En finir avec les passoires énergétiques

Dans le secteur du bâtiment, la transition vers la neutralité carbone passera par la rénovation autant que par l’évolution des modes de chauffage. D’après la seconde version de la stratégie nationale bas carbone : « dans le secteur du résidentiel, le rythme de rénovation atteint environ 370 000 rénovations complètes équivalentes en moyenne sur la période 2015-2030 puis augmente pour atteindre environ 700 000 rénovations complètes équivalentes en moyenne sur la période 2030-2050. »
Cette stratégie de long terme sera mise à jour prochainement, mais l’on peut déjà noter que l’ambition affichée est grande mais indispensable et que sa mise en œuvre sera complexe. Complexe parce que le nombre de bâtiments est important, complexe parce qu’il est difficile de standardiser la rénovation, complexe parce que le parc de bâtiments est très hétérogène en termes de performances, et en termes de typologies, difficile parce que cela va toucher à l’espace privatif des Français, et que globalement la rénovation est chère.
Indispensable parce que, sans elle, il sera impossible de décarboner le chauffage qui est avec le transport l’un des secteurs qui implique le plus d’émissions en France. Indispensable pour permettre la résilience de nos territoires et une transition juste, car, aujourd’hui, ce sont les locataires précaires de ces logements mal isolés qui payent la facture, quand ils le peuvent.
Des objectifs clairs
Pour mettre en œuvre cette stratégie, il est important d’avancer avec un instrument qui permette de mesurer l’état du parc à tout moment et de fixer des objectifs de long terme ainsi qu’une trajectoire réaliste et contrôlable pour les atteindre.Il faut communiquer sur des objectifs clairs et connus de tous longtemps à l’avance. Cet instrument existe déjà en partie : c’est le diagnostic de performance énergétique (DPE), qui permet d’affecter à un logement donné une estimation du besoin de chauffage, des consommations énergétiques pour l’eau chaude sanitaire et la cuisson.
Dans sa forme la plus synthétique, il se résume à une étiquette entre A et G qui permet de donner une définition claire à ce qu’est une « passoire énergétique » : un bâtiment avec une étiquette F ou G. Ces étiquettes permettent de définir des politiques énergétiques. A court terme, la loi résilience climat, votée cet été, va imposer le gel des loyers des passoires énergétiques dès 2023, et l’interdiction de mettre en location les logements mal isolés : les étiquettes G à compter de 2025, les F en 2028 et les E en 2034. Avec le temps, le DPE va donc jouer le rôle d’un contrôle technique pour les performances énergétiques d’un bâtiment.
Ce diagnostic peut être vu comme un outil de sondage permettant d’estimer les performances d’un bâtiment du parc. Comme le DPE est maintenant obligatoire lors de la mise en location ou de la vente d’un édifice, il est de fait une méthode d’observation appliquée à grande échelle qui permet d’affiner la vision que l’on a des performances de l’ensemble du parc. D’autant que l’intégralité des données obtenues dans les 8 millions de DPE effectués jusqu’à juin 2021 sont mises à disposition en open data par l’Ademe (l’agence pour le développement et la maîtrise de l’énergie).
Notons à ce stade que le DPE combine des mesures simples sur site, quelques valeurs par défaut (plus ou moins selon les pratiques des diagnostiqueurs), et l’utilisation d’un modèle : le « 3CL ». Le DPE permet d’estimer une consommation conventionnelle reflétant la performance du bâti dans un climat moyen associé à sa localisation. Ce modèle n’a pas la prétention de fournir une analyse approfondie de l’état du bâtiment ou de donner des indications sur ce qu’il faudrait faire pour améliorer les performances, il ne donne pas non plus une estimation de la future facture d’énergie du logement qui reflète, elle, la manière dont le bâti est occupé et la variabilité du climat d’une année sur l’autre. En outre, les consommations réelles peuvent assez largement dépendre, surtout pour des bâtiments peu performants, des conditions d’utilisation.
A DPE équivalent, pour une passoire thermique, on observe clairement que la consommation énergétique d’un foyer ayant de faibles revenus est beaucoup moins importante. Les populations pauvres qui habitent dans des passoires énergétiques n’ont bien souvent pas les moyens de se chauffer. Il est à noter que les données existantes pour quantifier ce phénomène à une échelle territoriale fine, tout en restant anonymes, sont de plus en plus complètes : les niveaux de revenus, les consommations réelles d’énergies viennent s’ajouter aux données de bâtiment à l’échelle infra-communale (iris).
