En effet, à mesure que l’échéance se rapproche, un faisceau d’indices tend à montrer que le combat électoral ne sera pas beau à voir partout aux États-Unis, du fait des républicains. De nombreuses initiatives visant à décourager les Américains d’aller aux urnes, voire à rendre leurs bulletins irrecevables, émergent ainsi aux quatre coins du pays.
Comme l’écrivait le Guardian durant l’été, rien de bien étonnant à cela avec un président sortant qui a fait de la triche un “mode de vie”, pour citer sa nièce Mary. Un homme qui trichait adolescent à ses examens, a fraudé les impôts et volerait même les parties de golf auxquelles il aime tant s’adonner. Petit tour d’horizon des manœuvres qui se mettent progressivement en branle outre-Atlantique…
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Vraie ou fausse urne?
Pour entrer de plain-pied dans le sujet, quoi de mieux qu’un exemple explicite? En Californie, le parti républicain a installé des urnes illégales destinées à recueillir les bulletins par correspondance… en vue de les remettre lui-même aux autorités. Pris la main dans le sac, les dirigeants conservateurs ont assumé et, avec la bénédiction de Donald Trump, ils ont continué.
Forcément, cette manœuvre choque outre-Atlantique et les autorités locales craignent qu’elle permette aux républicains de compromettre l’élection, par exemple en imaginant qu’ils fassent disparaître certains bulletins qui n’iraient pas dans leur sens. Ou qu’ils bourrent les urnes en y ajoutant de nouvelles voix. Ou encore qu’ils aillent démarcher des électeurs potentiels en influençant leur vote et en récupérant immédiatement leur bulletin.
“Il est crucial que l’État de Californie puisse s’assurer que tous les bulletins qui ont été déposés dans une urne puissent parvenir aux autorités et être comptabilisés”, ont ainsi alerté plusieurs juges locaux. Sauf que le parti républicain joue avec les règles, et notamment avec une loi qui permet à des citoyens de récolter les bulletins, bien qu’entre un citoyen et un parti qui est, sans mauvais jeu de mots, juge et partie dans une élection, il y a un gouffre. Ou du moins un flou juridique avec lequel les partisans de Donald Trump jouent.
Du fait de l’épidémie de coronavirus, des bulletins de vote par correspondance pour l’élection présidentielle ont été envoyés aux quelque 21 millions d’électeurs californiens. Autant de voix qui pourraient finir dans les urnes illégales mises en place par les républicains, avec toutes les obscures conséquences que cela pourrait avoir sur le scrutin.
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Un million dans une file d’attente?
D’après Soufian Alsabbagh, spécialiste de la droite réactionnaire américaine, c’est notamment grâce à un exemple ubuesque que l’on voit que les républicains “paniquent” à l’approche du scrutin: celui du Texas. Depuis quarante ans maintenant, les conservateurs n’ont plus perdu le deuxième État le plus peuplé du pays, remportant à chaque fois depuis 1980 l’intégralité des grands électeurs qu’il fournit. Mais la donne pourrait changer cette année.
Alors pour éviter ce qui serait une déroute historique, les alliés de Donald Trump font tout ce qu’ils peuvent, quitte à prendre des mesures à peine croyables. C’est ainsi que le gouverneur Greg Abbott, très proche du président en place, a décrété -au nom de la santé publique dans le contexte de l’épidémie de covid- qu’il n’y aurait qu’un seul endroit par comté où déposer son bulletin de vote par correspondance durant les semaines précédant le scrutin.
Cela signifie que dans le comté d’Harris par exemple, qui compte près de 4,7 millions d’habitants, tous les électeurs doivent faire la queue au même endroit pour espérer glisser leur bulletin dans l’urne. “Une tentative claire d’empêcher les électeurs démocrates” d’aller voter, selon les associations de défense des droits civiques qui ont contesté la mesure en justice. Car cette disposition pénalise en priorité les minorités, les personnes handicapées et les personnes âgées qui voudraient anticiper le scrutin par peur de la pandémie et d’une trop forte affluence dans les bureaux de vote le 3 novembre.
