Finance durable : l’Autorité des marchés financiers doit faire preuve d’autorité
Depuis presque dix ans, le monde de la finance l’affirme : son avenir sera vert. De fait, le lien entre finance et transition vers un monde bas carbone a été acté par l’accord de Paris sur le climat qui engage les pays signataires, dans son article 2.1(c), à rendre les flux financiers « compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques ».
Cette formulation désigne la nécessité d’une réallocation des flux financiers, c’est-à-dire d’un désengagement financier des activités les plus nocives pour le climat et d’un financement plus massif des activités et secteurs compatibles avec nos engagements climatiques.
Dans la foulée de la COP21, banques, assurances et sociétés de gestion ont multiplié les déclarations visant à affirmer leurs engagements proclimat : désinvestissements annoncés de l’industrie charbonnière, volonté d’aligner les portefeuilles sur les objectifs de l’accord de Paris, création d’indices boursiers « climatiques », etc. Pour une bonne part, ces promesses relèvent du « greenwashing », sans pour autant que les autorités de surveillance ne réagissent.
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Greenwashing généralisé
C’est pourquoi, le 18 juin 2024, Reclaim Finance, UFC-Que choisir et une vingtaine d’économistes et d’ONG interpellaient l’Autorité des marchés financiers (AMF) dans une lettre ouverte afin qu’elle lutte plus activement contre le greenwashing, en particulier en usant de ses pouvoirs de sanction. A l’origine de cette requête, le constat que l’information sur la composition des produits financiers considérés comme « verts » ou « durables » est souvent trompeuse.
70 % des fonds passifs prétendument durables investissent dans l’expansion fossile
En effet, comme l’ont souligné plusieurs rapports et articles de recherche, de très nombreux produits financiers qui se prétendent durables ne le sont pas. Ainsi, des études menées par Reclaim Finance montrent que 70 % des fonds passifs – ceux qui cherchent à se situer dans la performance moyenne du marché – prétendument durables investissent dans l’expansion fossile. Or, cela est totalement incompatible avec les impératifs de transition énergétique.
C’est ce que rappelle l’Agence internationale de l’énergie dans un rapport de 2021 qui préconise, entre autres, l’arrêt de l’exploration de nouveaux sites gaziers ou pétroliers « au-delà de ceux déjà engagés en 2021 » et la fin de l’ouverture de nouvelles centrales électriques au charbon dès 2021.
Dans une autre étude dont les conclusions sont convergentes, Reclaim Finance révèle que 70 % des fonds d’épargne salariale français affichant des prétentions de durabilité financent des entreprises impliquées dans de nouveaux projets d’énergies fossiles, contrevenant ainsi aux préconisations en matière de transition énergétique.
Ce constat est partagé par nombre de travaux de chercheurs. Ainsi Noël Amenc, Felix Goltz et Victor Liu, chercheurs de la chaire Scientific Beta de l’Edhec, dénoncent un greenwashing généralisé. Ils écrivent :
« La grande majorité des fonds institutionnels et des mandats qui prétendent avoir un impact positif sur le climat sont exposés à des risques importants et évidents d’écoblanchiment, en grande partie parce qu’ils affichent des mesures climatiques attrayantes dans leurs portefeuilles grâce à la mise en œuvre de stratégies erronées. »
Leur étude décortique les indices boursiers dits « climatiques » aux noms évocateurs, tels Euronext Low Carbon PAB (Paris Aligned Benchmark) ou MSCI Climate Change. Les chercheurs montrent que, pour les investisseurs qui utilisent ces indices, les données climatiques ne représentent qu’une très faible part (12 %) des déterminants de l’allocation de leurs portefeuilles soi-disant alignés sur une économie bas carbone.
