Dans le grand jeu de la traque des responsables de la surchauffe planétaire, les doigts pointent plus que jamais vers les Etats-Unis, principaux coupables des émissions de gaz à effet de serre en cumul depuis la révolution industrielle et en rejets par habitant. L’arrivée de l’administration Trump, le 20 janvier, marque pour le pays le début d’une période de régressions brutales, sans précédent par rapport au mandat de l’ancien milliardaire d’extrême droite et climato­sceptique, en raison de l’affaiblissement de tous les contre-pouvoirs. En plus d’une majorité républicaine déjà présente au Congrès et à la Cour suprême, on craint le grand nettoyage annoncé dans l’administration fédérale. Bien que la baisse des émissions de gaz à effet de serre aux Etats-Unis devrait continuer, les perspectives d’une avancée en accord avec l’objectif d’un monde à moins de 2 °C de réchauffement global, qui étaient déjà limitées en cas de victoire démocrate, sont désormais nulles.

Ce contexte aura un impact significatif sur le cours des négociations climatiques internationales et sur les politiques nationales de décarbonation, alors que 2025 représente un moment crucial. Les 197 Etats participant à l’Accord de Paris sont censés soumettre en début d’année des engagements nationaux renforcés, afin d’être enfin collectivement cohérents avec leur objectif commun de maintenir le réchauffement « bien en dessous » de 2 °C. Avec l’espoir que la COP 30 prévue en novembre prochain soit véritablement celle du « relèvement des ambitions ».

L’Europe en retrait

Une condition essentielle – et non suffisante – pour ce rehaussement est que les acteurs les plus aptes et ambitieux, comme l’Union européenne, se dotent des moyens de réussir. Ils ouvriront la voie aux autres en confirmant les conclusions répétées des études prospectives, à savoir que les défis techniques et économiques peuvent être surmontés. Ils montreront aussi que la transition peut contribuer à un meilleur bien-être et que ce qui est bénéfique pour éviter la catastrophe d’un monde avec plus de 2 °C l’est également pour gérer les effets inévitables d’un réchauffement global qui atteint actuellement le seuil déjà très difficile de + 1,5 °C.

En ce qui concerne spécifiquement les Vingt-Sept, la fin rapide des énergies fossiles ne concerne pas uniquement le climat et la sécurité mondiale à long terme. C’est aussi une question cruciale de sécurité et de coûts énergétiques à court terme, un défi que n’ont pas les Américains.

Cependant, les espoirs suscités en Europe en 2019 avec le lancement du Pacte vert et l’augmentation des ambitions à dix ans, conditionnant l’atteinte de la neutralité climatique visée pour 2050, ont été déçus. Après le moment d’accélération provoqué en 2022 par l’agression russe et ses conséquences pour la sécurité énergétique de l’Union européenne, l’élan des Vingt-Sept a ralenti à l’approche des élections européennes de juin 2024, dans un contexte de montée des populismes. Depuis, ce ralentissement s’est accentué avec le déplacement du centre de gravité politique.

Mais au-delà de la poussée des droites qui a engendré des abandons (particulièrement sur les normes environnementales en agriculture), il est surtout nécessaire de souligner la difficulté des dirigeants européens à mobiliser les financements nécessaires pour mettre en œuvre les acquis législatifs du Pacte vert. Les investissements publics et privés en faveur du climat progressent et ont dépassé 400 milliards d’euros en 2022. Néanmoins, il faudrait doubler cette somme pour atteindre l’objectif 2030 de réduction de 55 % des émissions nettes.

Bien que le sujet de la taxation des riches soit sur la table, les responsables politiques demeurent réticents à utiliser le levier fiscal. De plus, ils ont souhaité revenir rapidement, après les mesures de soutien des années Covid, au respect des règles budgétaires qui fondent le pacte européen. Celles-ci sont pourtant inadaptées aux nécessités de financement requises par une transition énergétique tout aussi urgente et impérative que la crise sanitaire. Les propositions de certains économistes critiques ne constituent pas un sujet de débat. À l’inverse, de l’autre côté de l’Atlantique, l’administration Biden a sans hésitation accepté, avec sa loi sur l’inflation (IRA), d’augmenter le déficit budgétaire pour soutenir le « made in America » dans les énergies vertes et le véhicule électrique.

