Grève des écoles: Blanquer dans l’oeil du cyclone Omicron
Un moment de tensions qui reflète les soucis actuels du ministre de l’Éducation nationale. Chahuté au Palais Bourbon, désavoué à demi-mot par Jean Castex et Emmanuel Macron, Jean-Michel Blanquer, dont l’agacement n’est plus un secret, devrait connaître, ce jeudi 13 janvier, la première grève massive du quinquennat dans les établissements scolaires.
L’opposition prédit même une mobilisation inédite “depuis mai 68”, avec 75% d’enseignants grévistes annoncés… Soutenus par les parents d’élèves. Une union dans la contestation, assez rare pour être soulignée, qui ne va pas arranger les affaires du locataire de la rue de Grenelle, longtemps maillon fort de la Macronie, jadis qualifié de “vice-président”, finalement bousculé par les soubresauts du Covid-19.
Macron “donne le point”, Castex reprend la main
Est-ce la malédiction de son poste qui le rattrape à quelques encablures de la présidentielle? Jean-Michel Blanquer a battu en septembre le record de longévité au ministère de l’Éducation nationale de la Vème République, détenu depuis 1967 par Christian Fouchet. Un petit exploit à une fonction réputée difficile pour celui qui se targue d’être associé à plusieurs marqueurs forts du quinquennat, la réforme du bac en tête, le dédoublement des classes ou la fameuse ”école ouverte” en temps de pandémie.
Oui mais voilà, l’année 2022, cruciale si elle en est, a bien mal débuté pour lui. Le ministre est sous le feu des critiques depuis dimanche 2 janvier et son interview -publiée d’abord dans un format payant- dans Le Parisien, au cours de laquelle il annonce le nouveau protocole sanitaire prévu pour s’appliquer quelques heures plus tard. Un timing qui a ulcéré les professeurs et directeurs d’établissements quand la complexité des règles finissait de placer l’école -et les parents- sous tension.
Il faut plus d’anticipation et plus de temps aux rectorats pour communiquer avec les écoles en amont.Emmanuel Macron au Parisien le 4 janvier
Résultat: les images des files d’attente interminables devant les pharmacies ont fait grand bruit, le gouvernement a simplifié sa copie trois fois en moins de dix jours, et Emmanuel Macron a “donné le point”, selon sa formule, à une enseignante qui critiquait la tournure des choses. “Il faut plus d’anticipation et plus de temps aux rectorats pour communiquer avec les écoles en amont”, reconnaissait-il lors d’un entretien avec des lecteurs du Parisien au lendemain de cette rentrée compliquée.
“Jean-Michel Blanquer en a été affecté, évidemment, ce n’est pas agréable”, confie alors un membre de son cabinet dans les colonnes de L’Express en réaction aux mots du chef de l’État. Signe supplémentaire de cette passe difficile, c’est Jean Castex qui s’est chargé d’annoncer, lundi 10 janvier, la troisième (et dernière) mouture (pour l’instant) du fameux protocole, en s’invitant au Journal de 20 heures de France 2 .
Une reprise en main pour apaiser les tensions dans le monde de l’éducation, sans doute, mais qui est également le résultat de “la faible confiance placée en Blanquer lorsqu’il s’agit de communiquer sur la crise du Covid”, écrivait Politico, mardi, dans sa newsletter. À tel point que certains, au sein de l’exécutif, surnomme désormais le ministre “Jean-Michel Apeuprès”, nous apprend le même média en ligne. Pour les non-initiés, il s’agit du nom emprunté à un personnage de Kad Merad, au début des années 2000, lequel se démarque par sa faculté à se souvenir ”à peu près” des paroles de ses chansons.
Jean-Michel Bouc émissaire?
Plus sérieusement, il est vrai que les sorties du ministre de l’Éducation nationale ont souvent manqué de clarté, ou de justesse, depuis le début de la crise sanitaire. Récemment encore, avant la rentrée de janvier, il annonçait que plusieurs tests seraient nécessaires aux élèves cas-contact pour revenir en classe, avant d’être contredit dans la journée par son cabinet. Des couacs, sur un sujet aussi sérieux, qui n’échappent pas à l’opposition.
Le patron des députés LR Damien Abad ne s’est pas privé de fustiger “une humiliation”, mardi au Palais Bourbon, au lendemain du passage télé du chef du gouvernement, tandis que le PS, LFI et Yannick Jadot appellent à sa démission. Pour le candidat écolo, qui s’exprimait mercredi, Jean-Michel Blanquer a montré “trop de mépris, d’improvisation, de manque d’anticipation”, pour rester à son poste.
