Eau minérale en bouteille : le modèle prend l’eau
La production a fait pschitt. Après avoir détruit fin avril plus de deux millions de bouteilles de Perrier « par précaution » suite à la découverte de bactéries d’origine fécale dans ses captages, Nestlé Waters a confirmé que l’activité de deux de ses puits était suspendue pour une opération de désinfection.
Mi-juin, le groupe a dû reconnaître que, faute de volumes suffisants, il renonçait à commercialiser la fameuse eau pétillante en bouteilles d’un litre, au profit de formats plus petits. Un sérieux et énième accroc à l’image de marque des eaux minérales, dont les industriels – acteurs d’un marché mondial estimé à 270 milliards de dollars en 2021 – mettent en avant la pureté et les bénéfices pour la santé, à grand renfort d’images de montagnes ou de bébés joufflus.
Captées dans des nappes profondes, les eaux minérales sont supposées microbiologiquement saines, car à l’abri des pollutions. Elles tiennent leur richesse en minéraux et les vertus thérapeutiques associées de leur parcours dans le sol.
« L’eau s’enrichit dans l’encaissant qu’elle rencontre. Sa composition raconte son chemin sous terre », explique l’hydrologue Emma Haziza.
Pour être commercialisées sous la dénomination « eau minérale naturelle », leur teneur en minéraux doit être stable et les traitements qui leur sont appliqués limités.
Mais on sait que certains minéraliers ont eu recours à des traitements interdits pour faire face à la pollution de nappes. Le 30 janvier, Le Monde et Radio France révèlent ainsi que Nestlé Waters, propriétaire entre autres des marques Vittel, Contrex, Perrier ou Hépar, et Sources Alma, qui produit notamment Cristalline et Saint-Yorre, ont dissimulé aux consommateurs et aux autorités de contrôle leur utilisation de modes de purification proscrits pour les eaux minérales : sulfate de fer, microfiltration à des seuils inférieurs à la norme, ultraviolets, charbon actif.
La justice a été saisie de l’affaire, notamment par l’ONG Foodwatch qui dénonce une « fraude massive » et la tromperie des consommateurs mais aussi le silence du gouvernement. Au courant depuis 2021, celui-ci n’a pas communiqué auprès du grand public ni informé la commission européenne et les autres Etats membres, comme le prévoit la directive européenne sur les eaux minérales naturelles.
En 2022, le rapport de l’enquête administrative lancée sur le sujet indiquait pourtant qu’au moins 30 % des marques seraient concernées par des traitements non-conformes. Un audit des mesures prises par la France doit être réalisé par la Commission européenne et une mission d’information parlementaire a d’ores et déjà été lancée sur le sujet par le Sénat.
Des ressources contaminées
En attendant ses conclusions, les révélations des journalistes font planer le doute sur la qualité sanitaire des eaux minérales. Elles s’appuient sur une expertise réalisée pour le compte de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sur les eaux Nestlé Waters, dont le rapport a été remis en octobre dernier au gouvernement.
Il fait état de contaminations microbiennes régulières de certaines ressources. On trouve également des contaminants chimiques comme des per- et polyfluoroalkylées (PFAS), dont certains sont jugés cancérogènes par le Centre International de recherche sur le cancer. Des métabolites ou résidus de pesticides ont été aussi retrouvés.
« Avec le changement climatique, la recharge des nappes est plus difficile, il y a moins de dilution des substances. Et on retrouve parfois dans les nappes profondes des traces de pollutions datant d’il y a 30 ans », rappelle Yvan Altchenko, responsable du mastère spécialisé gestion de l’eau à AgroParisTech.
Le problème touche aussi les eaux de sources. Dans les Deux-Sèvres, Intermarché a ainsi arrêté la production d’eau Fiée des lois en février suite à la découverte d’un métabolite du chlorothalonil, un fongicide interdit depuis 2020, dans ses sources.
Le rapport de l’Anses concluait à « un niveau de confiance insuffisant » pour « garantir la sécurité sanitaire » des eaux commercialisées par Nestlé Waters. L’entreprise assure avoir mis fin aux traitements interdits et mis en place des « procédures de qualité » et des « mesures de contrôles renforcées » dans le cadre d’un plan de transformation engagé depuis trois ans.
Microplastiques et montagne de déchets
D’autres composants indésirables s’invitent dans nos bouteilles d’eau. On y trouve en moyenne 240 000 fragments de nano et microplastiques par litre, selon une étude publiée début janvier dans une revue scientifique américaine. L’impact sur la santé de ces particules est encore mal documenté mais des liens ont été mis en avant avec des problèmes cardiovasculaires ou reproductifs.