La finalité de cette stratégie serait de permettre aux habitants des zones rurales moins peuplées d’aller voter (pour Donald Trump) pendant que les aires urbaines progressistes seraient privées de ce droit fondamental par des contraintes logistiques. Et puisque le camp Trump prévoit d’ores et déjà de contester la légalité des bulletins de vote soumis par correspondance, on voit les pièces du puzzle se mettre en place. À l’heure où sont écrites ces lignes, la justice fédérale doit encore se prononcer sur la validité juridique de la mesure, qui est de fait toujours en vigueur pour le moment.
Et au niveau national, la même situation pourrait se reproduire le jour J. Car comme le révèle Vice News en cette fin du mois d’octobre, près de 20% des bureaux de vote ont été supprimés, principalement dans des zones qui votent démocrate et dans des États qui seront clés le 3 novembre.
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La Poste (très) en retard
Aussi surprenant que cela paraisse d’un point de vue français, l’institution américaine qui est la plus scrutée en vue de la présidentielle n’est autre que… la Poste. En effet, de nombreux médias dont le prestigieux New York Times ont mis en place des outils visant à surveiller l’activité des services postaux et à identifier les retards anormaux qui pourraient survenir.
Car -et on l’a déjà dit plus haut- le contexte sanitaire fait du vote par correspondance un enjeu incontournable et d’ores et déjà décisif dans le résultat final de cette élection. Alors en mai, Donald Trump a nommé à la tête de la Poste l’un de ses grands copains, Louis DeJoy, richissime homme d’affaires connu pour avoir organisé des levées de fonds à l’intention de… Donald Trump bien sûr. Et à mesure que le scrutin se rapprochait, de nouveaux processus sont entrés en vigueur au sein des services postaux, officiellement pour rendre leur fonctionnement plus efficace. Seul effet perçu par la population et les médias? Un net ralentissement dans la distribution du courrier.
D’après les données récoltées par The Upshot, depuis la mi-juillet, un courrier sur deux environ est en retard. Le plus souvent d’un jour, parfois plus. Des lenteurs qui interrogent forcément au vu du contexte dans lequel ils ont lieu. À tel point que des responsables politiques en viennent à se demander si l’institution sera capable de gérer dans des délais raisonnables le plus grand nombre de bulletins par correspondance jamais envoyés.
Et l’institution -d’aucuns diront que cela sert une fois de plus à discréditer le vote par correspondance- de déclarer d’elle-même au mois d’août qu’elle n’est pas sûre de pouvoir assurer correctement la transmission des bulletins de manière à ce qu’ils soient pris en compte. Après quoi Donald Trump a insisté dans la brèche ainsi ouverte, expliquant qu’il n’augmenterait d’aucune manière les fonds alloués au United States Postal Service parce qu’il n’a pas l’intention de simplifier l’accès au vote. Or dans le Michigan par exemple, la justice a décrété que les bulletins qui n’auraient pas été reçus à 20 heures le soir de l’élection ne seront pas comptabilisés. Un ou deux jours de retard de la part de la Poste, et cela pourrait faire de très nombreuses voix qui passeraient à l’as.
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Pas d’électeurs? Pas de bulletin
Si les soutiens de votre adversaire ne votent pas, vos chances de victoire ne peuvent qu’augmenter. Derrière cette lapalissade réside, du moins en partie, la stratégie de certains en vue du 3 novembre. Et à cet égard, l’exemple de l’État de Georgie est particulièrement édifiant.
Traditionnellement républicain -notamment parce que tout a toujours été fait dans cette zone du sud-est du pays pour décourager la population noire issue de l’esclavage de voter, grâce par exemple aux tristement célèbres taxes “Jim Crow”- l’État se tourne progressivement vers le parti démocrate. En 2018, l’élection du gouverneur a été étonnamment serrée, et cette année, la participation aux primaires démocrates a battu des records. Alors les dirigeants républicains ont tout fait pour limiter la participation à la présidentielle chez leurs opposants.
En dépit de la pandémie de coronavirus qui implique que l’on évite au maximum les contacts humains, l’État continue de faire payer aux citoyens les frais pour voter par correspondance. Et ce alors que les foyers les plus modestes ont tendance à voter pour les démocrates. De même, les autorités s’arrogent le droit de supprimer des listes électorales des citoyens qui ne voteraient pas suffisamment régulièrement. Un bon moyen de tenir à l’écart du scrutin les populations les moins informées et éduquées, qui ne se mobilisent que pour les élections majeures. Voire qui auraient eu envie de voter pour la première fois pour battre Donald Trump.