Brouillard institutionnel

Loin de s’opposer à cette rétraction européenne aux conséquences mondiales, la politique énergie-climat de la France la favorise. Avec trois signaux négatifs. D’abord, le flou institutionnel. L’objectif de réduction de 55 % a été présenté par la Commission européenne à la fin de 2019, puis juridiquement validé par l’Union en juillet 2021. Toutefois, au lieu d’accélérer la mise à jour de ses documents de planification énergie-climat pour correspondre à cette ambition renforcée, la France a pris du retard sur son propre calendrier.

L’exécutif aurait dû soumettre ses troisièmes SNBC et PPEjuste après l’approbation d’une loi de programmation énergie climat (LPEC) qui, selon la loi climat de 2019, aurait dû être votée avant l’été 2023. Cette LPEC n’a jamais vu le jour et, après un interminable processus d’élaboration et de consultation, des projets de nouvelles PPE et SNBC ont été rendus publics le 4 novembre dernier, pour avis. La publication du décret PPE a été annoncée pour la fin du premier trimestre 2025 et pour le deuxième semestre pour la SNBC.

Cependant, l’adoption de ces décrets sans une LPEC pose un problème juridique qui n’a pas échappé aux parlementaires. La droite sénatoriale a profité de cette situation et a proposé en avril 2024 une loi climat dont le texte initial aurait entravé le développement du solaire et de l’éolien, alors que leur essor est indispensable pour atteindre les objectifs de décarbonation, même en cas de relance maximale du nucléaire. Le gouvernement a bien réussi à rectifier le tir par voie d’amendement, mais des reculs préoccupants demeurent dans le texte adopté par le Sénat et transmis le 17 octobre à l’Assemblée nationale.

En particulier, comme l’indique l’avocat de l’environnement Arnaud Gossement, le texte de loi en discussion vise désormais à « tendre vers » l’objectif européen de réduction des émissions à 2030, ce qui ne serait donc plus une obligation.

Cette régression est de fait validée par l’exécutif, puisque son projet de SNBC prévoit une baisse de 52 % et non de 55 % des émissions nettes d’ici 2030. Un recul que le gouvernement justifie par l’effondrement des capacités de séquestration de carbone de la forêt, mais qui va à l’encontre des obligations européennes de la France, rappelle encore Arnaud Gossement. Elle aurait dû soit obtenir l’accord de ses partenaires européens pour passer de 55 % à 52 %, soit rehausser ses objectifs sectoriels de réductions d’émissions à 2030 pour compenser les capacités d’absorption de CO2 diminuées de la forêt.

La stratégie de l’offre

Autre source d’inquiétude, le projet de SNBC ne précise pas quelle sera la trajectoire de réduction des émissions prévue pour la période 2030-2050, ce qu’il est censé faire. Le gouvernement indique que cela sera intégré dans le document final, mais le projet actuel laisse déjà supposer les éléments d’une équation qui, pour l’instant, ne « boucle » pas. Il faudrait soit adopter un cap plus ambitieux dès maintenant et s’y tenir, soit se conformer à la trajectoire actuelle et s’imposer des efforts beaucoup plus conséquents à partir de 2030, soit abandonner l’objectif de neutralité en 2050.

Le deuxième signal inquiétant émis par la France concernant la crédibilité de ses engagements climatiques est sa foi excessive dans le nucléaire. En attendant que le nouveau nucléaire commence à produire, ce qui ne sera pas avant dix ans au minimum (s’il commence un jour), la PPE stipule que son parc de réacteurs actuel, désormais vieillissant, retrouvera un niveau de production élevé et constant au moins jusqu’en 2035, après le déclin de ces dernières années. Cela suppose de pouvoir exploiter jusqu’à 60 ans ou plus des équipements conçus pour une durée de vie de quarante ans.

