allemand
Sans transition. Une nouvelle histoire de l’énergie Par Jean-Baptiste Fressoz. Seuil, 2024, 416 p., 24 €
4/ « Le mensonge Total », par Mickaël Correia
La production et l’utilisation d’énergies fossiles contribuent au réchauffement des températures et à la destruction de la planète. Le constat est aujourd’hui bien établi.
Plus surprenant, on découvre qu’il était écrit noir sur blanc dès 1971 dans la revue interne de l’entreprise… Total ! Ce n’est pas la seule découverte offerte par ce livre-enquête, à charge, sur TotalEnergies, que propose le journaliste de Mediapart, Mickaël Correia.
Certes, la fin des années 1960 et le début des années 1970 représentent le commencement de l’éveil écologique et il est intéressant de constater que le message a touché d’emblée un grand producteur d’hydrocarbures.
Quelle a été la réaction de l’entreprise ? D’abord, surtout ne rien faire et mettre l’information sous le tapis. Puis, quand les débats sur le réchauffement climatique ont commencé à monter, produire des documents pour alimenter une fabrique du doute et nourrir le climato-scepticisme.
Enfin, lorsque la position est devenue difficile à tenir, engager une vaste entreprise de greenwashing. C’est la façon dont l’auteur analyse le plan vert à l’horizon 2030 mis en œuvre par l’entreprise.
Le plan prévoit une stagnation des émissions de CO2 du groupe jusqu’en 2030, quand le Giec dit qu’elles doivent diminuer de 43 % si l’on veut conserver la maîtrise du climat.
Dans ce plan, en 2030, le pétrole et le gaz représentent encore 80 % des énergies produites. Oui, TotalEnergies investit dans les énergies renouvelables, mais le montant de ces investissements est trois fois moins important, répétons-le, trois fois moins important, que ce qui est distribué aux actionnaires.
Les priorités de l’entreprise apparaissent donc clairement : le pétrole et le gaz, les actionnaires et, s’il reste de l’argent, les renouvelables.
Les priorités de l’entreprise apparaissent clairement : le pétrole et le gaz, les actionnaires et, s’il reste de l’argent, les renouvelables
Preuve en est que Total concentre dans son portefeuille d’actifs pas moins de 23 bombes climatiques ! Rappelons qu’une bombe climatique est un site d’extraction d’énergies fossiles affichant un gros potentiel d’émissions sur son cycle de vie.
On pourrait se dire que l’entreprise est folle de rester concentrée sur ce type d’énergies amenées à être de moins en moins utilisées. Les dirigeants y ont pensé et ont déjà entamé des projets de diversification. Vers quel type de produits ? Du plastique ! On ne se refait pas…
Tout cela pourrait ressortir de décisions privées que l’Etat pourrait tenter d’influencer pour ramener les dirigeants vers un comportement environnemental plus raisonnable.
La fin du livre montre que c’est tout l’inverse : Emmanuel Macron et la diplomatie française mettent tout en œuvre pour aider l’entreprise à développer ses projets.
Le chapitre listant les quelques milliers d’euros d’actions Total détenues par tel ou tel parlementaire n’est pas le plus convaincant. Mais la porosité entre l’Etat français et TotalEnergies représente, selon l’auteur, un bel exemple de cynisme climatique, les deux partenaires n’hésitant jamais à mettre en avant leur combat pour la sauvegarde de la planète.
La réalité est tout autre : TotalEnergies est incapable de se priver du « jackpot du capitalisme fossile », comme le démontre ce petit livre, facile à lire et malheureusement assez persuasif.
Ch. Ch.
Le mensonge Total. Enquête sur un criminel climatique Par Mickael Correia Seuil, 2024, 168 p., 19 €
5/ « BlaBlaCar et son monde. Enquête sur la face cachée du covoiturage », par Fabien Ginisty
Utilisateurs ou pas, tout le monde connaît BlaBlaCar. La marque mais pas forcément l’entreprise, ce à quoi veut remédier le journaliste Fabien Ginisty dans cet ouvrage d’enquête qui vise à déboulonner quelque peu la statue de la licorne écolo, adepte de l’économie du partage. Un récit plaisant dans lequel on apprend beaucoup.
Après un rappel historique – vous découvrirez Allostop et ses standardistes ! –, on passe à l’analyse des piliers du succès de BlaBlaCar.