Greenlabelling, greenlighting, greenhushing…
Dès lors, ne doit-on pas en conclure que les épargnants sont bernés, victimes de greenwashing ? Cette méthode marketing, qui consiste à tromper le consommateur ou l’investisseur quant aux performances écologiques d’un produit qu’il soit une marchandise ou un produit financier, se subdivise en différentes pratiques. Le « greenlabelling », pratique la plus répandue, consiste à utiliser des qualificatifs évoquant des pratiques écologiques vertueuses (« vert », « responsable » « durable », …) sans preuves avérées.
Le greenlabelling, très répandu dans le monde de la finance, doit être combattu car sa nocivité sur le développement d’une finance vraiment durable est considérable
Le « greenlighting » survend les efforts environnementaux en mettant en avant de petites réalisations sans grand impact, de sorte à détourner l’attention des problèmes environnementaux réels posés par une entreprise. Cette stratégie est proche du « greenhushing » qui minimise, voire ignore, les impacts environnementaux négatifs de l’activité d’une entreprise pour ne se concentrer que sur un aspect positif particulier.
Le « greenrinsing », quant à lui, entretient la confusion en multipliant les engagements écologiques multiples et en les modifiant régulièrement, ce qui rend difficile l’évaluation de l’engagement réel.
Le greenlabelling est, comme nous l’avons souligné, très répandu dans le monde de la finance. Or, il doit être combattu avec la plus grande vigueur car sa nocivité sur le développement d’une finance vraiment durable est considérable. Le greenwashing jette l’opprobre et instille le doute, y compris sur les acteurs financiers les plus vertueux qui s’efforcent d’avoir des stratégies d’allocation d’actifs rigoureuses du point de vue écologique.
Menace sur l’épargne
Il trompe les épargnants en les conduisant à soutenir, à leur insu, les secteurs les plus nocifs pour le climat. Mais ce ne sont pas les seules raisons pour lesquelles il faut sanctionner ces pratiques. Elles mettent en danger l’épargne des ménages à cause du risque d’échouage des actifs adossés aux secteurs et activités très carbonés.
En effet, les actifs « bruns », qui sont toujours massivement présents dans les produits financiers vendus comme « durables », sont exposés au risque de transition. Celui-ci désigne la dépréciation massive à venir des actifs qui vont être confrontés aux contraintes environnementales, aux réglementations climatiques, voire à des innovations technologiques, les rendant obsolètes avant amortissement complet. Ces actifs échoués, également qualifiés d’« actifs bloqués » ou « irrécupérables », concernent principalement les énergies fossiles affectées par la transition énergétique.
En ne sanctionnant pas les pratiques de greenwashing, l’AMF contrevient à ses missions fondamentales de veiller à l’information des investisseurs
L’AMF, en ne sanctionnant pas ces pratiques, contrevient à ses missions fondamentales de protéger l’épargne investie dans des instruments financiers, de veiller à l’information des investisseurs, et plus spécifiquement à la qualité de l’information fournie par les sociétés de gestion sur leur stratégie vis-à-vis du changement climatique.
La mise à jour publique de ce manquement via la lettre ouverte interpellant l’AMF et dénonçant son attentisme face au greenwashing commence peut-être à porter ses fruits. Moins d’une semaine après la diffusion de celle-ci, l’AMF rendait publique pour la première fois « un accord de compensation administrative » frappant une société accusée de greenwashing.
Il s’agit de la société de gestion d’actifs Primonial Reim, qui devra payer 40 000 euros au Trésor public pour « des manquements dans sa communication en matière de durabilité ». Certes, cette décision de l’AMF va dans la bonne direction, mais elle est loin d’être à la hauteur du caractère systémique du greenwashing dans la finance.
Compte tenu de l’importance de l’enjeu, espérons que ce soit le premier acte d’une inflexion véritable de la politique de l’AMF quant à ses responsabilités en matière de surveillance et de sanction des pratiques de greenwashing des acteurs financiers sous son contrôle. L’AMF doit être une autorité indépendante faisant preuve d’autorité. Il y va de sa crédibilité.
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