Guerre en Ukraine: le protocole 6C, une solution pour les victimes en état de choc
La première fois que le HuffPost vous a parlé de cet outil neuropsychologique, c’est parce que des policiers réclamaient d’y être formés. Selon eux, une réduction du stress aigu qui survient après une intervention délicate pourrait minimiser les séquelles à long terme de leur travail et par conséquent faire baisser le nombre de suicides dans leurs rangs.
Toujours les mêmes symptômes après un traumatisme
Or c’est justement en travaillant sur cette question au sein de la police que le journaliste de Paris Match a eu l’idée de recevoir à son tour une formation. ”Quand Nicolas est venu se former, il a appris pendant le cours qu’il partait en Ukraine”, nous raconte Emmanuelle Halouia, la seule formatrice agréée pour la francophonie. Et à entendre ce que l’intéressé en dit désormais, cet enseignement lui a été des plus utiles.
“J’ai eu l’occasion d’appliquer ce protocole une dizaine de fois pendant mon reportage”, écrit-il, toujours sur Facebook. Et sur BFMTV, il complète, racontant ses rencontres avec de nombreux Ukrainiens en état de sidération, dépassés par la violence des événements, les bombardements constants et la mort qui les entoure. “Ce protocole consiste à ‘rebrancher’ la personne qui ne peut plus bouger, qui ne parle pas, ou qui est en larmes et que l’on voudrait aider.”
Emmanuelle Halouia précise la manière dont fonctionne ce fameux protocole: “Là on parle d’une guerre, mais quelle que soit la situation (un accident de voiture, un viol…), ce sont toujours les mêmes symptômes: les gens peuvent être sidérés, en débordement émotionnel, ils peuvent avoir une perception altérée de la réalité (ne pas savoir où ils sont, la date du jour…), vivre une régression totale ou une dépendance absolue aux personnes qui vont se trouver en face. Et pour chacun de ces symptômes, on va appliquer un mot qui commence par ‘C’.”
Des questions très simples pour “réactiver” la personne traumatisée
C’est de là que la méthode mise au point par le professeur Moshé Farchi, au service d’abord de l’armée israélienne, tire son nom: six manières de “déchoquer” une personne venant de subir un trauma. Et six mots commençant donc par la lettre C, dont certains sont en anglais: Commitment (engagement), Cognition, Challenge (épreuve), Contrôle, Continuité et Communication.
Ainsi, quelle que soit la réaction de la victime au choc qu’elle vient de subir, la personne formée au protocole va chercher à activer son cerveau pour empêcher le traumatisme de s’installer. “Vous lui posez des questions très simples, ouvertes, qui vont mobiliser la partie du cortex préfrontal”, reprend Nicolas Delesalle sur BFMTV.
“Est-ce que vous avez un téléphone? Dans quelle poche? Est-ce que vous avez des enfants? Quelle est votre adresse?” Des sollicitations basiques, qui vont rapidement permettre à la personne de sortir de sa torpeur, de ses pleurs ou de sa position de victime pour en faire une actrice de la situation, qui pourra être mobilisée et rendre service.
Des objectifs qui ont semble-t-il été remplis pour Nicolas Delesalle et le photographe qui l’accompagnait, Frédéric Lafargue, lui aussi formé au 6C avant de partir. “J’ai pris des nouvelles quand il était là-bas et lui aussi m’écrivait”, rapporte Emmanuelle Halouia. “Il me disait que c’était incroyable, que le protocole fonctionnait.” La formatrice, elle, se félicite de voir que la méthode commence à se faire un nom en France. “Les retours depuis une zone de combat sont intéressants car c’est de là que vient le protocole au départ. L’idée, c’est qu’on ne peut se passer de personne, qu’on ne peut pas abandonner quelqu’un sur le champ de bataille.”
Une initiation gratuite ce dimanche
Tant et si bien qu’elle a décidé qu’elle a décidé de proposer gratuitement une initiation au 6C ce dimanche 20 mars, dans une conférence en ligne (comme vous pouvez le voir dans la publication ci-dessous). “En Israël, il y a une culture caritative très forte qui existe: dès l’école, on nous invite à choisir un organisme, à nous engager pour être bénévole”, décrit-elle pour justifier sa démarche. “Et on est souvent aidés par les institutions publiques. Donc un jour, on veut rendre la pareille, et on s’engage à son tour.”
Une initiative qui s’adresse en priorité aux secouristes, aux humanitaires et aux journalistes qui s’apprêtent à partir en Ukraine ou qui interviennent dans les pays frontaliers. “C’est une simple initiation de deux heures, pas une vraie formation qui, elle, dure deux jours”, insiste Emmanuelle Halouia. “Je vais expliquer ce qu’il faut dire et ne pas dire, faire et ne pas faire. Essayer de leur donner quelques clés sur la manière dont on ‘déchoque’ quelqu’un.”
L’idée est aussi de présenter les ressorts neuropsychologiques sur lesquels s’appuie le protocole. Emmanuelle Halouia, diplômée en psychotraumatologie, a elle-même vécu avec un syndrome de stress post-traumatique. Et grâce au 6C, elle décrit comment on peut influer sur “le moment de stress aigu où tout s’éteint d’un seul coup”, qui fait qu’une personne est “incapable de se mettre à l’abri” ou d’agir alors même que sa vie et celle des autres est en danger.
Et en l’occurrence, avec son initiation de ce dimanche, elle veut sensibiliser les participants “aux situations qu’ils rencontreront sur place”. Elle évoque par exemple un journaliste qui pourrait “réactiver” un collègue incapable de se mettre à l’abri alors que les balles fusent ou un secouriste qui pourrait sortir de son état de choc un civil dont la vie vient de s’effondrer. Des situations malheureusement courantes depuis le début du conflit ukrainien.
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