Il y a les capacités techniques et les bons recrutements de Frédéric Mazzella, le fondateur, qui commence par vendre des plates-formes de covoiturage à des entreprises (Bosch, Ikea…) et à des collectivités locales qui les gèrent de façon non lucrative… avant de les transférer vers sa plate-forme nationale.
Celle-ci devient rapidement payante, l’entreprise prenant une commission qui grandit au fil des ans et peut monter aujourd’hui jusqu’à 30 % du prix du trajet.
Il y a aussi les levées de fonds régulières et massives dans le but de racheter petit à petit les concurrents partout dans le monde afin de gagner une position de monopole, objectif ultime. Une fois celui-ci atteint, l’effet de réseau fait qu’il est extrêmement difficile pour d’autres entreprises de se lancer sur le marché.
Qui dit levées de fonds, dit actionnaires, mais qui sont-ils ? Difficile à savoir car l’une des caractéristiques de l’entreprise est son opacité : ses dirigeants n’ont pas publié de comptes depuis 2009.
Qui dit levées de fonds, dit actionnaires, mais qui sont-ils ? Difficile à savoir car l’une des caractéristiques de l’entreprise est son opacité
C’est interdit, mais ils préfèrent payer une (faible) amende plutôt que d’être transparents. Il faut avoir accès à des bases de données très onéreuses pour en savoir un peu plus. Et notre auteur y est arrivé !
Cela permet de découvrir que les principaux actionnaires sont des fonds d’investissement installés au Luxembourg, à Jersey, au Delaware, paradis fiscaux bien connus, sans même parler de ce fonds russe immatriculé à Chypre, lieu du blanchiment de l’argent des oligarques et de la mafia.
Il y a encore de l’enquête à faire de ce côté… On trouve aussi la SNCF : cette dernière aurait a priori vendu son service de bus en échange d’une participation au capital de l’entreprise.
Le livre aborde également le modèle sociétal de BlaBlaCar : des conducteurs mis en concurrence, des relations entre personnes pour lesquelles il ne faut surtout pas se faire confiance (notez les gens) et dans lesquelles toute générosité est exclue (on ne peut offrir ses services gratuitement).
La fin du livre s’attaque au modèle écolo de BlaBlaCar : quoi de mieux pour le climat que de covoiturer ? En fait, l’Ademe a montré que cela réduit peu les kilomètres parcourus en voiture. Parce qu’à 70 %, ceux qui covoiturent le font à la place du train, trop cher. Et parce qu’un tiers des conducteurs n’auraient pas pris leur voiture sans client !
BlaBlaCar a besoin des voitures et qu’elles roulent beaucoup : ce n’est pas un hasard si son fondateur est au conseil d’administration de Renault, si l’entreprise a des accords avec Vinci et si elle vend des certificats d’économies d’énergie à Total (sur la base d’évaluations assez rocambolesques des économies réalisées, démontre l’auteur chiffres à l’appui).
On est dans « l’économie du partage des miettes » dont le modèle consiste à « rendre captifs des gens pas fortunés pour enrichir des financiers ». Et c’est même pas écolo !
Ch. Ch.
Blablacar et son monde. Enquête sur la face cachée du covoiturage Par Fabien Ginisty Le passager clandestin/L’âge de faire, 2024, 223 p., 16 €
6/ « Amazon confidentiel. Enquête sur les secrets d’une domination mondiale », par Dana Mattioli
Dana Mattioli suit les affaires d’Amazon pour le Wall Street Journal et elle en a des choses à raconter ! Il aura fallu peu de temps pour qu’Amazon.com, lancé en 1995, devienne un ogre dévorant ses concurrents.
Avec des méthodes qui, à bien lire la journaliste, représentent une illustration parfaite de la thèse de l’économiste américain Thorstein Veblen : le capitalisme ne fonctionne pas sur le principe de la concurrence mais du sabotage…
La firme américaine a démarré en vendant des livres, puis des disques, puis des jouets, de l’électronique et, aujourd’hui, à peu près de tout. Elle prend une nouvelle dimension avec le développement de la marketplace : tout le monde peut venir proposer ses produits directement sur le site. Et dès qu’ils se vendent bien, vos ennuis commencent !
