KABOUL – Le 9 septembre est une journée sombre pour l’Afghanistan, déjà assommé par la prise de pouvoir des talibans. C’est à cette date, en 2001, que le commandant Ahmad Shah Massoud, figure tutélaire de la résistance, a été assassiné par Al-Qaïda. Le “Lion du Panchir” s’était forgé une réputation de brillant chef de guerre dans les années 80 en luttant contre les forces soviétiques qui occupaient sa province du Panchir, puis en organisant la résistance contre le régime islamiste et ses alliés d’Al-Qaïda.

Mais après le retrait américain, les talibans sont revenus en force et ont annoncé avoir justement pris le contrôle “complet” du Panchir, dernier bastion anti-talibans du pays. Lors de l’attaque, ils ont tué 200 civils et même profané la mémoire du commandant Massoud en saccageant son tombeau. Faut-il y voir, 20 ans jour pour jour après sa mort, l’illustration de la fin de la résistance ou celle-ci peut-elle, au contraire, y puiser la force pour renaître? 

“Les talibans ont annoncé la prise du Panchir, mais il faut nuancer leurs propos, note David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris, spécialisé sur la région du Moyen-Orient. C’est vrai, ils ont pris le contrôle de la route principale ainsi que la capitale de la vallée, Bazarak, mais on parle ici d’une vallée encaissée et difficile d’accès, où les talibans auront toujours des difficultés pour se déployer et progresser. Alors certes, la prise de contrôle officielle apparaît comme une première, mais il y a encore des combattants dans la vallée qui vont développer une forme de guérilla de longue haleine et leurs leaders dont Ahmed Massoud n’ont pas renoncé”.

Ahmad Massoud mène la résistance

L’héritage du “Lion du Panchir” n’est en effet pas mort avec lui. Son fils, Ahmad Massoud, mène le FRN, Front de la Résistance nationale . Sur place, il partage la mission avec Amrullah Saleh, ancien vice-président et un des rares membres du gouvernement déchu à n’avoir pas fui à l’étranger ni capitulé. Deux frères du commandant, Yahya Massoud et Ahmad Walid Massoud sont toujours en vie et poursuivent également la lutte, mais depuis l’extérieur du pays

Selon un porte-parole du FRN, les forces du nouveau régime ne contrôlaient mercredi 8 septembre que 40% de la vallée. “Les Soviétiques ont déjà contrôlé cette zone, mais ils n’ont pas mis fin à la guerre, ni arrêté la résistance. Les talibans ne connaissent pas notre territoire. Nos combattants sont dans les montagnes et se préparent à la guerre, pour des actions de guérilla”, a affirmé un proche de la famille Massoud à Europe 1.

Pour Karim Pakzad, chercheur associé à l’Iris, spécialiste de l’Afghanistan, il est cependant trop tôt pour parler de résistance organisée. La prise de contrôle éclair des grandes villes par les talibans a “disloqué brutalement” la société et “ceux qui prétendaient être à la tête des partis ont quitté le pays ou sont entrés dans la clandestinité”. “La seule résistance établie est celle menée par Ahmad Massoud. Mais même elle n’a pas eu assez de temps pour se préparer ou s’équiper”, nous explique-t-il. 

Le FRN a un genou à terre

Ce n’est pas la première fois que le Panchir est cerné par l’ennemi, mais contrairement à 2001 avec Al-Qaïda, les résistants n’ont plus de possibilité de jonction avec le Tadjikistan pour se ravitailler puisque l’armée talibane a investi toutes les grandes villes du nord, encerclant ainsi totalement la vallée. 

Le Panchir a demandé de l’aide aux États-Unis, sans retour. Ils ont demandé une aide humanitaire à l’Onu, mais là aussi, impossible d’envoyer quoi que ce soit dans le pays sans l’accord des talibans. “Une crise alimentaire se prépare pour l’automne. Ils feront face aux talibans et à un risque de famine”, alerte David Rigoulet-Roze.  

Dans ces conditions, le FRN peut-il perdurer? “Difficile à dire, s’ils ne trouvent pas de solution pour se ravitailler ou si d’autres foyers de résistance ne se créent pas, ils vont avoir du mal à lutter, craint Karim Pakzad. D’autant plus qu’après l’entrée dans la vallée, des massacres de civils ont été commis selon Ahmad Massoud”.

Le frère du commandant Massoud, Ahmad Wali, a admis que le FRN avait un genou à terre, tout en affirmant que des milliers de combattants pourraient revenir combattre dans la province. Ahmad Massoud, dont on ignore où il se trouve, a quant à lui appelé à poursuivre la lutte. Certains doutent même de ses compétences. Mohammad Sana Safa qui avait combattu les Soviétiques avec son père estime par exemple qu’il n’a pas assez d’expérience. “La chute du Panchir face aux talibans… Si (son père) était toujours en vie, jamais nous n’aurions vu cela”, assure-t-il.

L’espoir de la résistance civile 

La résistance armée en mauvaise posture, le salut pourrait passer par une une autre résistance, que les talibans n’ont pas vu venir: celle des civils. Depuis leur prise de pouvoir, plusieurs manifestations ont eu lieu, y compris de la part de femmes qui ont revendiqué leur droit à travailler. Ces vingt dernières années, elles ont en effet goûté à la liberté et ne sont pas prêtes à y renoncer. 

“L’héritage de Massoud n’est pas mort parce que quand vous voyez des gens se soulever contre les talibans à Kaboul, à Mazâr-e Charîf, à Hérat et dans le Panchir, c’est ça son héritage, a exhorté depuis Genève Ahmad Wali Massoud, lançant un appel au soulèvement. Ses idées, sa vision, sont toujours avec nous. La seule chose qui peut encore sauver l’Afghanistan c’est justement cet héritage. Tant que l’esprit de Massoud perdurera, l’Afghanistan sera toujours en vie.”

David Rigoulet-Roze tempère cet enthousiasme en pointant une différence majeure entre villes et campagnes. Dans les premières, qui ont bénéficié de l’ouverture de ces deux dernières décennies, la mobilisation est réelle. C’est nettement moins le cas dans les secondes où les coutumes et pratiques sociales “ne sont pas si éloignées des normes que veulent imposer les talibans”.

Reste un troisième acteur de la résistance, évoqué par Karim Pakzad. “Avant 2001, les journalistes étaient assassinés, mais ensuite la liberté de la presse a explosé et fait aujourd’hui office d’avant-garde de la résistance. Car la plupart sont des journalistes qui ont grandi dans une société de liberté de penser. Ils sont dignes de leur métier et de leur réputation”, explique-t-il. La question est de savoir si les talibans entendent s’attaquer à eux. Cela pourrait alors présenter un risque pour les fondamentalistes. “Plus d’extrémisme ne fera que renforcer la volonté de résister”, pointe-t-il.

À voir également sur Le HuffPost: À Kaboul, les Talibans tirent dans l’air pour disperser des manifestants

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