Financement des retraites : un choix avant tout politique
Le feuilleton de la réforme de l’assurance chômage avait presque réussi à leur voler la vedette. Les retraites viennent pourtant d’opérer un retour en force. Rien de tel qu’une campagne électorale pour les remettre sur le devant de la scène !
A deux semaines du premier tour des législatives, la gauche s’est d’ores et déjà engagée à abroger la réforme de 2023 qui a porté l’âge légal de départ à 64 ans. Un choix irresponsable a déclaré Emmanuel Macron qui, lors de son allocution ce 12 juin, y a vu le risque de mettre « en banqueroute » notre système de retraite.
Mais le hasard fait bien les choses. Ce 13 juin, le Conseil d’orientation des retraites (COR) a publié comme chaque année son rapport. Ce dernier était particulièrement attendu et, un an après la réforme des retraites, il marque l’arrivée d’un nouveau président à sa tête : le très libéral Gilbert Cette.
L’économiste, soutien d’Emmanuel Macron en 2017, a remplacé Pierre-Louis Bras après que celui-ci a osé affirmer l’an dernier que les « dépenses de notre système par répartition ne dérapaient pas ».
La question était donc brûlante : ce changement de gouvernance a-t-il provoqué une révolution ? Ne faisons pas durer le suspense : les 232 pages de l’édition 2024 du rapport du COR ne recèlent ni grand choc, ni grosse surprise.
Les nouvelles données vont dans le sens de ce que l’on savait déjà l’an dernier : « Le solde du système de retraite, excédentaire en 2023 (+ 0,1 % du PIB), serait de nouveau en déficit dès 2024 (– 0,2 % du PIB) », peut-on lire. Et « même si les dépenses reculent (13,4 % du PIB en 2023, 13,2 % en 2070), les ressources diminuent plus encore (13,6 % du PIB en 2023, 12,4 % en 2070) ». Si bien que le besoin de financement représenterait 0,8 % du PIB en 2070.
Des chiffres qui ne surprennent pas non plus l’ancien président du COR. Interrogé sur France Culture, Pierre-Louis Bras persiste et signe : « Les dépenses de retraite ne dérapent pas. »
La dégradation du solde est certes liée au ralentissement de la croissance (« l’amorçage macroéconomique est moins bon : – 0,6 point en 2024 et – 0,3 point en 2025 », note le COR) et à la revalorisation des pensions survenues fin 2023-début 2024 dans le cadre de l’accord Agirc-Arrco sur les retraites complémentaires qui a en outre mis fin au bonus-malus (décote temporaire) appliqué aux salariés qui pouvaient partir avec une retraite à taux plein.
« Mais le déficit n’existe seulement que parce que les ressources publiques baissent », rappelle Michaël Zemmour, économiste et chroniqueur pour Alternatives Economiques. Le rapport du COR ne manque pas d’en donner les détails :
« Le régime de la fonction publique de l’Etat et les autres régimes spéciaux voient leurs dépenses diminuer en part de PIB ; la baisse de la part des traitements indiciaires des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers cotisant à la CNRACL dans la masse totale des rémunérations a un effet négatif sur la part des ressources dans le PIB ; les contributions externes de la branche famille et de l’assurance chômage diminuent en raison des hypothèses de projection (moins d’enfants et de chômeurs). »
Cette situation n’est pourtant pas une fatalité. Alors que l’on sait que près de 30 % de la population en France aura plus de 65 ans en 2070, « l’Etat pourrait tout aussi bien choisir de ne pas diminuer les ressources afin de résorber le déficit du système de retraite, reprend Michaël Zemmour. C’est un choix politique ».
Autrement dit, le gouvernement pourrait décider de faire croître les recettes publiques : « En augmentant la part du traitement indiciaire de la fonction publique par exemple, suggère l’économiste. A court terme, cela fait beaucoup de recettes dans le système de retraites et cela changerait un peu l’allure des courbes. »
Mais cette option ne colle pas à la philosophie du gouvernement actuel qui « veut réduire le déficit et ne pas augmenter les impôts, souligne encore Pierre-Louis Bras au micro de France Culture. Les dépenses de retraites représentent 26 % des dépenses publiques ».