Amazon fabrique ses propres produits, les vend bien moins chers, tue vos marges et vous sort du marché. Quand une recherche est effectuée sur le site, s’il y a des produits Amazon, l’algorithme les met en avant. Sinon, vous avez intérêt à faire de la pub sur la régie Amazon, à faire livrer vos produits par Amazon logistics, etc.
Tout pris en compte, 45 % des revenus issus de vos ventes finissent dans les poches d’Amazon. Enorme. Et si des petits malins offrent des contrefaçons de vos produits, bon courage pour les faire retirer.
Si vous fabriquez des produits sophistiqués qui marchent bien, vous aurez la surprise de voir Amazon vous demander des détails techniques, le nom de vos fournisseurs, de vos fabricants. On se doute de la suite…
Et pourquoi attendre ou dépenser des fortunes en recherche ? L’idée géniale, si l’on peut dire, du géant de Seattle, a été de créer un fonds de capital-risque, prêt à investir dans les produits de start-up innovantes.
Vous venez avec vos idées, votre plan de développement stratégique, on vous offre de l’argent jusqu’à ce que, tout d’un coup, on ne vous prenne plus au téléphone. Bientôt, un produit Amazon montre que vous aviez eu une bonne idée !
Le tout est bien entendu extrêmement bordé juridiquement, et tant pis pour vous. Tout cela ne porte que sur la partie commerce d’Amazon, qui offre également des capacités de stockage de données et de puissance de calcul, une activité très rentable, sans oublier les Kindle (liseuse), Alexa (commande par assistance vocale), etc.
Tout cela en assumant une stratégie d’optimisation fiscale agressive pour gagner en avantage compétitif (saboter les Etats en plus des concurrents).
Chaque année, 6 % des effectifs doivent disparaître, à chacun de lutter pour que quelqu’un d’autre se fasse virer. Sans oublier une culture antisyndicale prononcée
Et avec un management ultratoxique : chaque année, 6 % des effectifs doivent disparaître, à chacun de lutter pour que quelqu’un d’autre se fasse virer. Sans oublier une culture antisyndicale prononcée.
Plusieurs chapitres expliquent comment, après avoir fait longtemps profil bas, la firme est devenue la reine du lobbying. Ses affrontements avec Donald Trump, avec le Sénat américain et avec le gouvernement Biden offrent des pages assez passionnantes.
En vedette finale, on trouve Lina Khan, étudiante s’étant fait un nom en dénonçant les pratiques d’Amazon et devenue depuis la patronne de l’antitrust.
Elle a porté plainte contre la firme en septembre dernier pour abus de position dominante. Il faudra attendre plusieurs années pour avoir le résultat, mais la bataille juridique contre le conglomérat Amazon est enfin lancée.
Ch. Ch.
Amazon confidentiel. Enquête sur les secrets d’une domination mondiale, par Dana Mattioli, Grasset, 2024, 526 p., 25 €.
7/ « Des élus déclassés ? », dirigé par Didier Demazière et Rémi Lefebvre
Les agriculteurs ne sont pas les seuls à avoir le blues. Les élus aussi, si l’on en juge par l’indicateur en forte hausse des démissions en cours de mandat. Serait-ce le résultat d’un processus de déclassement continu de leur statut dans la société française ?
C’est l’hypothèse que se proposent d’examiner les différentes contributions de ce petit ouvrage collectif en abordant différentes dimensions de ce possible déclassement : les sorties de la vie politique, le passage éphémère à l’Assemblée de députées novices élues en 2017, la recomposition des frontières entre sphères publique et privée, la féminisation, l’évolution de la réglementation et des pratiques de cumul des mandats ou encore le sujet sensible de l’indemnisation, dont la complexité et les incongruités apparaissent plus problématiques à l’analyse que les montants alloués, faute de réussir à en débattre ouvertement.
Au final, « le métier politique se transforme plus qu’il ne se déclasse », concluent les auteurs, et si les carrières tendent à devenir plus précaires, les conditions d’activité tendent aussi à devenir plus inégales selon les mandats, et ne suffisent pas à tarir les vocations.
I. M.
Des élus déclassé ?, par Didier Demazière et Rémi Lefebvre (dir.), La vie des idées – PUF, 2024, 115 p., 10 €.
