Comme la série du même nom, diffusée sur Arte depuis ce lundi 29 mars, elle raconte l’histoire de deux hommes, deux auteurs de BD du nom d’Hector et Sasha. Alors que le premier file le parfait amour avec sa copine Jeanne, il tombe des nues quand elle lui apprend qu’elle aimerait explorer sa sexualité avec d’autres partenaires, notamment une femme.
Sasha, son meilleur ami, ne voit pas le problème. Hector, lui, est déboussolé. “Attends. Tu me quittes?” lui demande-t-il. Elle lui dit que non, le rassure et lui explique simplement qu’elle aimerait faire l’amour avec quelqu’un d’autre, sans lui. ”Ça peut pas être sans moi, on est ensemble”, lui assène ce dernier.
Interroger une évidence
“C’est une excellente manière d’interroger une évidence”, nous dit l’un d’entre eux. Laquelle? L’exclusivité. Contrairement à ce qui peut être fait de manière générale sur le sujet, ces trois-là ne veulent pas parler des relations libres pour en montrer les conclusions dramatiques auxquelles elles peuvent amener, c’est-à-dire un drame ou la rupture. Non, ce qu’ils veulent, c’est interroger “sans poser de regard moralisateur”, précise Thomas Cadène.
Ici, c’est la réaction du héros qui interpelle. Franchement pas méchant, plutôt jovial, Hector change d’attitude. La demande de Jeanne le braque. Il est énervé, ne comprend pas. Sa réticence le rend même agressif à plusieurs moments. La peur de l’abandon et des insécurités naissent en lui.
“On s’est construit avec un schéma selon lequel on est propriétaire de l’autre, constate Thomas Cadène. D’une certaine manière, on bénéficie d’un droit à la confiance.” Sauf que ce droit à la confiance, “Jeanne ne le brise pas, ajoute Joseph Safieddine. Elle lui parle ouvertement de son désir. Ça le met, lui, face à ses responsabilités. Il a le choix entre partir et ne pas accepter ou accepter et rester. Il n’a envie d’aucune de ces deux options.” Dans cet entre-deux, plein de questions se posent.
“Et si ça lui avait plu?”
Au cours d’une soirée dans un bar, les deux amis sont un peu saouls. Ils se mettent à imaginer comment l’un de leurs personnages, un homme musclé et sûr de lui du nom de William, aborderait l’une des femmes actuellement en train de danser devant leurs yeux. Ils griffonnent. La situation les transporte. Une fois, deux fois, trois fois. Ils récidivent.
Pourtant récalcitrant à l’idée de coucher avec une autre femme, Hector le vit à travers son coup de crayon. William lui fait même essayer des pratiques qu’il n’a jamais osé entreprendre avec Jeanne. Son ami s’y plaît. Lui, semble irrité. Ça le questionne. “Qu’est-ce que ça réveille en lui? Et si ça lui avait plu? Est-ce que j’ai le droit d’accepter ce qui me plaît? Quand on y pense, c’est une question folle”, remarque Joseph Safieddine.
Dans son cerveau, ça plante. Il se rend compte qu’il n’arrive pas à aller au-delà. “On a essayé de montrer quelqu’un en plein dans un processus censé le conduire sur le chemin de l’acceptation, de l’ouverture et moins de la performance. Mais finalement, on voit qu’il a du mal”, ajoute l’auteur.
S’autoriser à être soi-même
Ce qu’il se passe (ou ne passe pas) dans sa tête envenime sa relation avec Jeanne. Elle lui répète que sa demande est importante, c’est un besoin vital. “Moi, moi, moi! Tu m’emmerdes avec toi! Et moi? On est deux. On est engagés l’un avec l’autre”, lui lance-t-il. Est-ce la peur de l’abandon qui parle? En tout cas, il n’entend ni perçoit ce que Jeanne lui exprime. C’est comme s’il refusait sa souffrance, considérant la sienne comme plus importante.
La quête identitaire et sexuelle de Jeanne en va de sa survie émotionnelle. Pourquoi ne veut-il pas le comprendre? Pourquoi ne peut-il pas, lui-même, entreprendre ce processus? Aurait-il réagi de la même façon si elle lui avait émis l’idée de goûter un plat que lui non plus n’avait jamais essayé? Sans doute pas. Sa réaction en dit long sur la masculinité contemporaine et les injonctions viriles, comme “la possessivité, la violence, l’absence de confiance, l’insécurité et les complexes physique”, selon Thomas Cadène, qui pèsent sur les hommes autour du couple hétérosexuel.
Cette masculinité, en tout cas telle qu’elle est définie aujourd’hui, n’est pas seulement un frein au couple libre, mais à l’ensemble des relations, s’accordent les deux auteurs. Sa redéfinition pourrait-elle être un moyen d’accéder à une libération sexuelle et sentimentale des hommes? “J’ai l’impression que c’est une grande question de notre époque”, confirme Thomas Cadène.
Loin de lui l’idée d’exposer une thèse sur le sujet. Son processus créatif consiste plus à exposer les questionnements qui le traversent, ceux qu’il veut explorer. Écrire l’aide. Il n’est pas le seul. “J’ai appris des choses sur moi, concède à son tour Joseph Safieddine, et notamment sur cette injonction à la virilité et cette façon de s’autoriser à être soi-même.” À chacun son William, donc?
“Fluide” de Thomas Cadène, Joseph Safieddine et Benjamin Adam est disponible en librairie depuis ce vendredi 2 avril.
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