J’ai dû choisir entre ma mère et ma famille d’accueil – BLOG
À 10 ans, j’ai été arraché des bras de ma mère. Nous avions rendez-vous au tribunal, comme tous les six mois, pour voir si notre mère s’occupait bien de moi et de mon petit frère. Dans le bus pour y aller, elle avait le front un peu plissé et la bouche en cul de poule, elle retenait ses larmes. Elle avait déjà trois de ses enfants placés et il ne lui restait que nous deux.
Comme à chaque rendez-vous, le stress montait en moi, je sentais une boule dans mon ventre. En entrant dans le tribunal, nous avons rencontré le père de mon petit frère: un gros monsieur chauve avec une odeur de tabac froid. Il faisait aussi partie du rendez-vous avec le juge des enfants puisque, bien qu’il ait mon frère en garde partagée, il faisait tout pour l’avoir en garde exclusive. Nous nous sommes installés dans le bureau du juge. De longues minutes sont passées sans que je comprenne vraiment ce qui se déroulait dans cette pièce. Je regardais ma mère, puis le juge et encore ma mère. Enfin, le juge a déclaré son verdict: “Il est préférable, pour la santé de vos enfants, de les placer.” Moi dans une famille d’accueil, mon frère chez son père. Je suis allé dans les bras de ma mère et j’ai commencé à pleurer. J’accrochais son bassin comme le marin accroche sa barre en cas de tempête.
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L’appeler, avec ma famille d’accueil qui écoutait
Pour accélérer un peu mon récit, disons simplement que j’ai loupé plusieurs moments familiaux du fait de mon placement: la rentrée en CM2 dans une nouvelle école, que j’ai faite seul alors que tous les autres enfants étaient venus avec leurs parents, mes anniversaires, Noël et Pâques… Et tous mes moments de tristesse sans pouvoir faire de câlins réconfortants à ma mère. Je me sentais seul, humilié, abandonné.
Même si j’ai été séparé de ma mère à mes 10 ans, j’ai toujours gardé le contact avec elle. Je la voyais seulement une fois par mois pendant deux heures, dans un bureau, avec ma référente, mais j’en profitais à fond. On parlait de mes frères et sœurs, de mon école et on prenait le goûter. Je ne pouvais l’appeler que le samedi, avec ma famille d’accueil qui écoutait à côté. Je n’avais pas beaucoup de vie privée avec ma mère… Pourtant, il y a bien une chose que nous avons gardée: c’est notre amour. Notre lien ne s’est jamais cassé.
Foirer ma vie ou rendre ma mère triste?
Ça s’est passé sur le canapé de ma mère, alors que je regardais la télé. Elle est venue me voir et m’a demandé si je voulais rentrer à la maison. Je l’ai regardée, j’ai pris une bouffée d’air et j’ai dit: “Je veux rester chez ma famille d’accueil.” Je me rappelle de son regard, de cette tristesse qui se lisait dans son visage. Pourtant, je savais au fond de moi qu’elle pensait que j’avais fait le bon choix. Dans la voiture de ma famille d’accueil, qui était venue me chercher juste après, j’étais triste. J’ai regardé ma famille d’accueil par le rétro et j’ai dit en me retenant de pleurer: “Je crois que j’ai fait du mal à maman.”
Si on m’avait proposé de la rejoindre avant mes 14 ans, bien sûr que j’aurais accepté. Mais j’étais assez grand pour comprendre que rester était la meilleure solution. Je voyais cette famille d’accueil comme une nouvelle part de moi, une part bien meilleure. Je ne voulais pas, bien évidemment, faire de mal à ma mère, mais je ne voulais tout simplement pas rentrer chez elle. Je pense qu’il ne suffit pas d’aimer quelqu’un, et je parle de n’importe quelle sorte d’amour, pour nous empêcher d’avoir la vie qu’on mérite.
Depuis, les années ont passé et notre lien est toujours aussi fort. Je me rappellerai toujours du moment où on m’a arraché de ses bras. Mais je me rappellerai aussi toujours que ça m’a peut-être sauvé la vie. Ma vie est comme un chewing-gum mâché: elle a commencé à gonfler correctement jusqu’à exploser à mes 10 ans.
Ce billet provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un dispositif média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concernent.
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