8/ « Le ghetto scolaire. Pour en finir avec le séparatisme », par François Dubet et Najat Vallaud-Belkacem
Après la mort de Nahel fin juin 2023, tué par un policier lors d’un contrôle routier à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, des jeunes en colère ont pris pour cible des centaines d’édifices scolaires, dont une dizaine ont été entièrement détruits.
Comment en sommes-nous arrivés là ?, se demandent François Dubet, sociologue, et Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’Education. La réponse est évidemment liée aux fortes inégalités qui traversent notre système scolaire.
Un dixième des 7 000 collèges publics concentrent à eux seuls près de 60 % des élèves les plus défavorisés. Seuls 7,4 % des élèves défavorisés obtiennent de très bons résultats. Or, la mixité sociale n’est pas un horizon inatteignable.
Pour preuve, les auteurs rappellent que l’instauration de la mixité filles-garçons à partir du début du XXe siècle s’est heurtée à de nombreuses résistances. Elle est aujourd’hui la norme. Il n’existe donc aucune fatalité. « Tout n’a pas été tenté », écrivent-ils.
Pour le prouver, ils font un petit détour historique. Rapidement, les pouvoirs publics ont tenté de lutter contre les inégalités scolaires, avec notamment, en 1982, la création des ZEP, devenues REP et REP+. Mais la ségrégation scolaire progresse ainsi que la ségrégation spatiale.
Les pouvoirs publics ont tenté de lutter contre les inégalités scolaires, mais la ségrégation scolaire progresse ainsi que la ségrégation spatiale
Certes, on ne peut parler de « ghetto » comme aux Etats-Unis, puisque les quartiers français ne présentent pas l’homogénéité de leurs homologues américains. Mais on assiste bel et bien à un processus de relégation et d’enfermement. Dans certains établissements, le taux d’évitement du public atteint 60 %. Comment endiguer cette fuite ?
Pour répondre à cette question, les auteurs s’appuient sur le bilan des expérimentations menées en 2015 sous l’impulsion de Najat Vallaud-Belkacem. Les exemples sont connus et nous les avons de nombreuses fois analysés dans nos colonnes. Ils se trouvent à Montpellier, Toulouse, Paris… Mais Le ghetto scolaire offre une vue de l’intérieur sur les difficultés à surmonter pour mettre en œuvre de telles politiques.
Ainsi, il faut tenir compte des « frontières intérieures symboliques », « ici un boulevard, là un cours d’eau, ailleurs une voie ferrée ». La concertation est un élément clé de la réussite.
Et on apprend également que si, en 2015, l’enseignement privé a été associé à la démarche, les engagements pris par le Secrétariat général de l’enseignement catholique pour plus de mixité se sont notamment heurtés à la direction diocésaine de Paris.
Mais ces expérimentations ont donné de bons résultats. Les élèves de milieux défavorisés sont 26 % de plus à se sentir davantage en sécurité, et les élèves plus favorisés adhèrent plus qu’auparavant aux valeurs de solidarité (+ 8 %). Les chiffres parlent d’eux-mêmes dans cet ouvrage fort clair et pédagogique.
N. N.
Le ghetto scolaire. Pour en finir avec le séparatisme, par François Dubet et Najat Vallaud-Belkacem, La République des idées-Seuil, 2024, 144 p., 12,90 €.
9/ « Contester Parcoursup », par Annabelle Allouch et Delphine Espagno-Abadie
Les étudiants français sont familiers des plates-formes comme Parcoursup ou Monmaster qui régulent désormais l’accès aux études supérieures à différents niveaux. Mais tous n’en acceptent pas forcément le verdict et certains engagent un recours pour tenter de l’infléchir.
C’est à ces derniers que s’intéressent ici les autrices, respectivement sociologue et juriste, à partir d’une enquête approfondie auprès des différentes parties prenantes de ces plaintes.
Après avoir dressé un tableau général des transformations institutionnelles ayant amené à ces situations, elles pointent la nécessité de disposer comme ailleurs d’un « capital procédural », c’est-à-dire de ressources culturelles et sociales, pour transformer le sentiment d’injustice en litige.
Le rôle des familles est décisif, de même que l’intervention d’avocats spécialisés, qui constituent désormais un véritable marché de niche.
Les autrices pointent enfin que les juges administratifs se retrouvent en position de clarifier le sens de réformes confuses, ce qui dépasse certainement le cas étudié.
De même que ces recours révèlent le poids des études sur les trajectoires sociales dans la société française comme celui de la croyance en la méritocratie.