Face à cette avalanche d’attaques, le principal intéressé peut compter sur l’appui de certains, au sein de la majorité. “Certes, il y a eu une semaine de flottement, et beaucoup de parents et de professeurs ont eu des difficultés. Mais on ne peut pas non plus dire que c’est le chaos. Nous ne comptons que 2% de classes fermées à cause du Covid”, fait valoir Roland Lescure, le président de la Commission des finances à l’Assemblée, pour qui, “on est sévère” avec le ministre.
“La situation sanitaire est tendue. À partir du moment où on maintient les écoles ouvertes, il y a un risque. Imaginez si un enfant meurt? Que dira-t-on? Surtout qu’on est dans une société de la judiciarisation…Alors on suit les avis scientifiques”, soutient un poids lourd de la majorité qui ne voit “aucun problème Blanquer”.
Il a bon dos. Il est quand même au bout de la chaîne, après les autorités de santé, le conseil de défense sanitaire etc…Roland Lescure, président (LREM) de la commission des Affaires économiques à l’Assemblée
Et au plus haut sommet de l’État? “On est tous très en soutien de Jean-Michel Blanquer. On avance comme un pack depuis le début de cette crise”, affirmait la veille de la manifestation, Gabriel Attal au sortir du Conseil des ministres, évoquant des “décisions collégiales” pour lutter contre la pandémie, comme pour dédouaner son collègue.
La tentation de partager, voire de rejeter la faute sur d’autres n’est effectivement jamais loin. “Il a bon dos. Il est quand même au bout de la chaîne, après les autorités de santé, le Conseil de défense sanitaire etc”, souligne Roland Lescure, C’est pour ça qu’il se retrouve à affiner un protocole sur la fin, quand d’autres proposaient de fermer les écoles!”
La tension s’invite au Conseil des ministres
Des mots qui résonnent avec la ligne de défense du principal intéressé. “Le protocole, je ne l’ai pas inventé sur un coin de table. C’est la conséquence de ce que le Haut Conseil de la santé publique dit”, répliquait-il, mardi sur BFMTV. Une semaine auparavant, il envoyait un texto à son collègue Gabriel Attal pour qu’il précise en direct, sur France Inter, dont il était l’invité, que les nouvelles règles avaient bien été envoyées au “réseau éducatif” quelques heures avant l’interview dans Le Parisien. Sans toutefois convaincre les personnels de l’éducation.
Plus délicat encore, le “pack”, pour utiliser le mot du porte-parole du gouvernement, commence à montrer quelques fissures. Et la limonade, en privé, tourne un peu aigre, comme en témoigne l’altercation survenue avec son collègue à la Santé Olivier Véran, mercredi, en marge du Conseil des ministres.
Il est vraiment sous pression depuis quelques jours. L’annonce du protocole sanitaire par le Premier ministre a été perçue comme un désaveuUn conseiller ministériel
Selon Le Parisien et BFMTV, les deux hommes, dont on dit qu’ils entretiennent des relations parfois houleuses, ont haussé le ton, Jean-Michel Blanquer semble reprocher à son collègue de ne pas l’avoir assez défendu dans cette mauvaise passe. Il lui “parle de façon confuse d’un article évoquant leur conflit lors de la réunion de vendredi dernier”, raconte un témoin de la scène au quotidien. Réponse d’Olivier Véran: ”Écoute, Jean-Michel, il faut que tu te calmes, il faut qu’on fasse bloc. Il faut qu’on tienne bon dans la tempête médiatique, mais il faut se calmer”.
Une scène révélatrice de la tension qui règne à quelques heures de la mobilisation massive des enseignants. Et de la fébrilité du ministre de l’Éducation? “Il est vraiment sous pression depuis quelque jours”, souffle un conseiller ministériel qui en revient à “l’annonce du nouveau protocole par le Premier ministre”, “perçue comme un désaveu”.
Jean-Michel Blanquer “ne s’est pas fait que des amis dans le gouvernement avec sa ligne dure sur la laïcité”, affirme au passage notre interlocuteur “ce qui peut donner le sentiment qu’il est isolé”. Et sa participation à un colloque controversé consacré à son nouveau cheval de bataille, le “wokisme”, le 7 janvier, en pleine cacophonie sur l’application du protocole à l’école, n’arrange pas cette perception.
“Il agace oui, et depuis longtemps”, concède encore plus franchement un fidèle d’Emmanuel Macron, cité par l’AFP, “Mais il aura été le symbole de ce que le président de la République voulait: la durée.” Le sera-t-il encore dans trois mois, si Emmanuel Macron était réélu? La question ne manquera pas de se poser si la colère continue de monter, de la maternelle au lycée. Et peut-être même avant?
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