C’est pour cette même raison – tenir les objectifs de finances publiques – « que le gouvernement ne pouvait pas faire l’économie d’une réforme des retraites », poursuit-il. Ou ne le voulait pas, donc.
Plus qu’un seul scénario
La nouvelle présentation du rapport du COR pourra peut-être aider l’exécutif à défendre ses arguments. A partir de cette année, les résultats des projections financières du système de retraite sont présentés selon un seul scénario de référence, et non plus quatre.
Un taux de chômage à 5 % à partir de 2030 n’est-il pas trop optimiste ? Sachant qu’actuellement, il se situe à 7,1 %…
Le scénario de référence retenu s’appuie donc sur l’hypothèse d’une fécondité de 1,8 enfant par femme, d’un solde migratoire net de 70 000 personnes par an, d’un taux de chômage de 5,0 % (à partir de 2030) et d’une croissance annuelle de la productivité horaire du travail de 1,0 % (à partir de 2040). C’est-à-dire l’hypothèse qui avait été privilégiée dans l’étude d’impact de la dernière réforme des retraites.
Le COR justifie ce choix par son désir de faciliter la lisibilité des résultats et, surtout, d’être en cohérence avec la productivité de ces dernières années. Mais cette présentation suscite plusieurs questionnements : un taux de chômage à 5 % n’est-il pas trop optimiste ? Sachant qu’actuellement, il se situe à 7,1 % et que la Banque de France table sur un taux de 7,8 % d’ici fin 2025.
A contrario, ne garder qu’une croissance annuelle de la productivité horaire du travail à 1 % (soit parmi les options les moins favorables des quatre présentes en 2023) ne tire-t-il pas vers le bas tous les résultats ?
« Bien sûr, la présentation d’un seul scénario simplifie la lecture. Mais c’est un sujet où l’incertitude est importante, reprend Michaël Zemmour. Les trajectoires étant assez sensibles à la productivité, ce peut être utile d’avoir une surface de projection large, pour connaître les différents ordres de grandeur. »
Se pose donc la question de l’intention derrière cette nouvelle présentation du diagnostic :
« On peut interpréter ce choix comme une volonté du COR d’inciter un peu plus fortement le débat public à se saisir des scénarios de faible croissance de la productivité, c’est-à-dire des scénarios où les règles d’indexation n’aboutissent pas spontanément à un équilibre entre les pensions de retraite et les contributions des actifs, et donc où la soutenabilité financière n’est pas garantie », explique dans une note de blog Patrick Aubert, économiste à l’Institut des politiques publiques.
Mais il serait dommage que les discussions qui suivent la publication de ce rapport ne « se focalisent une fois encore que sur des questions techniques – quel scénario économique est-il le plus plausible, ou le plus pertinent pour le pilotage ? – plutôt que sur les choix sociaux sous-jacents, qui devraient être au cœur du pilotage », enchaîne-t-il. A commencer par le niveau de retraite que l’on souhaite garantir aux futurs retraités.
Le sujet est souvent éclipsé par la question du solde. Et pourtant, le rapport, comme celui de l’an passé, montre que le niveau de vie relatif des retraités décroche au point d’atteindre 83 % d’ici à 2070 (contre 98,7 % en 2021), soit des valeurs comparables à celles qu’il avait connues dans les années 1980.
Ces questions de société, comme la paupérisation relative des pensionnés, seront à coup sûr discutées au cours de la campagne des législatives, mais elles risquent aussi d’être contrebalancées par la nécessité de trouver des milliards pour combler les déficits. C’est déjà une ligne de fracture entre le Nouveau Front populaire, Renaissance, le RN et les LR.
En témoignent les dernières déclarations de Jordan Bardella (RN), qui estime que « la situation des finances publiques ne permet pas de revenir sur la réforme des retraites », balayant ainsi d’un trait l’ancienne promesse de son parti d’un départ à 60 ans.
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