I. M.
Contester parcoursup, par Annabelle Allouch et Delphine Espagno-Abadie, Les presses de sciences po, 2024, 274 p., 23 €.
10/ « Un nouveau contrat écologique », par Emmanuel Combet et Antonin Pottier
La transition écologique patine. Comment nous mettre sur les bons rails pour 2050 ? Les économistes répondent par des propositions techniques : taxes ou quotas, subventions et interdictions, mesures de compensation. Emmanuel Combet et Antonin Pottier sont économistes, mais ils rompent avec cette approche.
D’abord, parce que les solutions à mettre en œuvre sont déjà connues et évaluées. Ensuite, et surtout, parce que le problème est ailleurs.
La sortie urgente des fossiles réclame un réarrangement des bases de notre organisation économique et sociale
La sortie urgente des fossiles réclame un réarrangement des bases de notre organisation économique et sociale. Elle pose de redoutables problèmes de redistribution et ne peut être pensée et décidée « d’en haut ».
Elle est d’abord une question politique et appelle une vraie négociation. Pour sortir d’une impasse analysée ici avec une remarquable profondeur historique, sociale et politique – les deux chapitres sur les échecs de la taxe carbone, en particulier –, les auteurs insistent sur la nécessité de concerter un nouveau contrat social qui réponde à l’impératif écologique.
Ils posent les bases d’une méthode pour avancer collectivement et surmonter les clivages qui condamnent aux petits pas, voire aux reculs. Une lecture plus que jamais essentielle.
Antoine de Ravignan
Un nouveau contrat écologique, par Emmanuel Combet et Antonin Pottier PUF, 2024, 282 p., 17 €.
11/ « La grande transformation du sommeil. Comment la révolution industrielle a bouleversé nos nuits », par Roger Ekirch
Les Editions Amsterdam ont eu la bonne idée de republier cette petite curiosité. L’historien américain Roger Ekirch y montre que d’Homère au XVIIIe siècle, le sommeil de nos ancêtres était coupé en deux : le coucher vers 21 heures était suivi d’un réveil vers minuit, avec une heure consacrée à échanger des informations, prier, faire des bébés, avant une nouvelle période de sommeil de quelques heures.
Le développement de la lumière artificielle et la révolution industrielle ont changé tout cela pour instaurer notre rythme actuel d’un sommeil d’un seul bloc d’environ huit heures. Les victimes d’insomnie en milieu de nuit s’inscrivent peut-être dans la réminiscence de notre passé.
Ekirch montre que nos ancêtres ne bénéficiaient pas pour autant d’un sommeil réparateur. Les trois articles du chercheur, bien mis en perspective, donnent un livre original et passionnant.
Ch. Ch.
La grande transformation du sommeil. Comment la révolution industrielle a bouleversé nos nuits, par Roger Ekirch. Editions Amsterdam, 2024, 256 p., 12 €.
12/ « Glissement de terrain », par Eve Charrin
Sans doute avez-vous entendu parler de l’affaire des jardins des Vertus : ces parcelles à Aubervilliers menacées de destruction pour laisser place à un solarium en vue des Jeux olympiques ? A l’été 2021, la journaliste Eve Charrin a voulu en savoir plus et est allée frapper à la grille de ces jardins. Elle y a découvert un lieu exceptionnel en plein milieu de la jungle des villes.
Mais aussi toute une ribambelle de gens qui ne l’étaient pas moins : jardiniers, militants, urbanistes ou avocats bien décidés à défendre cette oasis légumière.
Ce livre représente finalement un rappel utile des luttes qui sous-tendent la définition de l’intérêt général
Une histoire de David contre Goliath joliment écrite à la première personne par une repentie de la presse économique (libérale). Si elle a clairement choisi son camp, elle nous renseigne également sur les arcanes de la fabrique de la ville dans nos sociétés capitalistes.
Et sur les dilemmes qu’elle pose à des élus se disant de gauche, désireux d’offrir des équipements clinquants à leur population tout en devant veiller à les rentabiliser.
Ce livre représente finalement un rappel utile des luttes qui sous-tendent la définition de l’intérêt général.
I. M.
Glissement de terrain, par Eve Charrin Coll. Récits, Bayard, 2024, 240 p., 19 €.
Laisser un commentaire