L’industrie de l’eau en bouteille a généré en 2021 25 millions de tonnes de déchets en polytéréphtalate d’éthylène, dont 85 % ne sont pas recyclés
Le plastique des bouteilles est aussi une source importante de pollution. Dans le monde, l’industrie de l’eau en bouteille a généré en 2021 25 millions de tonnes de déchets en polytéréphtalate d’éthylène, dont 85 % ne sont pas recyclés.
En France, seulement 60,3 % des bouteilles plastiques sont collectées pour être recyclées. A Volvic et à Vittel, d’anciennes décharges plastiques illégales ont été mises en évidence à proximité des usines de Danone et de Nestlé Waters, grâce au travail de collectifs locaux qui dénoncent l’appropriation de l’eau par ces industriels.
Car avec le réchauffement climatique, l’or bleu est amené à manquer. En France, la ressource en eau renouvelable a déjà diminué de 14 % entre les périodes 1990-2001 et 2002-2018, selon le ministère de la Transition écologique. Les sécheresses et les fortes pluies, de plus en plus fréquentes, affectent la recharge des nappes et, déjà, la production des minéraliers.
En 2023, Nestlé Waters avait suspendu l’utilisation de deux forages servant pour l’eau Hépar en raison de la détérioration des conditions climatiques tandis que Volvic, marque du groupe Danone, s’était engagée à réduire ses prélèvements alors que des restrictions d’usage de l’eau potable touchaient 44 communes du département. L’entreprise affirmait cependant que son activité n’avait pas d’impact sur le débit des sources, les captages étant réalisés dans des nappes profondes.
« Mais il y a une perméabilité entre les nappes superficielles et profondes, ces systèmes ne sont pas clos », pointe Emma Haziza.
Dans les Vosges, une des nappes exploitées par Nestlé Waters – qui assure avoir globalement diminué de 23 % ses prélèvements depuis 2010 – fournit aussi l’eau du robinet de la population. Elle est en déficit chronique depuis les années 1970. Il a été un temps envisagé de faire venir de l’eau d’ailleurs par un pipeline pour les habitants.
« On voudrait connaître l’état réel des nappes et savoir ce que Nestlé est susceptible de pomper sans porter atteinte à l’environnement. Mais on n’a jamais eu de réponses et Nestlé a vu ses autorisations de prélèvements renouvelées pour dix ans fin 2022 », déplore Bernard Schmidt, membre du collectif Eau 88, qui a mené la lutte contre ce projet.
L’organisation fait partie d’une coalition contre la filière embouteillage de l’eau lancée en début d’année pour fédérer les mobilisations à proximité des usines des minéraliers.
Changer de modèle
La pérennité et la pertinence de l’activité des minéraliers semblent aujourd’hui remises en cause. « Il est grand temps de revoir notre modèle d’alimentation en eau », assure Emma Haziza qui invite à consommer plutôt l’eau du robinet au quotidien et à n’utiliser les eaux minérales que pour des usages occasionnels, pour leurs qualités propres.
En matière de santé comme d’environnement boire l’eau du robinet demeure donc une solution pertinente et bien plus économique que d’acheter des bouteilles
Certes, le goût de l’eau du robinet en détourne certains consommateurs et les ressources souterraines ou superficielles qui alimentent les réseaux d’eau potable ne sont pas épargnées par les pollutions. La présence de métabolites de chlorothalonil est ainsi quasi généralisée dans les eaux de la métropole selon un rapport publié par l’Anses en 2023.
« Mais, en France, l’eau du robinet est l’un des aliments le plus contrôlés », rappelle Yvan Altchenko. Elle doit répondre à des normes exigeantes et plusieurs types de traitements peuvent lui être appliqués pour assurer sa potabilité.
« L’idée est que l’on puisse la boire tout au long de sa vie en quantité suffisante, sans avoir de problème de santé », explique le chercheur.
En cas de dépassement des seuils fixés, des restrictions sont décidées. En 2022, elles ont concerné 18 000 personnes dans huit départements, selon le ministère de la Santé. Toutefois, dans la majorité des cas, les non-conformités – parce qu’elles sont limitées et temporaires – ne représentent pas de danger sanitaire.
Pour en améliorer le goût, l’aérer au frigo suffit généralement. Des filtres peuvent aussi être utilisés par ceux qui doutent de sa qualité. Il faut alors veiller à ce qu’ils n’éliminent pas aussi les composants assurant sa potabilité et à les entretenir correctement pour éviter toute prolifération bactérienne. En matière de santé, comme d’environnement, boire l’eau du robinet demeure donc une solution pertinente et bien plus économique que d’acheter des bouteilles.
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