DIPLOMATIE – Auf Wiedersehen. Alors qu’elle s’apprête à quitter le pouvoir après seize années à la tête de l’Allemagne, Angela Merkel fait une toute dernière halte en France dans ses habits de chancelière.
Emmanuel Macron l’a invitée à Beaune (Côte-d’Or), ce mercredi 3 novembre, pour une réception et une soirée en son honneur. L’occasion pour les deux dirigeants, qui se sont déjà vus tout le week-end à Rome et Glasgow pour le G20 et la COP26, de célébrer l’amitié franco-allemande, le moteur de l’Union européenne.
Le chef de l’État va ainsi remettre les insignes de Grand’Croix de la Légion d’honneur à son homologue de 67 ans, qui aura connu, avant lui, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Une façon, aussi, de clore des relations personnelles dont les spécialistes s’accordent à dire qu’elles se sont réchauffées avec le temps, et au fil des crises pour aboutir à une politique “historique.”
Un lien de confiance
Avec cette réception bourguignonne, Emmanuel Macron voulait un lieu “dont les monuments historiques et la culture du vin illustrent la richesse du patrimoine français”, explique l’Élysée. De l’autre côté du Rhin, on voit cette invitation comme le “signe des relations étroites entre l’Allemagne et la France” et le “reflet” de “la coopération particulièrement confiante” entre les deux dirigeants, selon les mots de Martina Fietz, la porte-parole du gouvernement, en marge de ces “adieux.”
De fait, leur relation est solide, selon de nombreuses sources de l’AFP: les deux se parlent quasiment chaque semaine, se tutoient et ont pris l’habitude de descendre dans le même hôtel pour y boire un verre de vin ensemble les soirs de sommets européens. De quoi tisser ce fameux lien de confiance sans lequel le couple franco-allemand est bancal.
Une analyse partagée par nombre de spécialistes des questions géopolitiques et internationales. “La relation avec Emmanuel Macron, qui partage un certain pragmatisme avec Angela Merkel, a certainement été bien meilleure” qu’avec les trois autres présidents avec lesquels elle a travaillé, expliquait en ce sens Sabine von Oppeln, professeure à l’université libre de Berlin, dans les colonnes de La Libre Belgique en septembre dernier.
“Ils sont très différents, mais ils ont tous les deux une rigueur méthodique et un mode de fonctionnement qui n’est pas très éloigné”, expliquait de son côté le secrétaire d’État aux Affaires européennes Clément Beaune, à l’AFP. Il en sait quelque chose lui qui, quelques mois avant l’arrivée de Macron à l’Élysée, avait été un artisan de leur toute première entrevue avant de devenir le conseiller Europe du chef de l’État.
Des débuts compliqués
En réalité, leur relation a considérablement évolué depuis 2017. Au départ, difficile de trouver beaucoup de points communs entre une chancelière de 67 ans, élevée à l’école de la prudence, et un jeune président de 43 ans désireux de bousculer les règles et qui a érigé le mouvement comme ligne directrice.
À peine élu, Emmanuel Macron a pourtant marqué son envie de faire revenir durablement le déficit français sous les 3% du PIB et de réformer le droit du travail en France, des demandes récurrentes de l’Allemagne. Par ces gestes de bonne volonté, il espérait rallier la chancelière à ses projets de réforme de l’Europe, comme la mise en place d’une défense européenne ou le lancement de grands investissements. Sans trop de résultats immédiats.
Le président français a bien obtenu son soutien sur certains projets et surtout sur la nomination d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne et de Christine Lagarde à la BCE. Mais il s’est longtemps heurté aux réticences allemandes envers la hausse des dépenses de l’Union européenne. Si la chancelière a accepté le principe d’un budget de la zone euro en juin 2018 à Meseberg, elle n’a donné son accord que sur un montant extrêmement limité.
Surtout, la fronde des “gilets jaunes”, et les enveloppes débloquées dans la foulée ont éloigné le retour à l’équilibre des comptes publics français, ce qui a affaibli l’influence du Français à Bruxelles. Le volontarisme politique affiché sur de nombreux sujets ne suffisait alors pas.
La crise sanitaire comme accélérateur
C’est finalement la crise du Covid qui est venu resserrer leurs liens. Une sorte de mariage de raison qui entraînera finalement le reste de l’Europe dans une coopération inédite, malgré un nouveau clivage avec les pays qualifiés de “frugaux.”
En mai 2020, Emmanuel Macron a ainsi convaincu la chancelière de la nécessité d’un plan de relance européen de 750 milliards d’euros, largement financé par des emprunts mutualisés, et une redistribution orientée vers les pays les plus fragilisés. Soit tout ce que Berlin refusait jusqu’ici. Les deux dirigeants ont ensuite œuvré ensemble pour arracher un accord historique sur ce plan.
“Une avancée aussi importante que l’euro”, à en croire le secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, Clément Beaune, dans un récent entretien au HuffPost. Un plan qui “restera très probablement comme un tournant majeur de la construction européenne”, abonde Sylvain Kahn, enseignant-chercheur à Science Po, dans un texte publié sur The Conversation en septembre dernier. Le spécialiste rapproche cette “relance” de “celles enclenchées par le projet de Marché commun en 1956 et par le Conseil européen de Fontainebleau en 1984.”
Et après? Nul doute que le chef de l’État français aurait préféré pouvoir compter sur cette alliance et la stabilité du pouvoir outre-Rhin avant de prendre la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne en janvier prochain. Le calendrier en a décidé autrement puisque le successeur, social-démocrate, d’Angela Merkel, Olaf Scholz, sera à peine entré en fonction.
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