Et de la même manière, la justice a refusé d’autoriser l’enregistrement des bulletins de vote par correspondance qui arriveraient après le jour de l’élection, dans un contexte où les lenteurs de la Poste, on l’a vu, et le volume de voix ainsi données changent pourtant considérablement la donne.
D’autant que si elle fait figure d’exemple éloquent, la Georgie est loin d’être un cas isolé. Dans le Washington Post, l’éditorialiste Michael Gerson expliquait récemment que des stratégies identiques étaient à l’œuvre dans le Wisconsin, en Pennsylvanie, dans le Nevada, en Floride, dans l’Illinois, le Michigan, le Texas, l’Iowa ou l’Oklahoma. Autant d’endroits qui seront cruciaux si Donald Trump espère encore renverser les prédictions des sondages et l’emporter.
À chaque fois, l’idée est la même: compliquer l’accès au vote pour les populations les plus à même de voter contre le président sortant. Le journaliste américain liste par exemple: “complexification du processus de vote par correspondance, règles strictes en matière d’identification dans les bureaux de vote, obstacles pour les électeurs déjà condamnés par la justice, restrictions dans la distribution des bulletins, blocages logistiques contre le vote anticipé”.
En 2016, déjà, les autorités américaines s’étaient rendu compte de vastes campagnes destinées à décourager certains votants. Les jeunes électeurs noirs avaient été particulièrement visés, car enclins à voter pour Hillary Clinton, qui jouissait alors d’un large soutien de la part des personnalités publiques en vogue et issues des minorités (monde du spectacle, sportifs, musiciens…). Rien de bien étonnant à voir Donald Trump, dont une bonne partie du mandat a été consacrée à jeter le discrédit sur la démocratie américaine, et ses soutiens répéter la stratégie pour tenter de garder les commandes du pays.
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Semer le doute, encore et toujours
Et il n’y a pas que chez les votants potentiels que Donald Trump et son entourage essaient de faire peur. Comme l’ont rapporté plusieurs médias américains dont l’agence Associated Press et la chaîne d’information en continu CNN, les assesseurs et présidents des bureaux aussi ont été ciblés. La campagne du président sortant a ainsi envoyé des lettres au mieux destinées à semer la confusion, au pire carrément menaçantes à ces officiels.
En Caroline du Nord (un État républicain qui pourrait basculer), on les a par exemple incités à ne pas prendre en compte une nouvelle mesure destinée à faciliter l’accès au vote. Et ce alors même que les votes des noirs, bien souvent démocrates, sont jugés irrecevables quatre fois plus souvent que ceux des blancs dans l’État. Dans le Wisconsin et en Georgie, ils ont reçu des courriers semant le doute sur la validité des bulletins de vote anticipé. En Pennsylvanie, c’était des menaces de procès si jamais ils ne laissaient pas les “observateurs libres” s’assurer de la bonne tenue du scrutin. Et cela sans même parler des milices armées qui pourraient venir faire la loi et intimider les votants, comme la loi le permet dans de nombreux États où il est autorisé à n’importe quel citoyen de venir “surveiller” le bon déroulement du vote.
Et si les combats judiciaires du camp présidentiel contre l’ouverture du vote par correspondance au plus grand nombre ont pour l’heure été infructueux, sa très large domination à la Cour suprême depuis la nomination d’Amy Coney Barrett pourrait lui permettre de faire durer cette lutte et de l’emmener jusqu’au sommet du système judiciaire américain.
“Grâce à des lettres de menace, des procès, des vidéos virales et l’opération de désinformation déclenchée par le président, la campagne de Donald Trump et le parti républicain sont désormais lancés dans une bataille au niveau hyper local pour contester la validité des procédures électorales”, résumait ainsi AP. “Le président a tenté de détruire la foi des Américains dans le processus électoral car il se prépare à contester légalement la validité des bulletins par correspondance”, écrit encore Micheal Gerson. Après la triche pré-scrutin, ce sera l’étape suivante d’une élection décidément hors du commun. Car s’il y a bien une chose sur laquelle les partisans de Trump (75%) comme ceux de Biden (60%) sont d’accord, c’est sur leur sentiment que cette élection sera biaisée par la triche.