Guillaume, développeur : « L’angoisse de se sentir indésirable »

A 40 ans, Guillaume est quasiment le plus âgé des salariés de son entreprise de services du numérique (ESN) en région parisienne. Alors, difficile pour ce développeur en informatique de gestion de se projeter sur les vingt-quatre prochaines années et d’imaginer quelle sera la réalité de son métier vers 2047. D’ailleurs, il n’a pas simulé son âge de départ à la retraite en cas d’adoption de la réforme en cours.
« Rien que se projeter à cinq ans est compliqué dans une profession qui incite à la mobilité », constate-t-il.
Le secteur de l’informatique de gestion – par opposition au développement de jeux vidéo – emploie beaucoup de personnes jeunes, connaît un fort renouvellement générationnel et appelle à rester constamment en veille sur les évolutions technologiques. Quitte à changer de poste ou d’entreprise pour ne pas s’enfermer dans un projet unique.
« Le dynamisme est nécessaire pour ne pas se déconnecter de la réalité du marché, observe Guillaume. Il y a une sorte d’obligation de formation continue tacite à faire par soi-même. »
Le marché de l’emploi, tendu pour les recruteurs, participe à ce tableau avec des opportunités de changement nombreuses. Selon les données de l’Observatoire des métiers du numérique, de l’ingénierie, du conseil et de l’événement (Opiiec), une instance paritaire, le métier de développeur est celui qui recrute le plus dans le domaine du numérique qui rassemble près de 543 500 salariés (à 94 % en CDI) dans 30 500 entreprises (aux trois quarts de moins de dix salariés), ainsi qu’environ 35 600 travailleurs indépendants.
Un risque d’obsolescence
« Le long terme, c’est le corollaire », estime Guillaume, constatant l’arrivée de nouvelles pratiques dans le métier « tous les deux ou trois ans » avec les jeunes générations.
« En fin de carrière j’aurai une quarantaine d’années de différence avec ceux qui arriveront. Or je devrai garder les mêmes niveaux de performance, d’intérêt pour tester de nouvelles technologies, d’envie de courir des conférences et de peps pour suivre les sprints. Ça risque d’être compliqué à gérer ! »
Sa crainte : ne plus être employable à quelques années de la retraite, qui plus est si celle-ci se fait plus tardive.
Pour lui, à défaut d’une véritable pénibilité, les conditions de travail liées à son métier revêtent une forme d’« obsolescence » à cause de l’effet de génération. Avec le risque de voir s’installer avec l’âge une « angoisse de se sentir indésirable », ou de se désinvestir avant l’heure pour profiter des fruits du travail avant la retraite, tant que la santé est là.
Yannick Fondeur, chargé de recherche associé au Centre d’études de l’emploi et du travail (Ceet), constate l’existence d’une « vraie problématique pour durer dans l’informatique ». Le chercheur en sciences sociales relève un turn-over très important dans les ESN, à hauteur de 20 % à 25 % par an pour une moyenne d’âge d’environ 30 ans. Cela alors que les profils recrutés arrivent relativement tardivement dans l’emploi, souvent à bac + 5.
Il observe aussi une logique d’externalisation qui s’accroît dans le domaine. Cela passe par un développement du travail en indépendant, qui s’inscrit notamment dans une logique de sous-traitance. Mais aussi par des sociétés décidant de se passer de leur service informatique interne au profit d’un contrat avec une ESN, impliquant le transfert de leur personnel spécialisé auprès de ces sociétés de services. De quoi se sentir passablement précarisé pour ces employés, tandis que les seniors coûtent plus cher aux entreprises que les jeunes recrues.
Précautions
Mais surtout, le chercheur observe un risque pour leur emploi du fait même de leurs compétences.
« Ceux que j’ai rencontrés disposent parfois de compétences sur de vieux systèmes, encore utilisés par des clients mais sur lesquels les jeunes ne sont plus formés. Ils peuvent le vivre comme l’enfermement dans une sorte de trappe, les technologies sur lesquelles on les fait travailler étant appelées à disparaître. »
Cette perspective fait écho chez Guillaume, qui entrevoit ce risque pour les langages type Java, très employés par sa génération. « Les logiciels qui les emploient devront bien être maintenus quand il y aura du neuf… »
« Très peu de gens restent durablement en ESN, ou alors en s’éloignant de la technique pour viser plutôt les services commerciaux », résume Yannick Fondeur.
Quelles solutions à l’échelle de Guillaume ? Devenu développeur après une reconversion professionnelle, il n’imagine guère un changement de secteur en fin de carrière. Il préfère toutefois assurer ses arrières, mettant de côté une partie de son salaire qui s’élève à environ 40 000 euros annuels. Pour sa famille comme pour lui.
« Si à 55 ou 57 ans je ne suis plus en état de travailler suite à un pépin de santé et que l’évolution des conditions d’accès au chômage m’empêche d’ici là d’en bénéficier, j’aurai peut-être besoin de disposer de mes propres ressources… »
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