La parution du livre Un si long silence de l’ex-patineuse Sarah Abitbol début 2020 n’en finit plus de produire des déflagrations. Dans cet ouvrage, elle accusait son ex-entraîneur Gilles Beyer de viols et d’agressions sexuelles répétés, commis alors qu’elle avait entre 15 et 17 ans au début des années 1990.
Ingérence de la part du ministère des Sports
Didier Gailhaguet, patron historique de la Fédération française des sports de glace (FFSG), avait été rapidement pris dans la tourmente, soupçonné d’avoir protégé Gilles Beyer, puis contraint à la démission après un long bras de fer avec la ministre des Sports, Roxana Maracineanu.
L’ex-tout puissant patron de la FFSG, qui estimait sa démission forcée, avait d’abord fait un recours administratif sans succès, puis avait porté l’affaire devant le tribunal administratif de Paris en juin 2020.
Celui-ci a retenu dans une décision vendredi, consultée lundi par l’AFP, l’un des arguments de Didier Gailhaguet. D’après lui, la ministre, par des prises de parole publiques, s’était “immiscée dans les compétences de la fédération pour imposer sa démission alors que les conditions de révocation du mandat du président (…) excluent toute intervention de l’État”.
L’État lui doit 5000 euros de préjudice moral
Face à la menace de retrait de l’agrément de la fédération si Didier Gailhaguet, qui présidait la FFSG depuis 1998 – à l’exception d’une parenthèse entre 2004 et 2007 – ne partait pas, “le conseil fédéral de la (FFSG) a été privé de la possibilité de se prononcer librement (…), alors qu’il lui appartenait seul de se prononcer sur ce point”, a estimé le tribunal administratif de Paris.
Le tribunal a ainsi considéré que “l’image et la réputation” de Didier Gailhaguet avaient ″été atteintes”, notamment car “les faits allégués n’étaient pas encore établis et ne pouvaient lui être imputés”, et lui a accordé 5000 euros de préjudice moral (il demandait 150.000 euros à ce titre).
Dans un communiqué, ses avocats Mes William Bourdon et Vincent Brengarth ont salué une décision “exceptionnelle” qui “sanctionne l’immixtion d’une ministre (…) à des fins purement politiques”. “Elle lui rend (à Didier Gailhaguet) son honneur injustement bafoué au sein de la communauté des sports de glace et plus généralement du mouvement sportif national”, d’après eux. “C’est aussi la liberté des clubs, des ligues et du mouvement sportif national qui est protégée contre l’interventionnisme d’une ministre”, d’après ces conseils.
La justice administrative a en revanche refusé à Didier Gailhaguet 152.550 euros qu’il réclamait, correspondant aux 27 mois d’indemnités qu’il aurait touchées selon lui s’il était allé au bout de son mandat.
Une “forme d’Omerta”
Pour le tribunal administratif de Paris, Didier Gailhaguet aurait potentiellement dû démissionner quoi qu’il arrive: “Il ne peut être tenu pour établi, eu égard au contexte entourant les révélations relatives aux violences sexuelles survenues au sein de la fédération depuis de nombreuses années, que l’intéressé aurait effectivement pu poursuivre ses fonctions, même à brève échéance”, selon le tribunal. Le ministère des Sports n’a pas souhaité commenter la décision, dans cette affaire qui connaît d’autres développements judiciaires.
À la suite des révélations de Sarah Abitbol, le ministère des Sports avait en effet diligenté une enquête auprès de l’Inspection générale de l’Éducation, du sport et de la recherche (IGESR).
Son rapport rendu en 2020 égratignait le fonctionnement de la FFSG marqué par “une forte concentration des pouvoirs”, notamment entre les mains de Didier Gailhaguet, source d’une “forme d’omerta”.
21 entraîneurs soupçonnés, 12 mis en cause
Il mettait aussi en évidence des soupçons pesant sur 21 entraîneurs de la FFSG, dont 12 mis en cause pour “des faits de harcèlement ou d’agressions sexuelles”, ce qui avait engendré l’ouverture en septembre 2020 d’une enquête à Paris pour “viols” et “agressions sexuelles” par personne ayant autorité sur mineur.
Dans un dossier distinct, Gilles Beyer a été mis en examen début janvier 2021 pour “agressions sexuelles” et “harcèlement sexuel” et placé sous contrôle judiciaire.
Une source proche du dossier avait indiqué à l’AFP que les faits dénoncés par Sarah Abitbol étaient prescrits mais que d’autres accusations, provenant de six femmes majeures au moment des faits supposés, pouvaient faire l’objet de poursuites.
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