Rien n’est moins sûr, surtout au vu des incidents récents, comme le phénomène de corrosion sous contrainte, qui, sur un parc très standardisé, pourrait conduire à devoir mettre à l’arrêt non seulement un mais l’ensemble d’un groupe de réacteurs. Pour Philippe Huet, un ancien cadre dirigeant d’EDF, le niveau de dépendance nucléaire de la France est « un risque majeur », aggravé d’année en année par le vieillissement de ses centrales.

En combinant le prolongement extrême du nucléaire historique avec un développement rapide du photovoltaïque et de l’éolien, le gouvernement inscrit dans sa feuille de route pour 2030-2035 une forte augmentation de la production d’électricité, et donc de sa consommation. Si la décarbonation implique effectivement l’électrification des usages, la demande sera-t-elle à la hauteur ?

Michel Gioria, délégué général du syndicat professionnel France renouvelables, reste sceptique : « La trajectoire d’électrification des usages n’est pas pilotée, qu’il s’agisse de mobilité ou d’industrie. » De son côté, Hélène Gassin, présidente de négaWatt, souligne le risque de choix excessivement coûteux. Les pompes à chaleur, c’est bien, mais pas dans des logements mal isolés. Maîtriser la demande d’électricité veut dire moins de besoins en infrastructures et moins de coûts pour les ménages.

Cette stratégie de décarbonation qui mise fortement sur l’offre pose également des questions concernant la biomasse. « Le plan français prévoit des prélèvements de bois en 2030 à un niveau que notre scénario Afterres n’envisage que pour 2050. C’est très optimiste », affirme Christian Couturier, directeur de Solagro. En effet, mettre en place une filière industrielle du bois d’œuvre et un marché de la construction en bois (qui est une forme de stockage du CO2) prendra de longues années.

L’intendance ne suit pas

Troisième et dernier signal préoccupant, l’incertitude sur les moyens alloués aux objectifs annoncés. D’un côté, l’ambition est (insuffisamment) rehaussée. De l’autre, les ressources, jusqu’à présent, ne suivent pas. Le précédent gouvernement avait même décidé de freiner en présentant, dans son projet de loi de finances 2025, des coupes claires dans des budgets essentiels : les aides à la rénovation des logements, les soutiens à l’achat de voitures électriques, le fonds vert des collectivités locales.

Les projets de SNBC et de PPE quantifient à 110 milliards d’euros par an le besoin d’investissement supplémentaire pour atteindre l’objectif climat 2030, ramenés à 63 milliards nets si l’on tient compte du fait qu’acheter plus d’équipements écologiques (comme des voitures électriques) coûte moins en équipements polluants (comme des voitures thermiques). Ces proportions sont en accord avec ce que disent les chercheurs.

En revanche, le pari selon lequel ces 63 milliards seront financés principalement par les ménages et les entreprises, en alignant leur taux d’effort d’investissement vert sur celui de l’État, paraît peu réaliste, rappelle Damien Demailly, directeur adjoint d’I4CE, centre de réflexion sur l’économie du climat. Pour en être certain, il aurait fallu que ces feuilles de route détaillent secteur par secteur les mesures envisagées, leurs impacts attendus et les délais.

Et il faudrait accessoirement, en attendant des plans stratégiques présentant des moyens et des objectifs cohérents, que l’exécutif ne revienne pas sur les acquis. On a vu le précédent gouvernement soutenir la proposition de loi présentée le 7 novembre par deux députés Ensemble et socialistes visant à assouplir l’interdiction votée en 2021 de louer des passoires énergétiques classées G à compter du 1er janvier. Le suivant va-t-il corriger le tir ?

Face à l'élévation des températures climatiques, est-ce que nous sommes en train d'abandonner ?

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