7 millions de passoires énergétiques
Dans une étude publiée en septembre 2020, le service statistique du gouvernement a utilisé cette base pour mettre à jour l’estimation du nombre de passoires énergétiques. La dernière estimation de 2013 en donnait 8,8 millions et celle de 2020 annonçait que ce nombre n’était plus que de 4,8 millions de logements. Nous montrons [EtudePassoire-2021] que ce résultat a pu être fortement impacté par des DPE de mauvaise qualité.
En effet, la distribution des performances énergétiques de tous les bâtiments diagnostiqués présents dans la base de l’Ademe montre clairement qu’une partie non négligeable de diagnostiqueurs a pu, pour obtenir une meilleure étiquette DPE, ou par souci de rapidité, modifier à la marge les données de terrain. Pour le client du DPE, avoir une meilleure étiquette est parfois utile lors de la vente ou de la location.
A l’échelle de la France, cela mène aujourd’hui à une sous-estimation du nombre de passoires. Nous ne sommes pas capables pour l’instant de détecter une fraude ou un défaut d’application sur un DPE donné, mais nous avons proposé une méthode pour corriger la distribution des performances énergétiques afin de tenir compte de ces biais. Dans notre analyse, nous parvenons à une estimation du nombre de passoires qui est plus proche de 7 millions.
Le Diagnostique de performance énergétique est maintenant un document opposable qu’un acheteur pourrait utiliser pour casser une vente
Une nouvelle version de la méthode 3CL a été publiée en juillet 2021. C’est une méthode robuste qui semble satisfaire les experts du domaine. Les exigences sur les logiciels utilisables par les diagnostiqueurs sont plus importantes. Le DPE est maintenant un document opposable qu’un acheteur pourrait utiliser pour casser une vente. Il semble clair que les pratiques passées des diagnostiqueurs, entre l’envie de faire vite, ou l’envie de faire plaisir au client, n’y trouveront plus leur place de la même manière. Le DPE va donc devenir un outil plus précis, plus difficile à contourner, et plus contraignant pour les propriétaires.
La réaction des professionnels de l’immobilier ne s’est pas fait attendre, mais ceux-ci reviennent à la charge en vue des élections présidentielles et le 30 novembre la FNAIM a engagé les candidats aux élections à alléger la contrainte de la loi climat de juillet dernier.
Ce réflexe qui consiste à demander sans examen approfondi de réviser les objectifs à la baisse est une mauvaise attitude. Ces 7 millions de passoires énergétiques en 2020 sont moins que les 8.8 millions de 2013 mais si nous ne sommes pas allés assez vite jusqu’à maintenant, c’est justement qu’il a manqué une contrainte dans la loi pour avancer.
Le niveau de l’ambition est fixé par nos objectifs de neutralité carbone pour 2050. Pour le court terme, cherchons déjà à voir comment agir au mieux, chacun à son niveau, individuellement pour les propriétaires, mais aussi collectivement pour informer et accompagner ceux qui en ont besoin, évaluer et identifier les difficultés. La faisabilité ou le coût de l’objectif reste questionnable mais l’important à ce stade est d’évaluer les moyens dans une action coordonnée et constructive avant de dire que nous ne les avons pas.
Il existe des solutions que nous allons mettre en place pour mieux détecter les bâtiments qui posent des problèmes, pour mieux évaluer les moyens à mettre en œuvre. On pourrait même imaginer partager une carte interactive pour informer, accompagner les collectivités, évaluer les coûts, mesurer les progrès comme on le fait dans les challenges « familles à énergie positive ». Car au-delà des questions techniques relatives au DPE, qui connaît vraiment les mesures prises par la loi climat ? A-t-on envoyé une lettre à tous les logements ayant un DPE F ou G pour les informer (les adresses sont connues et publiques dans la base DPE) ? Aux maires des villes qui sont susceptibles d’abriter ces logements ? Est-ce que chacun attend dans son coin que la date fatidique arrive pour se plaindre de ne pas avoir été prévenu et demander un peu plus de temps ?
Chronique rédigée avec Yassine Abdelouadoud, que vous pouvez retrouver sur le blog de Robin Girard : https://www.energy-alternatives.eu/
Commentaires récents