IG Metall invente une « bad bank » pour sauver l’automobile
Un syndicat ayant l’idée de créer un fonds d’investissement privé pour sauver les emplois industriels ? C’est du jamais-vu. Ce projet est pourtant à l’œuvre chez notre voisin allemand avec la création du « Best Owner Group » (BOG), né d’une idée lancée par le syndicat de la métallurgie IG Metall lors du dernier sommet de l’automobile, le 8 septembre dernier. « Nous n’allons pas financer ni piloter ce fonds. Mais c’est bien notre syndicat qui a lancé l’idée », confirme Silke Ernst, la porte-parole fédérale du syndicat.
« Le fait que ce soit l’IG Metall qui propose une telle idée, saluée par BMW, Volkswagen ou la Fédération de l’automobile allemande, est un vrai indicateur de l’énorme pression qui pèse sur le secteur et en particulier sur les petits équipementiers qui produisent encore pour les moteurs thermiques diesel et essence », analyse l’expert Stefan Bratzel, directeur du Center of Automotive Management de l’Ecole supérieure d’économie de Bergisch Gladbach (FHDW).
L’automobile allemande à la peine
Si l’économie allemande semble se ressaisir, son « cœur industriel », le secteur automobile, est toujours à la peine. Ainsi, entre janvier et juillet 2020, 1,8 million de voitures ont été produites. Soit le niveau de production le plus bas depuis… 1975. Et pour l’ensemble de l’année, la Fédération allemande de l’automobile (VDA) prévoit un recul annuel de 25 % de la production.
Alors que la reprise des achats sur l’important marché chinois n’est encore qu’une lueur tremblotante au bout du tunnel, les problèmes de fond se cumulent : ralentissement économique lié aux mesures anti-Covid, tensions commerciales internationales, lutte contre le réchauffement climatique qui alourdit taxes et plafonds d’émissions et, bien sûr, le double défi technologique de la numérisation de la production et du passage au moteur électrique.
La crise actuelle pourrait ainsi coûter jusqu’à 100 000 emplois sur les 890 000 que compte le secteur automobile allemand
« Les coûts de production des équipementiers automobiles étaient déjà sous pression. Ils doivent en plus affronter une transition technologique complexe et coûteuse et sont particulièrement vulnérables », détaille Silke Ernst. Continental a confirmé fin septembre qu’il tablait sur 13 000 suppressions de postes. Quelques semaines auparavant, le numéro trois du secteur, ZF, annonçait la rationalisation de 15 000 postes. Derrière, les PME du secteur suivent le mouvement. La crise actuelle pourrait ainsi coûter jusqu’à 100 000 emplois sur les 890 000 que compte le secteur.
Un « Best Owner Group » pour assurer la transition du secteur
Face à cela, l’IG Metall reste persuadé que si la transition vers le moteur électrique se fait de manière solidaire, volontariste et non précipitée, il serait possible de maintenir tout à la fois les emplois, les PME, la prééminence technologique et les parts de marché de l’automobile allemande. Dans un document central soumis à débat lors du « sommet de l’Automobile » du 8 septembre dernier, le syndicat a donc présenté une « stratégie de transformation de l’automobile allemande », comprenant trois instruments, afin de stabiliser le secteur.
« Le premier est un fonds national pour la transformation abondé par de l’argent public, qui doit servir à renforcer le capital propre des entreprises, prévenir les faillites et stabiliser les entreprises », détaille Silke Ernst. L’IG Metall a décliné la formule en version régionale avec des « fonds régionaux pour la transformation », capables d’agir plus localement et de manière plus ciblée. Cependant, les deux options sont à l’étude au sein d’une commission ad hoc, car elles posent des questions de compatibilité avec le droit européen de la concurrence et relancent le débat sur le bien-fondé et le niveau des investissements publics dans le privé.
En revanche, le troisième instrument, le « Best Owner Group » ou BOG, est déjà sur la rampe de lancement. L’idée sous-jacente est que le passage électrique du parc automobile ne se fera que progressivement. Les experts prévoient qu’en 2030, au moins 30 % à 40 % des véhicules disposeront encore de moteurs classiques, essence ou diesel, qui devront donc être produits et réparés pendant encore au moins quinze ans.
« Le problème des sous-traitants spécialisés sur la livraison de pièces pour ces moteurs, c’est qu’ils ont des perspectives d’affaires raisonnables sur cinq ou dix ans. Mais pour cela, ils ont encore besoin de financements. Or, ils n’intéressent plus beaucoup les investisseurs puisqu’ils font partie d’un monde appelé à disparaître », détaille Stefan Bratzel.
Un engagement « bienveillant » et des questions en suspens
L’idée du BOG est donc d’entrer au capital de ces entreprises avec un engagement « bienveillant » sur le long terme, pour d’abord les stabiliser et les faire fonctionner de manière rentable aussi longtemps que possible. Puis pour les liquider progressivement en assurant une reconversion en douceur pour les salariés.
« Le BOG n’investira que chez les équipementiers produisant des pièces pour les moteurs thermiques amenés un jour à disparaître », Silke Ernst du syndicat IG Metall
Les objectifs affichés sont de lever environ 500 millions d’euros auprès d’investisseurs, ceci afin de pouvoir injecter de l’argent dans des entreprises réalisant, ensemble, de 5 à 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Le tout sera rémunéré à hauteur de 5 %. « Le BOG n’investira que chez les équipementiers produisant des pièces pour les moteurs thermiques amenés un jour à disparaître », confirme Silke Ernst.
Aujourd’hui, la société BOG, qui a déposé ses statuts, et son conseil d’administration commencent à accueillir d’anciens top managers de l’automobile et de la finance. Et le nom de président est connu. Il s’agit de Frank-Jürgen Weise, qui a dirigé le Pôle emploi allemand pendant treize ans. Contacté par Alternatives Economiques, le Best Owner Group explique qu’il est encore trop tôt pour communiquer.
Mais nombre de questions se posent. Qu’est-ce qui garantit en effet que le BOG sera un investisseur bienveillant ? A quel point interviendra-t-il dans la direction opérationnelle d’une entreprise ? Ou comment s’organisera la reconversion des salariés ? « Il faudra aussi faire attention que de telles structures ne « zombifient » pas les entreprises et ni ne bloquent une consolidation utile du secteur », souligne Stefan Bratzel.
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